2.4.3. La spécification sensorielle ou œnologique dans le dictionnaire

Notre recherche dans le dictionnaire d’une ou de plusieurs spécifications sensorielles (olfactive, gustative ou œnologique) est fondée sur l’explicitation dans le texte lexicographique :

Après consultation, il apparaît que :

Cette spécification peut être :

‘bouqueté, empyreumatique, foxé, gouleyant…’ ‘capiteux, corsé, doux, tannique… ’ ‘astringent, boisé, corps, généreux, lourd, plat, velours…’ ‘corsé, doux, épicé, généreux, piquant…’ ‘délicat, épais, gras, tannique…’ ‘aromatique, boisé, empyreumatique…’

L’apparente primauté lexicographique du goût par rapport à l’odeur peut s’expliquer par le fait qu’en dégustation (de vins ou de produits alimentaires), les odeurs sont aussi des arômes, perceptibles au nez ET en bouche, en rétro-olfaction (voir le schéma inspiré de Sarfati au chapitre précédent). Ainsi, les termes utilisés pour qualifier les arômes se différencieraient-ils d’un vocabulaire spécifiquement olfactif (comme celui de la parfumerie peut-être). Une deuxième explication peut s’appuyer sur la polyvalence en français des hyperonymes :

Les spécifications du dictionnaire ne découlent pas d’une considération systématique de la propriété physique qui est responsable de la sensation : des termes que l’on pourrait réunir dans le champ qualificatif des “odeurs” et / ou des “goûts” et / ou du vin, se voient attribuer ou non un sème sensoriel. Ainsi, les termes :

possèdent-ils sans équivoque un sème ou un exemple qui fait état de la caractéristique sensorielle. Mais d’autres comme :

  • huileux, sirupeux ou balsamique

renvoient uniquement au référent de leur base lexicale (huile, sirop, baume),

tandis que d’autres encore :

  • floral, fleuri, mûr, végétal…

ont une définition qui occulte la propriété olfactive ou gustative ou de consistance en bouche.

La spécification sensorielle dans le dictionnaire est donc aléatoire, non prévisible.

Les termes pour lesquels le dictionnaire mentionne l’aspect olfactif, gustatif ou œnologique ont été marqués d’un signe + dans la quatrième colonne. Mais il est certain que l’éventail aurait été plus large si les critères avaient dépassé les seuls énoncés du dictionnaire 133 et tenu compte également des savoirs et de la réalité extralinguistique. Il est aisé d’admettre que :

  • animal, envahissant, éthéré, fleuri, floral, puissant, végétal…

s’appliquent tout à fait à des odeurs et que :

  • désaltérant, mûr, rafraîchissant, vert, vif…

peuvent qualifier un goût.

Nos observations font état toutefois de :

  • la médiocre représentation par le dictionnaire du caractère olfactif ou gustatif de termes qui sont habituellement associés à une image odorante ou goûteuse :
‘l’odeur animale du musc, ou celle du souk à viande du Caire,
l’odeur puissante et végétale de la menthe,
l’odeur sauvage, saine, végétale d’une grosse fourmilière 134 ,’
  • et par là, la faible représentativité des termes de goût et plus encore des termes d’odeur. Sans tenir compte de ceux exclusivement œnologiques et qui ressortissent d’une terminologie de la dégustation (alcooleux, bouqueté, charpenté…), les termes de qualification répertoriés, facilement identifiés dans un contexte comme celui de la parfumerie, de l’œnologie ou de la dégustation, seraient susceptibles de constituer un champ parfaitement délimité.

Des variations entre les éditions du dictionnaire montrent pourtant une évolution de la langue en l’espace de vingt ans en faveur du vocabulaire attribué aux odeurs, aux goûts et aux vins : sur les cinquante-sept mots que nous avions relevés (voir note130) dans l’édition de 1993, huit ne l’auraient pas été si nous avions consulté celle de 1973 135 . Du texte est ajouté plutôt que modifié dans le contenu. Outre les mots ajoutés :

‘ bouqueté 136 , gouleyant,’

il s’agit de mots qui se sont vu attribuer une définition supplémentaire (relative à la sensation olfactive ou gustative) :

‘ astringent, boisé, dépouillé, raide.’

D’autres reçoivent une précision dans le texte lexicographique ou une illustration à l’aide d’un exemple (concernant l’odeur, le goût, le vin) :

‘ épais (« vin épais »), fraîcheur (« fraîcheur d’un parfum »), tannique (qui contient du tanin. « Vin rouge tannique ») ;’

et l’on remarque enfin, que la définition œnologique de corps est déplacée de la cinquième à la première acception :

‘ corps (1973 : V. consistance du papier, du vin / 1993 : I.6 Loc. avoir du corps, se dit d’un vin…).’
Notes
129.

Ce qui représente une proportion de 30% environ ; celle calculée sur l’ensemble des termes du corpus (ayant un trait dans le dictionnaire) est très légèrement supérieure, autrement dit à peu près équivalente.

130.

Les 50 termes sont :

1°) concernant la sphère olfactive et gustative (c’est-à-dire l’arôme au nez et en bouche, ou le goût ou la consistance) et / ou le vin : acide, aigrelet, amer, âpre, aromatique, astringent, boisé, capiteux, corps, corsé, coulant, dépouillé, douceâtre, douceur, doux, empyreumatique, épais, épicé, fin, fort, foxé, fraîcheur, frais, fruité, généreux, gouleyant, grand, gras, léger, lourd, mielleux, moelleux, parfumé, plat, raide, savoureux, sec, suave, tannique, terroir (goût de), velouté, vieux, vineux,

2°) concernant uniquement l’aspect olfactif : bouquet, bouqueté, délicat, faisandé, fugace, subtil, violent.

Les 7 autres termes, dont aucun n’est spécifique de l’aspect olfactif, sont :

acidulé, agréable, appétissant, bon, piquant, prononcé, velours.

131.

Coutier fait le même constat de « très faible représentativité des mots relatifs à la dégustation » dans le Trésor de la Langue Française de 1994 et, de manière plus générale, « des termes afférents aux perceptions gustatives dans les dictionnaires généraux » (1997, 79).

132.

Nous reprenons les exemples du Petit Robert., mais on en relève ailleurs illustrant le même type de confusion tels ces textes publicitaires sur le café : « Cap Colombie est un café délicat à l’arôme subtil » et « un café long en bouche à l’arôme sauvage et parfumé ».

133.

Des termes relatifs à la sensation tactile c’est-à-dire à la consistance en bouche (fondu, huileux, pâteux, sirupeux, charnu, fluide, onctueux…) ne sont pas marqués d’un + alors que d’autres(délicat, gras, tannique) le sont du fait de l’exemple donné dans la définition.

134.

Exemples tirés d’un corpus écrit à propos de la définition et de la description des odeurs, collationné par nous-même.

135.

Dictionnaire Le Petit Robert, 1973, Paris.

136.

Bouqueté n’est pas un néologisme ni une nouvelle acception puisqu’il est attesté au XVIIème siècle et qu’il est attribué au vin en 1873 (Rey, 1992). Tout comme d’autres dont la datation remonte au Moyen Age ou à l’Antiquité (Coutier, 1996), certains mots de la dégustation « sont redécouverts plus qu’inventés » écrit Chatelain-Courtois qui rappelle qu’austère et acerbe sont hérités de l’œnologie latine et entendus « à tort comme des métaphores » (1984, 8).