2.7.2. Le cas de velours

Velours est un terme attesté dans le corpus, mais dont seul le dérivé velouté appartient au lexique. Il traduit une sensation en bouche définie par le P.R. dans sa troisième acception :

‘« 1° Tissu à deux chaînes superposées dont l’une produit le fond du tissu et l’autre le velouté […]. 2° Ce qui est doux au toucher […]. 3° Ce qui donne une impression de douceur (au goût, à l’ouïe, etc.)  velouté. C’est du velours, un vrai velours, une nourriture, une boisson délectable »,’

qui est référentiellement commune au deuxième signifié du dérivé velouté dans le P.R. :

‘« 1° Doux au toucher comme du velours duveté. […] Qui a l’aspect d’une chose douce au toucher […]. 2° Doux et onctueux (au goût). Potage velouté.- Vin velouté, soutenu, riche et sans âcreté ».’

ainsi que dans le lexique :

‘« se dit d’un vin caressant en bouche, qui a la douceur du velours. Un vin velouté est faible en acidité et fort en glycérol ; il a du moelleux » 187 .’

L’analyse morpho-dérivationnelle a permis de mieux connaître l’utilisation des adjectifs dérivés en dégustation et quelle interprétation pouvait être donnée. Nous voyons à présent le cas où l’énonciation du substantif de base est préférée à celle de son dérivé théoriquement plus conforme à la terminologie de la dégustation. Soit l’énoncé :

‘c’est vrai qu’c’est un bon vin ça s’sent tout d’suite quand c’est du bon vin hein ça laisse la bouche fraîche euh ça englobe bien les papilles c’est- c’est du velours on a l’impression d’avoir un vin velours on n’a pas l’acidité on n’a pas les tanins qui gênent c’est très rond c’est très agréable en fin d’bouche c’est très agréable, (Vivier 97 n°10, 588).’

Velours est d’abord énoncé à l’intérieur d’un syntagme - qui est précisément l’exemple donné par le P.R. : il se trouve syntaxiquement autonome et sémantiquement “correct”. Ce qui n’est plus le cas lorsque velours est reformulé juste après, apposé au substantif vin auquel il devient subordonné : vin et velours sont assimilés, mais le locuteur explicite les qualités et les effets qui pourraient constituer les différents traits sémantiques de velours attribué au vin :

‘Bon vin + bouche fraîche + papilles englobées + acidité satisfaisante + tanins non gênants + rondeur + sensation agréable en fin de bouche.’

La question est de savoir pourquoi velours est ainsi employé :

  • en contiguïté avec le terme qualifié, sans déterminant ni copule (le locuteur n’a pas dit : un vin de velours ni ce vin est comme du velours),
  • et à la place de son dérivé ; autrement dit l’énoncé on a l’impression d’avoir un vin velouté aurait-il le même effet sémantique dans le contexte donné ?
  • La forme syntagmatique de mise en apposition de deux substantifs dont le premier est le comparé et dont le deuxième, comparant, dépourvu de déterminant a une fonction d’épithète, est un procédé fréquent (dans les messages publicitaires entre autres).
    L’effet recherché consiste à renforcer l’identité imaginaire de type “X est Y” par un rapprochement immédiat tout en marquant le rapport de subordination de Y à X avec l’absence de la copule “est”. L’assimilation sémantique est donc plus marquée que dans les formes : un vin de velours ou ce vin est comme du velours.
  • En quoi le vin qualifié et le velours sont-ils référentiellement similaires et en quoi velours et velouté sont-ils sémantiquement distincts ?
    Le vin est ici doté de qualités hédoniques (bon, rond, agréable) et de caractéristiques sensorielles définies (sensations thermiques et tactiles en bouche : fraîcheur, papilles englobées et sensations gustatives acides et tanins).

Velours possède deux traits similaires au vin évalué :

  • le trait /douceur/ - sensation tactile généralement agréable - est évoqué dans les signifiés 2° et 3° ;
  • et implicitement le trait axiologique gustatif /bon/ dans le 3° signifié porté par la polysémie de doux et douceur au goût “ce qui est doux est sucré”, par le présupposé “ce qui est sucré est ontogénétiquement bon” et par l’exemple donné “une boisson délectable”.

On a donc affaire à une double analogie :

  • au niveau référentiel par la conjonction de deux sphères sensorielles dont la langue est pourvue (goût et toucher) ;
  • au niveau sémantique par la polysémie de doux et douceur (dont l’étymologie première est relative au goût – sucré – avant de référer au toucher et enfin, au plaisir éprouvé par la sensation).

Mais les traits sémantiques retenus pour qualifier le vin sont moins ceux de la sensation gustative (sucré) que ceux de la sensation tactile (du velours) et dans ce qui est présupposé en 2° et 3° à savoir le caractère agréable de la douceur.

Ces deux traits se retrouvent dans les définitions de velouté :

‘/douceur/ avec : “doux au toucher, caressant en bouche” et /bon/ avec : “onctueux, fort en glycérol, moelleux”. ’

Ils sont même évoqués en priorité dans la définition du lexique qui explicite, non pas le goût d’abord, mais le toucher et son effet agréable 188  :

‘caressant en bouche et qui a la douceur du velours.’

Cependant, l’emploi de velouté n’est pas pragmatiquement équivalent à celui de velours, vu que la plupart des adjectifs :

‘« ont volontiers un sens plus étendu par rapport à leur base nominale » (Kerbrat-Orecchioni, 1990, 113). ’

Velouté, sémantiquement plus faible que sa base velours, amoindrit la précision de l’énoncé. Le choix du substantif est donc délibéré : même si sa validité terminologique est théoriquement moindre (velours n’appartient pas au lexique de dégustation), son signifié en contexte est plus précis. L’interprétation ne prête pas à confusion puisque le locuteur prend soin d’énumérer les qualités qu’il sous-entend dans l’emploi qu’il fait de velours.

Notes
187.

Hachette, 1996.

188.

De même que la matière et sa perception tactile agréable étaient retenues pour la définition de corps en dégustation.