3.1. De la congruence des termes et des incompatibilités

3.1.1. Quelques constats

Lors de précédents travaux 192 , nous avions fait apparaître le fait que des termes de dégustation ont un emploi dépendant et du type de vin et de la phase de dégustation en cours :

  • selon le type de vin, pour des raisons de compatibilité référentielle, des termes ne peuvent se trouver associés à d’autres pour qualifier un même vin :
‘*astringent et fondu / *charpenté et vif / *rond et acide… 193
  • selon la phase de dégustation, un terme comme :
‘tannique ’

n’est attribué qu’à la bouche (ou au vin en fin de dégustation), jamais à l’aspect visuel ni au nez.

Ces constats nous avaient amenée à déduire que plus on évolue au cours de la dégustation d’un vin, plus le choix des termes et leur sens se précisent, recouvrant une étendue référentielle mieux circonscrite. Car une impression visuelle peut prédire ce que seront les impressions olfactives puis gustatives. Voici deux exemples :

Si trois termes qualifiant respectivement les trois phases successives de la dégustation :

‘grenat, fruit, tannique, ’

se trouvent associés pour un même vin dégusté, il convient de déduire, après vérification du sens œnologique de chaque terme 194 , que la première phase de dégustation oriente les suivantes et que les qualifications données vont en s’affinant : l’aspect visuel fournit un certain nombre d’indices de sorte :

  • que le terme énoncé en début de dégustation (grenat) apporte une caractéristique du référent (sa couleur) et exclut l’occurrence de termes incompatibles avec cette partie du référent,
  • qu’il conditionne la suite du discours :
‘ainsi, un vin de couleur rouge grenat laisse-t-il présager, au nez, des arômes de fruit et, en bouche, une sensation de tanin ; si c’est le cas, nous dirons alors que, en discours, grenat, fruit et tannique sont compatibles, susceptibles de qualifier un même vin. Et tannique, qui se positionne en phase gustative ou finale, implique que l’on a affaire à un vin rouge, de teinte plutôt sombre (grenat) et dont les arômes sont encore jeunes et fruités (de type fruits rouges) 195 .’

Si l’on prend, pour le deuxième exemple, un terme tel que équilibré. Énoncé en phase finale, il légitime un nombre de “traits référentiels” qui ont été vérifiés préalablement :

‘ainsi, équilibré, qui rend compte de l’impression synthétique apportée par les éléments constitutifs du vin, présuppose-t-il que le dégustateur a déjà procédé aux trois phases d’analyse et a pu évaluer, au nez et en bouche, les sensations d’alcool, d’acide, de moelleux et de tanin dont aucune ne domine les autres.’

Il existerait en discours de dégustation deux types de contraintes lexicales dues :

  • à un système de hiérarchie où des termes sont attribués plus spécifiquement à une phase tandis que d’autres restent relativement polyvalents,
  • et à un système de compatibilité donnant lieu à des enchaînements régis par les qualités du vin.

Notes
192.

Maîtrise de Sciences du Langage, Université Lumière Lyon II (1990).

193.

La schématisation du triangle (Vedel) permet de localiser quelques-uns des termes et de mieux comprendre l’incompatibilité de certains vis-à-vis d’autres. Nous voyons alors comment un vin ne peut pas être à la fois : ferme et onctueux, ni gouleyant et tannique ou frais et corsé

194.

Les définitions données par le lexique Hachette confirment la spécificité de chacun en même temps que leur classification temporelle en contexte : grenat qualifie spécifiquement la robe d’un vin, fruit est un emploi métonymique référant à l’arôme, tannique réfère à la composition du vin qui n’est perceptible en dégustation que pendant la phase gustative.

195.

De même, un vin présentant des larmes nombreuses et lentes oriente le dégustateur vers un vin riche en alcool, dont le nez sera puissant et qui pourra être corsé, généreux, gras en bouche, etc.