3.3.3. Agréable

Agréable, qui n’est pas répertorié dans le lexique consulté, est défini ainsi par Chatelain-Courtois :

‘« En dégustation, on dit qu’un vin est agréable s’il n’a pas de défaut majeur et s’il procure un plaisir léger, mais cela sous-entend qu’il n’est pas un grand vin » (1984, 20). ’

Dans le corpus, agréable ne qualifie pas seulement le vin puisqu’il est attesté pour qualifier :

‘c’est agréable’ ‘le nez est agréable’ ‘le côté agréable en bouche
la mise en bouche c’est agréable
la fin de bouche est agréable’ ‘c’est agréable
un vin agréable
un vin agréable au nez
un vin agréable en bouche
quelque chose d’agréable’

La distribution large de agréable 199 a inévitablement pour effet de donner au terme un sens peu précis : il est difficile d’isoler quel trait commun est “au gré” du dégustateur. Agréable est un terme subjectif qui évalue un objet en même temps qu’il implique « un engagement affectif de l’énonciateur » (Kerbrat-Orecchioni, 1980, 84) et l’on ne sait mesurer objectivement ce plaisir léger (d’après la définition) qui est procuré. Ce flou peut disparaître en partie en situation de dégustation par la suppléance que fournit l’isotopie sémantique des qualificatifs associés :

‘l’attaque en bouche… elle est pas du tout acide… c’est frais c’est agréable’ (Vivier 96, n°2).’

Après la description sémantico-discursive de ces trois termes, nous dirons que les termes en dégustation ont des contraintes distributionnelles différentes. Pour des termes comme tannique, les contraintes sont fortes, liées :

Pour les termes qui possèdent un trait quantitatif comme dense, les contraintes sont plus liées à une échelle d’évaluation (fort / faible).

Pour les autres comme ceux qui expriment une idée de plaisir, les contraintes sont moindres. Et l’on pourrait se demander si la faiblesse des contraintes exercées sur un terme entraîne une plus grande probabilité de son occurrence (Gawel, 1997) : autrement dit, est-il moins contraignant pour un locuteur d’employer agréable (qui n’engage que le locuteur) plutôt que tannique ou dense qui sont susceptibles de devoir être justifiés ?

Étudiant la distribution des adjectifs attestés dans son corpus écrit de dégustations de champagnes, Normand constate que les adjectifs les plus fréquents sont volontiers :

‘« liés au locuteur et au moment de l’énonciation », c’est-à-dire « pleinement subjectifs » (1999, 71), ’

et moins dépendants de ce qu’ils qualifient. Elle distingue ceux qui ne qualifient qu’un seul nom (un adjectif de couleur ne peut être attribué qu’à la robe) et ceux pouvant qualifier des constituants différents : le nez, l’attaque ou la finale en bouche, les tanins ou le vin. Ses déductions sont proches des nôtres :

‘« Il apparaît donc que plus la distribution d’un adjectif [ici le cas de beau] est variée et large, plus le sens de cet adjectif s’éloigne d’un sens technique. Au contraire, plus la distribution d’un adjectif est limitée [ici le cas de rond], plus sa technicité augmente » (id.).’

Cette relativité du sémantisme des termes, due au cotexte, mais aussi surtout au cadre communicatif (ie. à l’ensemble des éléments qui forment le contexte et le script de l’interaction) nous permet de soulever déjà les problèmes posés à la fois au locuteur pour signifier, ou plutôt “vouloir-dire” - selon la traduction de to mean que fait Bange (1992) - et à l’interlocuteur pour comprendre et interpréter :

‘« Les mots contribuent à ce processus de construction du sens en apportant ce dont on a besoin dans le contexte et non pas ce qu’ils possèdent potentiellement » (Bange, id., 166).’

Et cette dépendance au contexte expliquerait en partie l’échec du consensus constaté lors des expérimentations (en particulier celles de Lehrer) : ce n’est pas parce que les locuteurs n’emploient pas les mêmes termes qu’on est en droit d’interpréter qu’ils n’ont pas voulu dire la même chose, de même que lorsqu’un terme est employé à mauvais escient, son auteur doit garder la possibilité de reformuler ce qu’il voulait réellement dire. Lors des expérimentations que nous avons exposées précédemment, le “vouloir-dire” des sujets a été interprété unilatéralement et par une seule personne, l’expérimentateur (David, Lehrer, Coutier).

Il reste enfin à souligner que le discours de dégustation étant par essence hédonique, les termes ont tous une valeur axiologique ajoutée une fois considérés dans leur contexte. Ces termes endossent en effet une valeur impérativement laudative :

‘agréable, beau, bon, élégant, franc, généreux, magnifique, superbe…’

même lorsque l’usage courant n’en attribue pas a priori :

‘long, ouvert, rond, souple…’

ou qu’il leur donne une valeur plutôt négative :

‘complexe, gras, mielleux, musqué, nerveux…’

Et certains antonymes peuvent même prendre l’un et l’autre une valeur positive :

‘jeune / vieux, complexe / simple, ferme / tendre…’
Notes
199.

Agréable ne qualifie cependant jamais dans notre corpus la robe du vin, l’aspect visuel.