1.2. Partiellement ritualisées
S’il est vrai qu’il ne s’agit ni d’une rencontre fortuite, ni d’une conversation informelle trouvant en elle-même sa finalité propre, ces interactions peuvent aussi se définir comme des conversations partiellement ritualisées.
- Elles appartiennent à un type de conversation au sens où :
-
- tous les participants ont un rôle égal
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(nous l’avons précisé à propos du schéma participatif), rôle que prend en compte André-Larochebouvy dans sa définition de la conversation :
‘« tous les individus sont des participants sinon de fait, du moins de droit, et il est nécessaire qu’ils se considèrent, fût-ce de façon temporaire, comme des égaux » (1984, 11),’
- ils jouissent d’une certaine liberté de prise de parole, leur permettant un partage de points de vue - malgré des contraintes plus lourdes dues au grand nombre de participants lors des interactions entre élèves et professeur.
- Elles sont partiellement ritualisées :
‘« Les rituels et les prescriptions précis qui encadrent les rencontres formelles peuvent être conçus comme des moyens économiques de simplifier au maximum la définition de la situation » (Cosnier, 1988, 77).’
La situation de dégustation induit des actes programmés à partir d’un savoir faire qui permet le déclenchement de la parole. Différents types de transgression sont néanmoins possibles.
- Exemple de transgression “lexicale” (ou hapax) :
‘discret mais mais on pourrait dire presque que c’est long en nez (S.A.V. n°11, 63).’
Le locuteur s’auto-évalue /je reconnais que j’emploie un terme qui n’est pas adéquat, mais on pourrait presque dire/, il fait allusion à l’expression long en bouche attestée en phase gustative en sachant que le terme long ne s’emploie pas pour définir une odeur ni même un arôme.
- Exemple de transgression gestuelle (en même temps que lexicale) :
‘E. moi j’le trouve euh au premier- l’odeur
A. non c’est pas la dégustation l’odeur
E’. l’aspect
E. ah oui
A. d’abord l’aspect visuel qu’est-ce que-
E. ben j’le trouve assez clair
A. oui (Vivier 96 n°2, 16).’
L’élève E. porte le verre à son nez en même temps qu’il commence à parler, occultant la première phase d’analyse ; le professeur A. intervient pour rappeler que odeur ne s’emploie pas en dégustation ; un deuxième élève E’ “souffle” le mot aspect pour signifier que l’aspect visuel vient en premier lieu et avant la phase du nez.
- Exemple de transgression du script :
‘M. hein alors soit c’est du beaujolais soit du coteaux du lyonnais soit:
C. non mais attends faudrait
P. ooh attends
C. d’abord définir les qualités
D. qu’est-c’qu’on sent
C. les qualités parce que si on commence à donner des noms
D. des p’tits fruits rouges [rire]
C. on va influencer
M. fruits rouges
[rire] (S.A.V. n°17, 1391).’
C. rappelle la tâche en cours qui est de d’abord définir les qualités
ie. de faire l’analyse du vin qui vient d’être servi (ici à l’aveugle), tandis que M. “saute les étapes”, cherchant avec D. et P. à faire une première identification du vin.
- Exemple de transgression du thème :
‘P elle m’a même dit l’autre jour j’sais pl- toutes l- toutes les fois elle elle euh fait un commentaire mais elle hésite pas alors carrément mais je déteste votre parfum
F1 ah:: ça c’est
...
JP attends ne sortons pas du
JJ je déteste votre parfum fff
P c’est gonflé hein
JP j’le sens déjà moins qu’tout à l’heure (JJ & Co n°18, 79).’
Pendant que circule le premier échantillon d’arôme, P. raconte comment l’une de ses collègues de travail lui a fait comprendre qu’elle déteste son parfum : changement de thème qui donne lieu à de nombreux chevauchements. C’est JP qui d’abord ordonne : ne sortons pas du (thème), puis qui remet lui-même le thème sur la “trame” de l’interaction.