2.6.1. Les données paraverbales

Les rires sont tous transcrits dans le corpus. Ils sont fréquents, le plus souvent consensuels, et dénotent la tonalité ludique optée ponctuellement par les participants face au sérieux et à la concentration nécessaires à l’exécution de la tâche.

La prosodie est relevée pour sa fonction expressive (Fonagy, 1983, 149). Il s’agit de : l’intonation, les accentuations et allongements vocaliques et les différences d’intensité au cours d’une même intervention.

  • L’intonation se situe en fin de rhèse :
‘vanille monoï’ (intonation ascendante)
plus léger plus acide ça déjà par rapport à l’autre, (intonation descendante).’

L’intonation ascendante marque le caractère hédonique ou laudatif du terme ou de l’énoncé auquel elle se rattache :

‘c’est un vin qui est suave’ quand même hein en bouche, (Vivier 96 n°2, 92).’

Elle peut également marquer la surprise, lorsqu’elle porte sur la reformulation d’un terme :

‘D. moi j’sens les la banane là hein
M. la banane’ (S.A.V. n°15, 780).’

L’intonation descendante marque parfois le caractère péremptoire d’une assertion, telle que la suivante, énoncée rapidement et sans ambages :

‘oui premier nez’ pétrole, (Vivier 96 n°2, 34).’
  • Les accentuations de syllabes marquent l’intensité de la sensation, ajoutées en “surimpression” aux signifiés verbaux eux-mêmes :
‘donc TRÈS puissant TRÈS boisé (Vivier 97 n°6, 128),
et c’est çA qui nous donne l’astringence cette DUreté là on a des tanins très DUrs (Vivier 97 n°6, 153).’
  • Les allongements de voyelles marquent au contraire la douceur de la sensation et la connotation affective du terme employé :
‘là on peut parler de fine::sse d’élégan::ce 224

ou parfois l’hésitation, mais sur un mot non lexical :

‘au nez c’est franc c’est:: c’est net (Vinorama n°1, 51),
il est:: j’sais pas il est il a quèqu’chose de:: de terroir c’est pas c’est pas un vin en dentelle ça (JJ & Co n°22, 1046).’
  • Les changements d’intensité de la voix relevés (abaissement ou rehaussement de l’intensité) indiquent souvent un changement de registre du locuteur 225  :
‘c’est vrai qu’ça sent un peu la Tahitienne (S.A.V. n°12, 258).’

Le locuteur adopte une voix tout à coup plus grave et faible pour signaler une incise qui tranche à la fois avec le contenu et la tonalité des interventions précédentes.

Les clics, petits bruits provoqués par inspiration dans un mouvement des joues ou un claquement de la langue au palais, sont fréquents en dégustation :

‘- tu vois’ d’où l’idée du curry parce que le curry a cette petite euh (clic) chose (anisée) là (JJ & Co n°19, 320),
- plutôt euh j’sais p- comment on pourrait dire un peu: pas acide mais un peu::(clic lingual) Âpre (JJ & Co n°22, 1012),
- (clic)y’a une sécheresse à (JJ & Co n°22, 1120),
- c’qui est curieux (clic) à la f- euh à la longue … on a une sensation de i tient la bouche mais de picotement mais on n’a plus d’parfum (S.A.V. n°16, 1170).’

Toutes les données paraverbales n’ont pas été retenues : certaines nous ont semblé peu communicatives ou trop ambiguës pour être interprétées.

Celles que nous avons choisies participent à la gestique de la voix ou à ce que l’ancienne rhétorique appelait l’actio, c’est-à-dire la mise en scène du discours. Dans un précédent travail (D.E.A., 1993), nous avions déjà signalé combien les effets prosodiques (variations de la voix, changements de rythme, accentuation ou allongement de phonèmes) étaient fréquents dans le discours de dégustation et pouvaient interférer avec les impressions en bouche. Dans l’énoncé suivant, c’est l’effet allitératif du R, consonne vélaire en contact avec la base de langue, qui donne l’illusion de figurer la zone de perception (ici celle du gras, c’est-à-dire du sucre) :

‘ce côté gRAs ce côté glycéROl ces larmes très RIches 226

Comme si le locuteur (plus précisément durant la phase où le vin est en bouche) tentait en même temps de concrétiser une perception tactile et / ou gustative. Autrement dit pour communiquer une sensation, a) l’énoncé verbal seul n’apporte pas toute l’information et b) le signifié du terme évaluatif choisi se précise une fois mis en situation totextuelle (c’est-à-dire en présence du vin dégusté) et contextuelle (c’est-à-dire énoncé conjointement à d’autres termes). Ici, agréable (avec intonation ascendante) est explicité en préalable :

‘c’est généreux non c’est rond c’est- c’est moelleux c’est généreux c’est agréable’ (Vivier 97 n°10, 563).’

L’expression prosodique devient une partie du signe, remarque Fonagy à propos du concept de beau :

‘« Les éléments prosodiques du langage, l’intonation ou le schéma rythmique […] sont conventionnels mais motivés » (1983, 149).’

Dans certains cas même, aucun support verbal n’est associé :

‘toutes ces ces fruits à chair (clic) en bouche aussi on a ça 227

et, ici, le clic devient un élément quasi-linguistique qui comble la lacune lexicale : le signifiant se rapproche de l’onomatopée et le signifié, interprétable uniquement dans son contexte, serait en l’occurrence une sensation localisée au point de contact de la langue et du palais suggérant (ici) : /juteuse mais légèrement astringente/.

Notes
224.

Énoncé extrait du corpus D.E.A. 1993.

225.

Cf. Fontaney, 1987.

226.

Énoncé extrait du corpus D.E.A. 1993.

227.

Énoncé extrait du corpus D.E.A. 1993.