2.6.2. Les données non verbales

Nous distinguerons : les gestes praxiques liés aux actions en cours, les gestes coverbaux qui accompagnent l’énoncé verbal et les gestes phatiques adressés à l’interlocuteur. Nous ajouterons ensuite une réflexion à propos des regards et finirons par un tableau récapitulatif.

et, en séquence de dégustation :

Ces gestes trouvent leur importance dans l’incidence qu’ils créent au sein de l’interaction et de par leurs caractéristiques, ils sont :

‘tu vois on a encore des jolis reflets violacés encore hein (Vinorama n°1, 31),
(le sommelier regarde son verre au-dessus de la manche de sa chemise blanche et se penche vers son interlocuteur). ’

On trouve aussi les gestes de lever du verre, les mouvements de la tête (lever du menton) :

‘c’est à peu près le degré que l’on trouve dans ce type de vin (Vinorama n°1, 48),
(le sommelier désigne du menton la bouteille posée sur la table),’

ainsi que plus rarement le pointage de l’index (de la main qui ne tient pas le verre !) :

‘parce que ça sent l’sirop d’framboise (JJ & Co n°20, 478),
(sur “ça”, F1 pointe l’échantillon). ’

Ces désignatifs du vin attestés sont quelquefois redondants avec le contenu verbal, comme avec l’énoncé déjà cité dans lequel les référents évoqués sont concrets (ici la couleur du vin) :

‘tu vois on a encore des jolis reflets violacés encore hein (Vinorama n°1, 31).’

Mais souvent le déictique lui-même est difficilement repérable, associé à un signifiant verbal référentiellement flou. Dans l’intervention suivante située en fin de la phase gustative, le locuteur s’adresse aux autres en regardant son verre, ce regard peut désigner le vin qui n’est pas dénoté :

‘y’a un bel équilibre (Vinorama n°1, 107).’ ‘« ils donnent une représentation imagée d’un référent abstrait ou purement conceptuel » (Cosnier, Vaysse, 1992, 43).’

On les trouve en dégustation pour exprimer une sensation interne, comme dans l’énoncé suivant dans lequel ferme est accompagné d’une accentuation de la syllabe et du geste du poing fermé :

‘une finale un p’tit peu : : FERme 233

Ils accompagnent, mais peuvent aussi anticiper voire remplacer le signifiant verbal :

‘il a une attaque vraiment (JJ & Co n°22, 984),
(sur “vraiment” : geste du poing fermé amené en avant pour figurer /en force/, le signifiant franche est énoncé ensuite).’

On les trouve aussi avec les signifiants comme pointe :

‘avec une légère(ment) pointe d’aci- de : d’amertume (JJ & Co n°20, 474),
(sur “pointe” : la main est levée, les doigts frottés comme pour figurer /pincée de sel/).’ ‘« principalement les mimiques affectives faciales qui connotent le contenu du discours qu’elles qualifient » (Cosnier, 1987, 296).’

En dégustation, il est difficile de séparer les mimiques faciales qui connotent le contenu du discours de celles qui expriment une émotion provoquée par un sens. De plus, tous les expressifs ne sont pas identifiables ni identifiés :

‘« il y a d’innombrables nuances du visage et du corps qui témoignent de l’affectivité d’un acteur social dans un contexte donné » (Le Breton, 1992, 120).’

Nous avons relevé les plus régulières et les mieux perceptibles : les moues du visage qui traduisent l’effet de plaisir / déplaisir de la sensation perçue. Souvent, comme les clics, elles alternent avec l’énoncé verbal :

‘par contre (mimique + geste) en rétro-olfaction (mimique + geste) (Vivier 96 n°2, 63).’

Cet énoncé est entrecoupé deux fois d’un geste idéographique (rotation de la main avec impression de doigts “qui collent”) et d’une moue de dégoût avec mouvement de la mâchoire et claquement de la pointe de langue. Le locuteur intervient à nouveau :

‘oui on a un peu pâteux hein un peu collant pâteux’

On peut parler ici de deux gestes cataphoriques capables d’exprimer la sensation (ici, pâteux, collant) avant sa verbalisation. Souvent, la mimique précède la verbalisation :

‘« Dans l’interaction les signes du corps, et surtout ici ceux du visage, précèdent en quelque sorte la parole et la rendent intelligible » (Le Breton, 1992, 107).’

La fréquence des coverbaux attestés dans le corpus, associés ou non aux paraverbaux, prouve l’importance de leur rôle en dégustation et marque la difficulté des locuteurs à évoquer le mot “juste”. Les coverbaux ont donc, pour le locuteur qui les sollicite, une fonction salvatrice : en surgissant plus spontanément qu’un énoncé verbal, ils réussissent à compléter, à concrétiser ou à remplacer un concept flou ou abstrait. Leur occurrence en dégustation illustre ce rôle homéostatique et facilitateur de la parole dont parlent Cosnier et Vaysse :

‘« Rôle facilitateur cognitif qui s ‘exercerait en amont de la génération des phrases » (1992, 45).’

Les coverbaux expriment une sensation encore non verbalisée, c’est pourquoi leur concomitance avec l’énoncé est rare. Ils occupent la place durant laquelle le locuteur hésite, cherche ses mots. Leur rôle n’est pas limité au simple niveau du contenu informationnel. Ils ont aussi, à un niveau formel, un rôle interactionnel de remplissage des pauses : à l’intérieur d’une intervention, ils s’intercalent avec la parole et maintiennent le “fil” de l’énonciation évitant au locuteur le risque de perdre son tour.

‘« tout ce qu’entreprend une personne pour que ses actions ne fassent perdre la face à personne (y compris à elle-même) » (1974, 25).’ ‘2. c’est un p’tit peu alcooleux aussi
1. tu trouves’ (Vinorama n°1, 64).’
Tableau 4 récapitulatif :

GESTES
EXTRA-COMMUNICATIFS
COMMUNICATIFS
Praxiques
Orientés vers une tâche
- Lever du verre, tourner le vin, approcher le verre d’un fond blanc…
- Approcher le verre ou l’échantillon du nez, aérer le vin…
- Mettre en bouche, mâcher le vin en inspirant, cracher…
 
Déictiques
Dénotent la présence du vin (ou de l’échantillon)
  - Pointer du regard, du doigt ou du menton…
- Lever le verre…
Idéographiques
Associés au contenu verbal imagé
  Mouvements de la main pour figurer :
- une qualité (ex. ferme, franche…)
- ou une quantité (ex. une pointe…).
Expressifs
Connotent le contenu verbal (au niveau du visage)
  - Moues (de déplaisir)
- Mimiques de plaisir (sourire)
Phatiques
Maintiennent la communication
  - Avancée du buste,
- Regard adressé en levant et en tournant la tête…
Regards - Regard baissé
- Regard “vide”
- Regard déictique
- Regard phatique
Notes
228.

Ainsi que, très protocolaire chez les sommeliers, l’enchaînement (non attesté dans le corpus) de gestes nécessaires à la mise en carafe et exécutés à l’aide d’une bougie.

229.

Cette codification démarre dès la prise du verre qui doit être tenu par le pied afin de ne pas gêner l’examen visuel et de ne pas réchauffer le vin.

230.

Les gestes praxiques perdent néanmoins de leur fonctionnalité à mesure qu’ils sont répétés : en dégustation, la répétition des gestes de tourner le vin ou de porter le verre à son nez est fréquente et peut prendre en fin valeur de “parade“ (Goffman, 1973) durant laquelle le verre ne devient plus que simple instrument de manipulation.

231.

En conséquence, l’interaction est plus ou moins interrompue durant l’exécution des praxiques : les regards sont différents et la production verbale moindre.

232.

Les énonciatèmes sont les indices repérables en discours qui indiquent la situation de l’énonciation comme le lieu (ici), le temps (maintenant) et les personnes en présence (Kerbrat-Orecchioni, 1980, 31).

233.

Énoncé extrait du corpus D.E.A. 1993.