4.3.1. Les valeurs de la proposition initiative

L’information apportée par la proposition (en séquence de discrimination d’arôme) est une dénomination relative à un référent présent et mono-typé “odeur de X”. Le locuteur doit énoncer un signifiant juste et à propos, or il sait aussi que :

  • le référent n’est pas connu que de lui seulement mais des autres participants dont la tâche non verbale est identique 269 ,
  • le signifiant qu’il énonce n’étant pas graduable, il contraint ses interlocuteurs à en approuver ou en réfuter la totalité.

Sa proposition risque donc :

  • d’enfreindre une des maximes conversationnelles définies par Grice (1979, 45), celle de la pertinence - ou de la qualité relation - qui oblige à apporter une information “à propos” (be relevant),
  • d’être menaçante au regard des faces en jeu : sa propre face (je risque d’énoncer un truisme ou de me tromper de signifiant) et celle des autres participants (je risque d’être trop péremptoire).

Il propose alors un signifiant en se ménageant (pour se réserver un droit à l’erreur) et en ménageant les autres (pour leur offrir la possibilité de proposer un autre signifiant) :

  1. en baissant le regard (principe de modestie)Dans certains cas cependant, le regard baissé peut avoir une double interprétation : lorsque le locuteur tient l’objet dans ses mains (l’échantillon d’arôme ou le verre de vin), son regard peut être à la fois un “adoucisseur” et un déictique s’il est dirigé très nettement vers l’objet.,
  2. par des marqueurs d’hésitation (j’ crois qu’ c’est la framboise, je dirais, ça pourrait être de la framboise aussi…).

De cette manière, la proposition initiative est une sorte de déclarative-stimulus en attente d’une réaction et :

‘« sentie comme question (de l’espèce “requête de confirmation”) » 271

dans la mesure où :

  1. elle ouvre un échange : le locuteur en s’engageant, incite ses partenaires à en faire de même ;
  2. elle ponctue le tour de parole : le locuteur cède toujours la parole après sa proposition en signalant la fin de son tour par une intonation finale descendante et en levant de nouveau son regard ;
  3. elle possède un fort degré de sollicitation d’autrui, que Ducrot définit comme un type d’argumentation :
‘« Il me semble même possible (mais cela reste encore très vague et programmatique) d’intégrer l’acte d’argumenter à l’acte d’affirmer : on attribuerait donc à l’affirmation cette deuxième propriété, de conférer au destinataire comme “un devoir de conclure” » (1991, 287). ’

La sollicitation des autres participants à se positionner par rapport à l’information donnée est si forte qu’elle les amène à interpréter la proposition comme une question fermée 272 .

Notes
269.

Malgré tout, la perception de ce référent étant interne, l’information ne peut être entièrement ostensible : l’assertion vanille monoïn’est pas en effet un constat aussi tautologique que dans les cas où la perception est externe (voir supra l’analyse comparative : *je trouve que c’est un vin rouge / je trouve que c’est un vin agréable).

271.

Selon Stati cité par Kerbrat-Orecchioni (1991, 8).

272.

C’est-à-dire une question dont la réponse peut se réduire à oui ou non, la question fermée s’oppose à la question ouverte qui peut être, par exemple : que pouvez-vous dire de cet arôme ? de ce vin ? La question fermée, comme l’assertion, est référentiellement complète (Rémi, 1991, 60). Comme la question rhétorique (est-ce que vous trouvez pas un p’tit côté euh: viandé animal), elle contient le contenu de la réponse.