1.2. Critères d’identification des épisodes négociés

1.2.1. L’extension de l’échange

Le désaccord, quand il est négocié, donne effectivement lieu à une extension de l’échange, qu’il soit binaire ou ternaire :

‘« Si la réaction ou l’évaluation est négative, on observe une extension de la négociation et de l’échange qui peuvent compter cinq, sept, phases ou interventions, voire davantage, jusqu’à ce que soit satisfaite la contrainte du double accord » (Roulet, 1986, 190).’

Une négociation est donc d’abord repérable lorsque l’échange devient complexe ou lorsqu’il y a extension, comme dans l’extrait suivant :

‘C. mais mais on pourrait dire presque que c’est long en nez
P. oui ça reste ça reste dans l’nez
M. oui
P. ça reste dans l’nez oui
M. oui ça reste oui
D. oui c’est prégnant hein
M. c’est prégnant oui
C. c’est assez prégnant on met un certain temps à l’percevoir mais après
M. oui i reste
C. euh ça reste dans la mémoire un peu
M. (oui inspiré) oui
P. oui (S.A.V. n°11, 62).’

Ces deux échanges particulièrement étendus, où ne se manifeste pourtant aucun désaccord, sont le lieu de deux négociations de signifiant. Ils contribuent à circonscrire une sensation définie à partir d’un terme (long) qui n’est en principe pas approprié à la sphère sensorielle en question. Le premier échange est initié par C. qui introduit le terme long après une formule de précaution (on pourrait presque dire). Le deuxième est initié par D. qui reformule la proposition de C. à l’aide d’un autre signifiant prégnant. Chacune des propositions initiatives donne lieu à des suites d’affirmations directes (oui), autour des isotopies sémantiques relatives à l’intensité et à la durée de la perception.

L’échange peut aussi être interrompu, en enchâssant un autre, lorsqu’un des locuteurs sollicite ses interlocuteurs :

‘E. ben:: déjà la couleur euh il a:... un peu foncé avec un: comment ça s’appelle euh
A. un disque
E. un disque un peu: orange et jaune
A. oui tout à fait (Vivier 97 n°6, 112).’

Ce sont principalement des lieux du désaccord qui marquent l’apparition d’une négociation (Traverso, 1999, 76). Ce désaccord peut être explicite, exprimé soit par la négation :

‘[à propos d’un échantillon d’arôme]
JP citron mais euh
P. non
J. non (Oingt n°25, 26),’

soit par une contre-proposition :

‘[à propos de l’impression finale du vin dégusté : proposition et contre-proposition sont chacune introduites par moi je trouve]
P. moi j’trouve i s’est dissocié c’est- y’a des éléments mais c’ ça fait pas un-
M. oh non moi j-
P. quèqu’chose de fondu
M. ah si moi j’trouve que c’est très fondu euh (S.A.V. n°16, 1225),’

soit par des marqueurs, comme oui mais :

‘à propos de l’aspect olfactif
D. mais un peu citron et orange
C. oui
P. mm
M. ah oui mais ça c’est l’côté piquant
D. ah oui mais il est là hein (S.A.V. n°15, 916).’

Mais il peut également demeurer implicite s’il y a apposition de la contre-proposition ou si un argument vient contredire la proposition :

‘[à propos d’un échantillon d’arôme]
F1 oui la mûre ça y est
F2 la crème de cassis (JJ & Co n°18, 106).’ ‘[Mg trouve que l’arôme est trop doux pour être pamplemousse]
JP j’me disais citron ou pamplemousse
Mg c’est plus sucré que l’pamplemousse (Oingt n°25, 57).’

Il peut encore n’être que sous-entendu par une demande de confirmation :

‘[à propos du nez du vin]
2. c’est un p’tit peu alcooleux aussi
1. tu trouves’
2. oui, (ça r’monte… ) (Vinorama n°1, 62).’