1.2.2. La répétition et la reformulation

Reprenant les distinctions élaborées par de Gaulmyn (1987, 86), nous appellerons répétitions (ou reprises, Vion, 1992), les actes de réitérations pouvant porter sur un même mot, un syntagme, une phrase ou partie de phrase et, reformulations tous les actes de paraphrasage et de correction (comme les substitutions synonymiques ou isotopiques, définitions, explicitations, transpositions d’un énoncé...) ne relevant pas cependant de la régulation d’un conflit 283 .

À la suite de Roulet, Rossari définit la reformulation comme un processus de rétrointerprétation par lequel :

‘« le locuteur, suite à une première formulation donnée comme autonome et donc formant un premier mouvement discursif, en ajoute une seconde qui vient englober la première en la subordonnant rétroactivement » (1994, 9). ’

Les répétitions (réitération d’un signifiant ou rephrasage) et les reformulations sont un moyen de repérer les épisodes de consensus. Elles marquent le plus souvent l’adhésion de L2 à la proposition de L1 et installent une forme d’empathie verbale autrement appelée phénomène de chorus 284 à travers lequel un énoncé est repris en partie ou même intégralement, comme ici à propos du nez du vin :

‘3. il évolue là
1. il évolue
3. oui oui
1. il part sur la torréfaction après
3. oui c’est vrai
1. là c’est plutôt
3. il part sur la torréfaction (Vinorama n°1, 79).’

Au cours de deux échanges, les sommeliers 3. et 1. font part des changements perçus au nez au fur et à mesure de l’aération. Le premier échange comprend les trois premières interventions :

  • 3. initie le premier échange avec l’énoncé il évolue là qui est en même temps une demande de confirmation, le déictique temporel présupposant un changement perceptif tout récent,
  • 1. réagit en écho avec le rephrasage littéral de la proposition de 1. 285
  • 3. confirme, en surimpression avec un oui répété, sa propre assertion.

Lors du deuxième échange que constituent les quatre interventions suivantes,

  • c’est 1. qui initie cette fois l’échange, également avec une assertion il part sur la torréfaction après,
  • et c’est 3. qui “se range” du côté de 1. en énonçant clairement son accord oui c’est vrai,
  • 1. initie ensuite un échange tronqué là c’est plutôt qu’interrompt 3.,
  • 3. cautionne en finale l’intervention de 1. avec une nouvelle fois une reprise en écho de l’intervention initiative.

Une telle surenchère de répétitions et de confirmations illustrent ici :

actes coénonciatifs d’appropriation totale ou partielle d’un énoncé par l’ensemble des locuteurs.

Mais la répétition en tant qu’intervention réactive n’est pas exclusivement la marque du consensus et peut être l’indice du non-ralliement à la proposition avancée :

‘[à propos du nez, sur ce que sera le vin en bouche, A. le professeur laisse l’élève E. faire son propre jugement… et le modifier lui-même après la mise en bouche]
E moi j’pense qu’il doit être très sec
A. très sec bon alors vous allez l’mettre en bouche (Vivier 96 n°2, 45).’

Ce non-ralliement est souvent une mise en doute marquée par la surprise (intonation montante) :

‘[à propos du nez du vin]
E. du pruneau
A. pruneau’
E. non’(Vivier 97 n°9, 464).’

Ou plus clairement par le refus d’une ratification :

‘M. ... ça a une odeur de blanc typique un peu
C. ah une odeur de blanc typique
M. piquante
C. ça veut pas dire grand chose (S.A.V. n°15, 783).’

Les reformulations non plus ne sont pas l’apanage du seul consensus :

‘[A. le professeur rectifie l’emploi d’un terme]
E. et euh au nez c’est: assez tannique...
A. euh le nez on peut pas dire tannique au nez on peut dire très puissant (Vivier 97 n°6, 123).’

Et des connecteurs comme oui mais, quand même… permettent d’identifier un désaccord :

‘oui oui non mais d’accord mais n’empêche que (S.A.V. n°14, 693).’

Notes
283.

De Gaulmyn précise : « les énoncés métacommunicationnels assurent la régulation de l’interaction, ou bien ils servent à arbitrer et à résoudre un conflit ou un incident qui a perturbé l’interaction., mais ils n’appartiennent pas au processus de reformulation : la reformulation ne permet au discours de progresser par coopération entre les interlocuteurs que si les conflits et les problèmes de communication sont résolus » (1987, 92).

284.

Kerbrat-Orecchioni et Plantin (1995, 10).

285.

Cette reprise en écho est une forme d’empathie. « La notion d’empathie recouvre un état psychologique fait à la fois de consensus, et de proximité affective » (Kerbrat-Orecchioni, 1992, 142). Elle rejoint le phénomène d’échoïsation défini par Cosnier « comme la reproduction en écho par un interactant d’une activité gestuelle (échopraxie), mimique (échomimie) ou sonore (échophonie ou écholalie) de son partenaire » (1998, 88). Elle vise ainsi « à légitimer le [premier] locuteur dans sa prise de parole, justifiant qu’il est habilité à poursuivre pour son propre compte » (Vion, 1992, 223).