1.2.3. Problème de l’échange tronqué

Nous dirons que le désaccord est explicite s’il est repérable par ses marqueurs verbaux, para-verbaux (intonation de la surprise ou du doute) ou gestuels (moue de surprise ou de doute) en réaction à une intervention initiative. En l’absence de réaction en revanche, l’interprétation est plus délicate comme nous l’observons dans le cas des échanges tronqués où des interventions se trouvent en “incise” à l’intérieur d’un autre échange ou d’une intervention :

‘[à propos de l’aspect gustatif, un élève avance des propositions non reprises par A. qui poursuit son intervention]
A. la fin d’bouche est: assez agréable
E. moi j’trouve qu’il est gras
A. par contre [mimique + geste] en rétro-olfaction [mimique + geste]
E. (c’est huileux’)
A. oui on a un peu pâteux hein un peu: collant pâteux (Vivier 96 n°2, 64),’ ‘[à propos de l’aspect gustatif, les trois interventions de F1 ne s’insèrent pas dans l’échange entre JP et JJ] :
F1 il est pas gras comme l’autre i laisse pas le même euh filet gras sur la langue
JP d’ailleurs...
F1 il est léger celui-ci
JJ c’est marrant (parce qu’il a un ...)
F1 il est léger
JJ il a un bouquet extraordinaire
JP et ça correspond pas en bouche
JJ et ça correspond pas du tout en bouche (JJ & Co n°23, 1180).’

Pour ces deux suites d’échanges, tout se passe comme si le locuteur (E. ou F1) n’était pas entendu ni cautionné par le groupe. L’absence de réaction peut amener à au moins deux lectures possibles :

  1. La première nie tout désaccord. En mettant en avant l’adage “qui ne dit mot consent”, on interprétera le silence des interlocuteurs comme une marque d’adhésion et l’on admettra qu’il n’y a pas conflit. Ce peut être le cas dans les échanges entre élèves et professeur du fait des différences de statut et du déséquilibre des niveaux de connaissance en dégustation : il n’y a pas désaccord, mais plutôt accord obligé.
  2. La deuxième lecture plus pragmatique prend en compte une analyse sur plusieurs niveaux et tend à faire un cas particulier de chaque occurrence : la réaction peut être lue simplement au niveau non verbale (mimique de surprise, mouvement de négation de la tête…) ; ou bien, inaudible, elle n’a pas pu être transcrite du fait de chevauchements, d’un bruit de fond soudain.

Interpréter comme un accord tacite ou comme une forme de désaccord implicite l’absence de réaction aux interventions initiatives reste donc incertain. Qu’ils soient implicites ou non, nous étudierons les désaccords qui débouchent véritablement sur une négociation. Heureusement, toute proposition ou acte évaluatif peut donner lieu à une mini-négociation sans qu’il y ait eu préalablement un désaccord ; et, nous verrons que certaines formes de désaccord n’entraînent pas de véritable négociation non plus. Avant d’analyser la négociation, nous voyons comment se déroulent à l’inverse les épisodes de consensus.