2.2. La co-construction

Il arrive également que le consensus ne soit pas spontané, mais qu’il doive se construire avec l’intervention de deux ou plusieurs participants. Nous parlerons de co-construction (Traverso, 1999) lorsqu’une mini-négociation permet d’aboutir à l’accord. Les locuteurs tentent ensemble de définir le référent qui leur est présenté et dont ils parlent :

‘F1 la mûre
JP oui moi aussi j’pense à la mûre
F1 la mûre
JJ la m- la mu- la mûre très mûrie bon
F1 très mûrie très rouge très
JJ oui
JP plutôt une mûre de- plutôt une mûre de parfum féminin que de
F1 oui la mûre ça y est
F2 la crème de cassis
JJ (musqué)
F1 oui cassis ou mûre (JJ & Co n°18, 97).’

Il arrive également que le premier locuteur L1 ait marqué une hésitation laissant ainsi L2 compléter l’intervention et s’approprier en quelque sorte la proposition de L1 :

‘[description de l’aspect visuel : pour 2. et pour 1. glycérol et alcool sont équivalents]
2. une présence de glycérol euh: assez importante
3. oui c’est vrai
1. ou d’alcool hein
2. oui glycérol ou alcool bien sûr (Vinorama n°1, 43).’ ‘3. en bouche y’a une attaque euh
2. franche
3. oui c’est franc une attach- une attaque qui n’est pas trop nerveuse (Vinorama n°1, 88).

M. i fait plus vert quand on le- le respire et en bouche il fait beaucoup plus:
D. étoffé
M. plus étoffé (S.A.V. n°16, 1119).

A. mais s- c’est la fin d’bouche qui est-
E acide
A. un peu déséquilibrée c’est pâteux et acide on dirait qu’on a Rajouté de l’acidité dans c’vin qu’on a acidifié ce vin (Vivier 96 n°2, 72).’

Cette construction collective d’une même intervention est un cas fréquent en situation de polylogue (Kerbrat-Orecchioni, 1990, 227). L’accord s’établit sur plusieurs tours de parole.

La co-construction est aussi caractérisée par l’apparition fréquente des reformulations. Dans les échanges suivants, la première intervention de M., entrecoupée de régulateurs (ah bon, ah oui) comprend un début d’auto-reformulation (avec le connecteur c’est-à-dire). Puis, devant l’hésitation de M., c’est D. qui interrompt avec une hétéro-reformulation, proposition à laquelle M. se rallie :

‘[en fin de séquence, une fois découverte la bouteille du vin servi à l’aveugle]
M. moi j’ai pensé au à l’Alsace tout de suite parce que dans l’Alsace
P. ah oui
M. y’a toujours ça dans l’Alsace
D. ah oui
M. c'est-à-dire qu’à l’odeur il est
D. ah bon
M. il est toujours euh
D. le bouquet est pas extra
M. non -fin moi j’trouve hein
C. oui
M. ça m’a fait penser à ça (S.A.V. n°16, 1285).’

On peut s’interroger sur le degré de sincérité de L1 lorsqu’il ratifie le terme proposé par L2 : était-ce exactement le terme recherché, une seconde proposition aurait-elle primé ? Il reste que l’accord est patent et que les échanges relevés sont interprétables comme des épisodes de consensus.