Le masculin, un sujet non universitaire ?

En effet, peu d’universités proposent des enseignements et des recherches sur le masculin, tandis qu’elles disposent de départements, depuis quelques décennies, sur les études féminines avec le courant des Women’s Studies ( le premier cours donné fut sur le thème “ les femmes ont-elles une histoire ? ” à l’université Jussieu en 1973). Si les femmes ont d’abord été étudiées, c’est vraisemblablement parce qu’elles présentaient, aux yeux du monde, une particularité : silencieuses et cachées, existants hors de l’espace public, elles devenaient un objet à saisir pour comprendre ces zones d’ombres. De plus, aidées par le développement de leur condition sociale avec le mouvement de libération et la féminisation du travail, allié au développement de certaines sciences et méthodologies facilitant leur étude, les femmes sont devenues un sujet d’étude émergeant. Longtemps ignorée par une société androcentriste, évoluant dans la sphère privée, sphère encore alors réellement intime et donc réservée au seul regard de ceux qui en faisaient partie, la femme fut longtemps scientifiquement ignorée. Michèle Perrot analyse ce silence de la recherche sur les femmes par le fait qu’elles vivaient hors du temps et que “ le silence pèse plus lourdement encore sur elles, en raison de l’inégalité des sexes, cette valence différentielle qui structure le passé des sociétés. Il est la donnée première où s’enracine la seconde : la déficience des traces relatives aux femmes et qui rend si difficile, quoique très différemment selon les époques, leur appréhension dans le temps. Parce qu’elles apparaissent moins dans l’espace public, objet majeur de l’observation et du récit, on parle peu d’elles, et ce, d’autant moins que le récitant est un homme qui s’accommode d’une coutumière absence... ” 12 . S’intéresser aux femmes, c’était alors s’intéresser à un être comportant forcément des zones inconnues et donc une

matière à rechercher, alors que les hommes, n’avaient rien d’intéressant à faire découvrir puisque évoluant dans la sphère publique et qu’ils étaient représentés comme inattaquables par nature. Et ce sont ces études féminines (Women and Gender Studies) développées dans les pays anglo-saxons qui ont amorcé les recherches sur le masculin, au nom de la complémentarité des sexes qui, en France, commencent à se multiplier avec un retard important par rapport aux universités britanniques, américains et québécoises. En effet, les chercheurs américains, québécois...ont créé des collections d’ouvrages et des cercles de paroles bien avant que ceux-ci n’aient lieu en France : ainsi les publications de Chabot, Corneau, Dorais, Dulac... ont été publiées au Québec dès le début des années 1980, alors qu’en France, ce champ d’étude était alors quasiment vierge 13 et présente plus d’une dizaine d’années de retard.

Longtemps, l’université française a favorisé certains sujets d’études qualifiés de “ nobles ” aux dépens de tous les sujets dits populaires. Nous reviendrons sur cette expression puisque notre sujet d’études appartient à cette catégorie si longtemps décriée et déniée, de plus il est, au début de cette thèse, un sujet en émergence. En outre, si la tendance à l’interdisciplinarité semble faire désormais l’unanimité chez les chercheurs, il resterait quelques poches de résistance à traiter des sujets qui nécessitent le recours à diverses disciplines comme la sociologie, la psychologie, les sciences de l’information et de la communication... Or, ne pas utiliser tous ces domaines est la porte ouverte à des manquements d’analyse et à laisser des pans entiers des objets étudiés dans l’ombre, faute de moyens et de méthodes pour aller les découvrir.

C’est la possibilité de s’intéresser à un sujet en émergence, vierge de toute étude universitaire en France du fait de sa jeunesse, de travailler chaque jour au fil de l’évolution de cet objet qui renvoie aux transformations d’un secteur de la presse magazine ( la nouvelle presse masculine venant renouveler la presse masculine traditionnelle) qui est à l’origine de notre choix de sujet, d’autant plus que de multiples articles journalistiques évoquaient cette nouvelle presse en la présentant notamment comme une adaptation au masculin de la presse féminine ; nous verrons que la nouvelle presse masculine est très différente de la presse féminine puisque contrairement à cette dernière, la nouvelle presse masculine n’est, entre autre, pas politisée. C’est donc à un objet non “ conventionnel ” 14 que nous avons consacré cette thèse.

Notes
12.

PERROT M.,  Les femmes ou les silences de l’Histoire, op.cit, p 111.

13.

Didier ERIBON montre dans l’introduction des actes du colloque du centre G. Pompidou de juin 1997 intitulé “ Les études gays et lesbiennes ” que les recherches sur l’homosexualité féminine et masculine sont actuellement confrontées aux mêmes difficultés : à savoir, un retard d’une quinzaine d’années sur les travaux américains qui sont enseignées aux sein des Gay and Lesbians Studies dans les universités et que les travaux français n’étant pas réunis en un champ d’études, apparaissent comme isolés et que par conséquent certains ouvrages sur l’homosexualité française sont écrits par des américains et que des périodes contemporaines n’aient encore été que très peu étudiées. Il semblerait que les études gays et lesbiennes subissent actuellement ce que les études masculines ont elles aussi subi au moment de leur émergence.

14.

Par objets non-conventionnels, nous entendons les sujets qui passent à côté du champ universitaire, notamment à cause de leur jeunesse, de leur récente émergence…