-Les objets populaires et la légitimité culturelle

Dans le numéro d’Esprit 15 consacré à la culture, Olivier Mongin rappelle en introduction les diverses définitions données de la “ culture populaire ”, entre culture folklorique, culture ouvrière et culture identifiée à la culture de masse. Patrick Mignon insiste dans l’article De Richard Hoggart aux Cultural Studies 16 sur les difficultés à définir ce terme et les divers positionnements face aux rapports qu’elle entretient avec la culture de masse : il rappelle que l’“ on connaît toutes les difficultés de l’utilisation de ce terme de culture populaire qui peut désigner (définition anthropologique) aussi bien le style de vie ou la vision du monde du peuple ou de sa partie la plus éloignée des richesses économiques et culturelles ou du pouvoir que les produits proposés par les industries culturelles et consommés par les masses, auquel cas culture populaire est synonyme de culture de masse ; qui peut désigner ce qui est apprécié par le plus grand nombre mais qui est considéré comme n’étant pas de très grande qualité esthétique ou morale et attirant de ce fait le regard méprisant ou condescendant des dominants sur les pratiques et les valeurs populaires, culturellement supérieures parce qu’authentiques. On pourrait multiplier à l’infini les exemples de l’ambiguité d’un mot qui n’est jamais description neutre d’objet mais se trouve toujours pris dans une dimension évaluative impliquant une distance au pouvoir ou à la Culture, un statut d’activité ou de passivité, de conscience élevée ou d’aliénation. Si c’est un synonyme pour culture de masse, on est menacé par le pessimisme adornien qui présuppose la passivité des masses et oublie que les consommateurs ont peut-être quelques marges d’autonomie dans l’interprétation ou l’acceptation des messages. Et si l’on voit des pratiques culturelles enracinées dans le peuple ou des sections spécifiques du peuple, on court le risque du romantisme populiste ou d'une vision essentialiste du peuple” 17 . Diversement définie et beaucoup employée, la culture populaire est utilisée pour aborder des sphères élargies de la population : elle peut renvoyer au plus grand nombre, c’est pourquoi elle est régulièrement employée sous le terme de “ culture de masse ”. Ce rapprochement entre deux expressions “ culture populaire ” et “ culture de masse ” qui, pour Mattelart sont “ interchangeables outre-Manche ” 18 , est inconcevable en France pour Geneviève Payol : “ il est impossible à un chercheur français de confondre, comme le font encore certains chercheurs anglo-saxons, culture de masse et culture populaire ” 19 . La distinction entre ces deux expressions serait sociale : la culture de masse regroupe les différentes pratiques d’un groupe nombreux, socialement hétérogène : E.Morin la définit comme “ produite selon les normes massives de la fabrication individuelle, répandue par des techniques de diffusion massive( qu’un étrange néologisme anglo-latin, appelle mass-média), s’adressant à une masse, c’est-à-dire un gigantesque agglomérat d’individus saisi en deçà et au-delà des structures internes de la société (classe, famille...) ” 20 . La culture populaire renverrait plutôt à la culture de la classe dite populaire, définie en matière de capital économique faible et de domination par les détenteurs des pouvoirs économiques. Si longtemps cette classe sociale put être délimitée selon des critères précis, comme le revenu, l’évolution de la société a entraîné une reformulation des classes sociales. Ainsi Hoggart, en 1970 dans La culture du pauvre montrait la difficulté à définir cette classe sociale, dans une partie de son étude intitulée “ la classe populaire : une esquisse de définition ” : “ il n’est pas facile de définir précisément les “ classes populaires ” au sens où mon étude les prend pour objet...Sauf erreur de ma part, les attitudes que je décris dans la première partie de l’ouvrage sont suffisamment répandues au-delà de la classe ouvrière proprement dite, dans l’ensemble des couches sociales qui constituent ce qu’on peut appeler les “ classes populaires ” pour que l’analyse garde une portée générale. En particulier, mainte attitude que je qualifie globalement de “ populaire ” pourrait aussi bien être attribuée aux couches inférieures de la petite bourgeoisie. Je ne vois pas comment on pourrait éviter ce genre d’approximation. ” 21 . La presse populaire se heurte alors aux débats engagés par les intellectuels sur la culture de masse et sur la culture populaire, entre différents paradigmes dont deux principaux : celui de l’Ecole de Francfort postulant une culture homogénéisée, homogénéisante et aliénante pour le consommateur, le récepteur est alors déclaré passif ; et un courant “ populiste ”, postulant le choix du récepteur : le récepteur est alors un être actif, libre de ses choix et de sa réception : les chercheurs proposent ainsi une vision idéologique de la culture populaire et culture de masse.

Notes
15.

Esprit, n° 283, mars-avril 2002.

16.

MIGNON P., “ De Richard Hoggart aux Culturals Studies ”, Esprit, n° 283, mars-avril 2002, pp. 179-190.

17.

MIGNON P., “ De Richard Hoggart aux Culturals Studies ”, Ibid, pp. 180-181.

18.

MATTELART A et M.,  Penser les médias. Paris, La découverte, 1986, p.199.

19.

 POUJOL G. et LABOURIE R(sous la dir.)., Les cultures populaires. Toulouse, Privat, 1979, p. 36.

20.

MORIN E.,  L’esprit du temps . Névrose. Paris, Grasset, 1962, p. 15.

21.

HOGGART R., La culture du pauvre. Paris, Les éditions de minuit, 1970, p. 44.