PARTIE 1.
LA “ NOUVELLE PRESSE MASCULINE ” OU LE RENOUVELLEMENT D’UN CHAMP DE LA PRESSE MAGAZINE EN FRANCE.

Etudier la “ nouvelle presse masculine ” implique de fait la nécessité de s’intéresser à ce qui vaut à celle-ci cette désignation liée à la nouveauté. Comment pourrait-il y avoir une “ nouvelle ” presse masculine sans une “ ancienne ” ? Comment retracer une histoire de la presse pour les hommes d’aujourd’hui sans évoquer celle des hommes d’hier ? En quoi la seconde a-t-elle influencé la première et en quoi diffère t-elle ? La difficulté de la réponse réside dans l’absence de travaux historiques sur cette presse puisque peu de constats ont été menés sur ce que fut la presse masculine jusqu’à l’émergence de la “ nouvelle ”. Ces rares évocations serviront ici de points de départ d’une confrontation entre les anciennes et nouvelles formules de la presse masculine.

En 1987, S. Naifeh et G. W Smith, dans leur ouvrage consacré à la non-communication des hommes, relevaient l’écart existant entre les langages féminins et masculins, prenant alors pour illustration les presses féminines et masculines : “Les magazines masculins, contrairement aux magazines féminins, mettent l’accent sur l’information plutôt que sur l’analyse, sur les résultats plutôt que sur les raisons. Les problèmes masculins n’intéressent absolument pas les hommes, affirme une rédactrice de Penthouse. Les hommes se refusent à dire quoi que ce soit de négatif à propos de leur sexualité. Ils ne veulent pas penser à cela. Ils veulent s’identifier aux play-boys et s’acheter ce qu’il y a de mieux, y compris l’admiration d’une jolie fille. Délaissant les problèmes psychologiques et les conseils pratiques qui emplissent les pages des magazines féminins, les revues masculines insistent sur l’exploit, qu’il soit sexuel, professionnel ou sportif. (...) La fiction, remarque le docteur Joyce Brothers y est caractérisée par l’action et l’aventure... On y traite rarement de sujets tels que l’insécurité masculine, les problèmes de santé, les relations entre compagnons de travail, les sentiments envers les femmes, l’insatisfaction de la qualité de vie, les rôles de père et de fils. Ces magazines ne laissent pas beaucoup de place à l’introspection” 64 . Ce constat sera complété 6 années plus tard dans La Féminité : de la liberté au bonheur  65 par Perla Servan-Schreiber qui, comme nous l’avons vu dans l’introduction de cette thèse, relate l’apparition timide sur le marché de la presse masculine d’un genre fondé sur l’ego masculin et qui n’y trouve pas sa place : “(...) Jusque là, il n’était question de parler que de sport, ou de voiture, ou de “charme” en dehors des sujets dits sérieux comme l’économie, la politique ou la culture. Mais d’intimité, point encore ; pas en France. Cela risquerait de contrarier l’image de la virilité!. Si entre 1987 et 1994, la presse masculine a entamé sa “ petite ” révolution, elle conserve avant tout, et ce dans les ouvrages d’histoire de la presse qui lui consacre quelques lignes, un lien étroit avec la presse de charme. En 1991, Jean-Marie Charon dressait dans L’Etat des Médias l’état des lieux suivant : “La presse masculine, un instant en perte de vitesse, a retrouvé un second souffle avec des créations (Max et Perfect). Les centres d’intérêt masculins ont évolué : sport et automobile restent les grands classiques, mais “le charme”, prospère dans les années 70, est en baisse (Lui est passé de 350 000 exemplaires en 1982 à 178 000 en 1988). Les magazines d’aventures et généralistes semblent correspondre à de nouveaux créneaux porteurs (par exemple, la nouvelle formule de New Look)” 66 .

Ces états des lieux de l’ancienne presse masculine (“ancienne” par l’effet du temps mais aussi par l’effet du changement des formules) ont vécu. Si les deux premiers ouvrages notaient l’absence d’introspection masculine dans les magazines, c’est aujourd’hui chose faite et en tant que principal ingrédient de la nouvelle formule. Si le dernier cité, quant à lui, abordait la chute des ventes des revues de charme, il semble qu’aujourd’hui leurs formules reviennent en force sur le marché des masculins.

Mais ces discours font apparaître une grande absente qui pourtant a tenu et tient encore une place importante dans la presse masculine : la mode. Elle est une des composantes des formules des anciens comme des nouveaux masculins, associées à d’autres composantes ou thématique unique d’un genre, elle reste le seul matériau commun à tous les titres de masculins présents encore aujourd’hui sur le marché français.

Comment ces trois formules essentielles et principales ( charme, mode et narcissisme) ont-elles envahi et se sont réparties dans l’espace de la presse pour hommes  ? Nous émettons ici l’hypothèse que la presse masculine, par son histoire et les rebondissements de celle-ci, peut être analysée en terme bourdieusien de champ, et tenterons de le démontrer, après avoir retracé son histoire.

Notes
64.

NAIFEH S et SMITH G. W., Ces hommes qui ne communiquent pas. Le Jour Editeur, 1987, p. 89.

65.

SERVAN-SCHREIBER P.,  La Féminité : de la liberté au bonheur. Paris, Stock, 1994, 308 p.

66.

 CHARON J-M( sous la dir.)., L’Etat des médias. Paris, La Découverte / Médiapouvoirs / CFPJ, 1991, p. 266.