-L’évolution du costume masculin.

La mode masculine a fait l’objet de divers ouvrages non pas en tant que sujet isolé, mais intégré dans l’histoire de la mode en général, dans l’histoire du costume. Pour retracer ici l’évolution de la mode masculine, nous avons utilisé les travaux historiques de François-Marie Grau sur l’Histoire du costume 78 , de Y. Deslandres 79 , de Bruno de Roselle 80 de Daniel Roche sur l’histoire du vêtement au XVII-XVIIIe siècle 81

Dans la Génèse, le costume remplit deux fonctions : la protection contre les intempéries, et le ménagement de la pudeur des hommes. C’est ainsi qu’Adam et Eve, nus au départ se sont contruits des pagnes avec des feuilles de figuier qui, ne protégeant pas suffisamment, sont rapidement remplacées par des tuniques de peau, comme le rappelle F-M Grau dans son Histoire du costume. Pendant la préhistoire, les vêtements évoluent : si l’homo habilis et l’ homo érectus ne portaient pas de costume à cause de laur physionomie plus proche de celle du singe que de l’homme, l’homme sapiens, en revanche, portait un costume en peau de bête (ils étaient avant tout chasseurs) agrémenté de perles d’ivoire ou d’or… C’est avec la modification de la faune et de la flore à la fin de la glaciation qu’apparaissent de nouvelles matières premières, pouvant agrémenter la peau et la fourrure. Au néotlithique, l’agriculture et l’élevage supplantent la cueillette et la chasse ; la sédentarisation des hommes s’accompagne de la découverte du tissage de la laine et du lin, qui progressivement remplace la peau et la fourrure utilisées chez les nomades. Sous l’âge du bronze (2000 à 1000 avant J-C), les hommes revêtent une robe de laine ceinturée à la taille et tombant jusqu’aux genoux, un manteau jeté sur l’épaule, un bonnet cylindrique ou une calotte de laine.

M-F Grau évoque la douceur du climat sous l’Antiquité égyptienne et la légèreté du costume qui se veut simple, principalement d’origine végétale (lin) 82 et devient un pagne de lin (La Shenti) drapée autour des reins et maintenue par une ceinture, sous l’Ancien et moyen Empire. Vers 1580 avant J-C, les hommes portent alors une tunique de lin (la Calasiris) et un manteau (le Sindon), ils se rasent la tête, portent des perruques (bonnet de feutre pour le peuple). Dans la Grèce classique, ils portent une tunique, mais avec des matières plus diverses (laine, lin, coton, soie) héritées de l’invasion Perse et de couleurs très vives. Cette tunique (l’Exomide) est portée drapée et fixée par une agrafe sur l’épaule. Au milieu du VIe, les Ioniens introduisent à Athènes le Chiton, large tunique de lin, cousue sur un côté, bouffant au dessus de la ceinture et retenue par une fibule sur l’épaule gauche ou sur les deux ; ils portent aussi un manteau (l’Himation) porté soit sur la tunique, soit sur le corps nu. La barbe y est d’usage, les cheveux sont longs et bouclés puis la mode passe, selon F-M Grau, aux visages imberbes et cheveux courts.

A Rome, les hommes adoptent le pagne de lin (le Subligalicum), des tuniques superposées (la Subucula et la tunica exterior) qui descendent jusqu’aux genoux puis au second siècle après JC, jusqu’aux chevilles, la toge (laquelle différe entre toge prétexte et toge virile, en fonction des cérémonies) ; ils portent aussi la Caracalla, tunique longue fendue, et la Trabée, toge courte inspirée du costume étrusque. Selon F-M Grau, les costumes féminins et masculins ne se distinguent par fondamentalement, les femmes portant en plus du pagne, la Stola (une toge) et le Strophium (l’ancêtre du soutien-gorge). Pour lui, le costume romain restera une source constante d’inspiration de l’Occident.

Les gaulois portent d’épais lainages à raies, de couleurs vives, une tunique, des braies (caleçon long resserré à la taille par une ceinture), la saie (un manteau jeté sur l’épaule et attaché par une fibule) et des Gallicae, souliers fermés, en cuir à fortes semelles de bois. Leurs cheveux sont teints en roux, ils portent le bouc et de longues moustaches tombantes. Sous les mérovingiens, les hommes portent la Gonelle (tunique courte), sur des braies flottantes et des chausses de cuir lacées sur les jambes, tandis que les femmes portent une tunique plus large avec des galons et des broderies.

F-M Grau distingue deux périodes du Moyen-Age dans l’évolution du costume masculin : la période romane dans laquelle le port du vêtement long se généralise ; les hommes portent la tunique (la chainse est la tunique de dessous, longue et le bliaud 83 , celle du dessus, plus courte ), les braies, un manteau et des chausses de tissu maintenues par des bandes molletières ou des jarretières. A la période gothique, la chainse et le bliaud sont remplacés par la cotte et le surcot (longues tuniques de couleurs vives dont un seul côté est fendu pour les hommes) et la housse ( un long manteau à manches larges et courtes avec un capuchon), mais beaucoup d’hommes portaient la robe ( les marchands, les prêtres, et les dignitaires siégeant dans les parlements : «la noblesse de robe»)

Pour F-M Grau, c’est au milieu du XIVe siècle que s’opère une différenciation importante entre le costume féminin et masculin : «le vêtement masculin, désormais court et ajusté, se distingue nettement du vêtement féminin, qui reste long et flottant» 84 , les hommesadoptent le Pourpoint 85 (vêtement ajusté, boutonné devant, cintré à la taille, s’arrêtant en haut des cuisses), porté sur un chemise, des braies courtes. Le costume fait preuve de grandes richesses, de détails (bandelettes de couleur, multitudes de rubans... ) ou des longueurs qui annoncent le statut social du porteur du vêtement 86 . La fourrure se porte au masculin comme un des signes de prospérité. De plus, les découvertes de terres lointaines permettent l’apparition de nouveaux tissus, de nouvelles matières, qui permettent une extravagance 87 . Les vêtements, via la longueur, mettent en avant la différenciation sexuelle.

Sous François 1er, les tissus luxueux ( satins, velours, taffetas de couleur…) apparaissent dans les pourpoints qui dévoilent sous le décoletté la chemise, les saies et un chapeau de feutre agrémenté d’une plume blanche 88 . La contre-Réforme catholique, période d’austérité, impose des couleurs sombres 89 et des vêtements rigides (les plis sont rembourés), les cols deviennent montants et la cape est portée sur les épaules. Cette période d’austérité se tranforme en une période de faste sous Henri III qui encourage une élégance parmi ses favoris (la fraise se répand vers 1580), la barbe est taillée en pointe, les chapeaux sont hauts. Mais les vêtements de la Cour ne sont pas ceux ni de la bourgeoisie (sans décoration) 90 , ni ceux du peuple (les paysans portaient une grosse chemise de taille, une veste, des braies, un bonnet en hiver, une chapeau de jonc en été).

Le costume dit «à la française» naît au XVIIe. Le costume masculin se déraidit et s’affine sous Henri IV et particulièrement sous Louis XIII : «le costume masculin évolue progressivement vers un ensemble original qui marque la naissance d’un costume à la française, beaucoup plus libre d’allure, dont l’esprit se perpétue jusqu’à la Révolution» 91 , le pourpoint s’allège vers 1620 en devenant une veste ajustée boutonnée devant, les chausses deviennent un véritable pantalon vers 1635, et rejoint des bottes (les Lazzarines) à revers larges, le chapeau (le Castor) est un grand feutre avec une longue plume d’Autriche (la Pleureuse). Les cheveux sont portés longs et bouclés, et usent de postiches .

Louis XIV impose à Versaille, une domination de l’élégance. Pour G. Lipovetsky, “alors même que la mode a introduit une dissemblance extrême dans l’apparence des sexes, elle les a voués également aux cultes des nouveautés et des préciosités. A bien des égards, il y a eu, au demeurant, une relative prépondérance de la mode masculine en matière de nouveautés, d’ornementations et d’extravagances. Avec l’apparition du costume court, au milieu du XIVe, la mode masculine a d’emblée incarnée de façon plus directe et plus ostensible que celle de la femme, la nouvelle logique du paraître, à base de fantaisies et de changements rapides. Encore au siècle de Louis XIV, le costume masculin est plus maniéré, plus enrubanné, plus ludique que le vêtement féminin. L’influence des modifications de l’équipement militaire sur la mode masculine n’a nullement empêché le procès fantaisiste d’être dominant et de jouer avec les signes virils : la mode a mis en scène et sophistiqué les attributs du combattant ( éperons dorés, roses à l’épée, bottes garnies de dentelles... ) comme elle a simulé le “naturel”” 92 . Le pourpoint raccourcit, la cravate de rubans et de dentelles succède au grand col rabattu, les Galants (petites touffes de rubans) se multiplient, la Rhingrave apparaît (large culotte à l’apparence de jupe, surchargée de rubans, prolongée par des dentelles) et est supplantée à la fin du règne du Roi Soleil par le Justaucorps, la redingote surchargée de brandebourgs et les collants. La perruque se généralise en entrainant la disparition du col en dentelle au profit du jabot. En tant que lieu de représentation, la Cour implique à ses membres la recherche de moyens de différenciation : il faut être à la mode de quelqu’un et non à celle d’ un couturier. A la recherche d’élégance de la Cour, s’oppose le costume des paysans fait de mauvais draps de laine et de tentures médiocres.

Le costume à la Française «atteint son apogée sous Louis XV et Louis XVI pour laisser à partir de 1780, la place à la mode anglaise qui inspirera l’ensemble du continent et préparera l’avènement du costume bourgeois du XIXe» 93 . Sous la régence de Philippe d’Orléans, le costume gagne en distinction : le justaucoups est garni de boutons, les manches se couvrent de dentelles et sont retournées, la veste est ouverte, lacée dans le dos et laisse apparaître une chemise avec un flot de dentelles. Les hommes portent toujours une perruque. Sous Louis XV, le justaucorps prend le nom d’Habit à la Française, la veste devient un simple gilet. Outre la perruque et le postiche que les hommes mêlent à leur chevelure, ils la nouent

en catogan et en queue de cheval, serrée par un ruban. Sous Louis XVI, la simplicité est de rigueur : pour F-M Grau, «à partir de 1780, une rupture intervient et l’influence anglaise modifie profondément le costume. Les gravures de modes anglaises, dont The Lady Magazine fut le précurseur, déferlent sur le continent» 94 .

La Grande-Bretagne jouit en effet, en la fin du XVIIIe siècle, d’un environnement général (politique, économique, historique et sociologique) qui ouvre de nouvelles opportunités à la mode masculine. Un esprit démocratique y règne depuis longtemps, les anglais éprouvent un goût immodéré pour la vie au grand air qui aura une incidence sur la mode, notamment celle inspirée des tailleurs pour jockey, l’absence de l’étiquette qui a, en France (mais aussi dans d’autres pays monarchistes), été la cause du classicisme vestimentaire masculin, et un certain code d’élégance masculine toujours en vigueur aujourd’hui et notamment dans les Collèges... Toutes ces spécificités anglaises ont permis une mode plus dynamique, d’autant plus que les aristocrates britanniques, contrairement aux français, ont le droit de se livrer à des activités commerciales et industrielles. Ils utilisent alors ce droit pour installer les premières filatures et vivre de leur commerce. Ainsi : «Le costume masculin est le premier touché avec l’apparition de la redingote à la lévite, munie de revers boutonnés et de 3 collets superposés puis la lévite à l’anglaise qui s’accompagne d’une culotte de peau et de longues bottes à revers, et le frac à l’anglaise entièrement boutonné» 95 . Les coiffures naturelles reviennent en force, les hommes portent leurs cheveux crépés et bouclés.

Mais avec la Révolution française, le costume masculin se simplifie : l’homme porte la culotte, le frac collant et des bas rayés, puis la tenue des sans-culotte est reconnue en 1794, l’abandon de la culotte est symbolique, le révolutionnaire 96 porte un pantalon retenu par des bretelles, une courte veste (la Carmagnole), un foulard et un bonnet rouge ou un tricorne avec cocarde, des sabots lourds, mais «en ces temps troublés, la grande masse des plus sages se contente d’un costume à l’anglaise sans luxe ni ostentation, composé d’une redingote ouverte par devant, d’un gilet et d’une longue culotte collante ou d’un pantalon» 97 L’homme anglais apparaît alors comme un modèle et fait d’un de ses compatriotes le “ père de l’allure moderne ”. En effet, George Bryan Brummell, dandy britannique et proche du régent d’Angleterre, subjugue vers 1810 le Tout-Londres avec son impertinence, son absence d’ambition en matière de mode et s’autoproclame arbitre de tout ce qu’il convient de faire pour mériter le qualificatif de “  fashionable ”. Sa distinction lui confère une posture radicale et sa devise “la véritable élégance ne se remarque pas se propage dans toute l’Europe. La mode masculine réside alors dans les petits détails, dans la coupe et dans les accessoires ; la mode britannique se veut avant tout une mode inspirée par le monde équestre et cette mode n’inspire à son tour que la haute société française. Napoléon adopte alors les bottes cavalières et multiplie les détails, signes extérieurs de richesse et de pouvoir. Le vêtement reste ainsi un objet de distinction, un moyen de reconnaissance rapide entre les gens du même monde où l’homme “ de qualité ” se distingue des autres par de petits détails particulièrement discrets.

La tenue masculine devient aussi plus simple : le costume s’assombrit de plus en plus dans le but de pouvoir être utile en toute occasion : “l’habit noir s’imposera au milieu du XIXe siècle et, avec lui, une conception de l’allure masculine qu’on dit fondée sur la réserve, le sérieux, le puritanisme bourgeois capitaliste et industrieux, éthique héritée de l’Europe réformée, envers moral de la magnificence propre à l’aristocratie catholique. En 1930, le Britannique Carl Flugel lancera l’expression - qui fera fortune- de "grande renonciation” pour cet abandon par les hommes du plaisir de la parure, de l’ostentation, de la couleur, retrait d’un monde superficiel et futile, désormais domaine de la frivolité féminine 98 . Si l’uniforme masculin se “neutralise” et s’assombrit, la tenue féminine se “bariolise” : les femmes ne travaillant pas, doivent paraître. La tenue féminine rejoint alors l’image de la beauté féminine, elle est productrice de pouvoir symbolique et reflète le pouvoir de l’époux ou de l’amant 99 . Pour F. Baudot, «depuis l’émergence de la société industrielle outre-Manche, à la toute fin du XVIIIe, l’apparence masculine en Europe affecte de se faire oublier. Hormis dans quelques cercles marginaux- dès lors soumis à caution- son classicisme recyclant toute trouvaille, l’allure de l’homme se fond avce le temps dans la formule unique et indivisible du «costume». Métaphore désignant tout à la fois un vêtement particulier et la somme de tous les autres» 100 .

En créant la Haute Couture en 1858, Charles Frédéric Worth propose une mode qui fait référence au couturier et non plus à celui qui la porte, d’autant plus qu’il propose cette mode sur des modèles vivants présentant sa collection en son atelier et non plus chez ses clientes.

Mais l’Angleterre conserve son statut d’ “ île de la mode ”. En effet, la mode des élites passe par ce pays, lesquelles élites fréquentent le quartier de Saville Row, lieu de résidence des tailleurs les plus reconnus Outre-Manche 101 et qui sont la référence absolue en matière d’élégance masculine. Seul Hermès en France (notamment pour ses inspirations rurales et équestres) est en mesure de rivaliser. Elle continue à donner le ton en matière de mode et cela malgré la première guerre mondiale ; la figure emblématique du prince de Galles, futur roi Edouard VII qualifié de “sphinx sans énigme d’un musée vivant du costume masculin 102 médiatise de nouvelles étoffes : le Tweed, la Flanelle, le tissu Prince de Galles... Il contribue à la propagation européenne, puis mondiale d’une nouvelle mode, plus décontractée et confortable tout en restant classique. Bruno de Roselle montre dans son histoire de la mode comment celle-ci pouvait être le fruit d’un hasard : “C’est lui (le prince Edouard) qui, ayant un jour négligé de boutonner le dernier bouton de son gilet, donna naissance à cette nouvelle forme de gilet à deux pointes dont le dernier chic était de ne pas boutonner le dernier bouton. Cette coutume s’est prolongée chez les élégants jusqu’aux environs des années 30 103 Les costumes de sport voient le jour. La différence entre les costumes du peuple et les costumes de la Haute Société s’atténue sur la forme mais perdure dans le nom du tailleur et la qualité du tissu utilisé.

C’est la seconde guerre mondiale qui va changer les “données” de la mode masculine. L’influence américaine, et non plus anglaise, est partout et notamment celle de la production industrielle. La mode entière est bouleversée par cette découverte, même si tous les pays européens n’en profitent pas de la même façon. Ainsi l’Italie est le grand bénéficiaire de l’aide américaine : “Cependant qu’on accorde à Londres le monopole d’idées chic et choc, qu’on reconnaît à Paris la capacité d’offrir une résonance à la fois intellectuelle et pratique, en Italie, sans trop de bruit, se met en place dès la fin de la guerre un nouveau réseau industriel. Profitant largement de l’aide que l’Amérique accorde à ses cousins italiens. Pour les encourager à oublier les années noires du fascisme, naît dans le nord de la péninsule un prêt-à-porter d’une remarquable compétitivité. Si les Etats-Unis excellaient jusqu’ici dans un produit de masse imbattable sur le rapport qualité-prix, l’Italie va occuper un autre terrain. En apprenant à produire vite et bien en petites séries des vêtements masculins, novateurs et luxueux dont l’allure raffinée plaît aux femmes à qui certains hommes cherchent à plaire. Singulièrement dépourvue de tels relais de fabrication, l’Angleterre y perdra beaucoup de sa capacité à arbitrer les élégantes. Tandis qu’en France, outre le lourd tribut payé à l’antisémitisme par le milieu de la confection, les grands industriels aveuglés par leur conservatisme laissent échapper un marché dont ils étaient les détenteurs naturels 104 . Cerruti et Armani deviennent alors les maîtres de la mode masculine. Armani propose une nouvelle coupe de costume déstructuré qui trouve un retentissement chez une clientèle internationale, faisant de son entreprise une des sociétés les plus prospères en Italie.

La mode a jusqu’alors accompagné la séparation sexuelle de la beauté : à l’heure où la beauté est féminine, la mode féminine est uniquement évoquée. Aujourd’hui où la beauté masculine commence à être pensée en parallèle de la beauté féminine, la mode masculine se développe aussi en parallèle de la mode féminine. C’est ainsi que des passerelles sont créées entre les deux sexes : dès 1966, Yves Saint Laurent crée un smoking pour femmes, Jean-Paul Gauthier propose en 1984 une jupe pour hommes qui, certes, déstabilise les spécialistes mais sans trouver un relais commercial (environ 3000 exemplaires seront vendus).

J.P Gauthier a beaucoup contribué à la transformation de la mode masculine. Si les japonais avec notamment Kenzo avaient déjà, à partir des années 85, adapté les mécanismes de la mode féminine à la mode masculine, Gauthier a révolutionné la façon de penser le masculin. Il n’hésite pas, dès le début de sa carrière, à attribuer aux hommes des images purement féminines. En 1984, il présente sa première collection, sous son nom, en la baptisant : “L’Homme-objet” 105 . Il s’inspire de la mode de la rue, en mélangeant tous les styles et fait défiler des hommes aux crânes rasés, aux cheveux très longs, souvent non mannequins (il recrute en 1987 des “mannequins” via un concours dans Gai Pied Hebdo : “Devenez mannequin pour Jean-Paul Gauthier”). Derrière ses shows provocateurs, Gauthier propose une garde-robe masculine révolutionnaire composée néanmoins de quelques pièces devenues des classiques Gauthier : il a remis au goût du jour la marinière, le complet croisé à rayures banquier ou tennis, le fuseau, le perfecto et a contribué à l’ouverture de la mode masculine vers une conjonction des modèles masculins et féminins.

Tous les couturiers s’attachent désormais à concevoir des collections masculines 106 : ils s’attachent aussi à concevoir des parfums pour les hommes. En effet, les hommes s’attardent désormais plus sur leur corps 107 et en prennent soin, autant pour leur bien-être personnel que pour celui de leur entourage. C’est ainsi que ces dernières années, les produits de toilettes masculins se sont développés. Mais ce sont les parfums pour hommes qui, parmi tous ces produits se vendent le mieux aujourd’hui :

Les parfums suivent la même destinée que la mode masculine : traditionnellement classiques jusqu’aux années 90, désormais ils jouent l’unisexe (Ck One de Calvin Klein) ou la complémentarité hommes-femmes (les parfumeurs sortent une formule féminine et une formule masculine sous le même nom : le dernier parfum Dunhill s’appelle Desire mais avec une fiole rouge pour les hommes et rose pour les femmes).

Cette évolution de la mode masculine et de la cosmétique pour hommes est signe d’une évolution des manières de penser le masculin et d’une évolution des hommes eux-mêmes.

Nous avons abordé la mode masculine en termes de Haute Couture et de prêt-à-porter de luxe, mais ceux-ci sont les premiers maillons d’une mode qui se démocratise par le biais des créateurs de prêt-à-porter, qui s’inspirent du prêt-à-porter de luxe. Elle se démocratise aussi par le biais des magazines de mode qui, surtout depuis la moitié des années 80, relatent les défilés, les innovations et permettent ainsi aux lecteurs d’avoir accès à une mode bien moins médiatisée 108 que la mode féminine. En effet, la mode masculine était perçue comme une “affaire” de femmes et trouvait place dans les magazines féminins. Ce n’est que récemment, au regard de l’histoire de la mode masculine, que cette dernière possède ses propres supports médiatiques.

Notes
78.

GRAU F-M., Histoire du costume. Paris,, PUF, coll «Que sais-je n° 505», mars 1999, 128 p.

79.

DESLANDRES Y., Le costume, image de l’Homme. Paris, Albin Michel, 1976, 299 p.

80.

DE ROSELLE B., La mode. Paris, Imprimerie Nationale, 1980, 392 p.

81.

ROCHE D.,  La culture des apparences : une histoire du vêtement XVII-XVIIIe. Paris, Fayard, 1989.

82.

F-M Grau rappelle que l’usage de la laine animale était alors très limité car elle était jugée impure. C’est par souci de pureté que toutes les étoffes étaient blanches.

83.

D’après F-M Grau, le Bliaud des femmes est plus long que celui des hommes, mais plus près du corps, et possède deux parties : le Gipon (un corsage ajusté lacé dans le dos) et la Jupe longue plissée.

84.

GRAU F-M., Histoire du costume, op. cit, p. 31.

85.

Le pourpoint disparaît à la fin du XIVe sous la Jaquette descendant jusqu’aux genoux ou la Houpellande, ample robe fendue ceinturée à la taille.

86.

Sous Louis Le Gros, les hommes portaient des habits traînant, serrées avec de larges manches et des souliers finissant en pointes droites ou recourbées, avec pour les princes et les grands seigneurs une longueur de 2 pieds, pour les riches, une longueur de 1 pied et pour les gens du peuple, ½ pied. C’est de cette distinction que vient l’expression “ sur quel pied est-il ? ”

87.

Cette extravagance est régie par des Edits somptuaires (notamment celui de Philip Le Bel en 1294) qui limite le nombre des robes des Ducs, interdit l’hermine, l’or à la petite noblesse, au clergé…

88.

Deux nouveaux éléments arrivent dans le costume féminin : la Vertugade (jupon qui donne un aspect de cône à la jupe) et la Basquine (ancêtre du corset).

89.

Henri II crée des Edits limitant l’usage des tissus, de l’or, réglemente la place des boutons…

90.

Des Edits interdisent aussi à la bourgeoisie d’imiter les tenues vestimentaires de la Noblesse.

91.

GRAU F-M., Histoire du costume, op. cit, p. 53.

92.

LIPOVETSKY G.,  L’empire de l’éphémère. La mode et son destin dans les sociétés modernes. Paris, Gallimard, 1987, p. 41.

93.

GRAU F-M., Histoire du costume, op. cit, p. 61.

94.

GRAU F-M., Histoire du costume, ibid, p. 66.

95.

GRAU F-M., Histoire du costume, ibid.

96.

Cette mode est éphémère et selon Grau a pour but «au demeurant plus de brocarder ses contemporains que d’inventer une nouvelle mode». Elle rappelle que les Muscardins montraient leur opposition par la recherche de l’élégance (habits à pans carrés, escarpins) tandis que les Incroyables s’opposaient via leurs tenues outrancières (redingote à collet rouge plissée dans le dos).

97.

GRAU F-M., Histoire du costume, op. cit, p. 71.

98.

CHEMOUNE F., Des modes et des Hommes : 2 siècles d’élégance masculine. Paris, Flammarion, 1993, p.17.

99.

Pour F-M GRAU, «le costume masculin reste austère, symbole de sérieux de la bourgeoisie alors que les toilettes des femmes servent essentiellement à montrer aux yeux du monde la réussite du cavalier, de l’amant ou de l’époux» (p. 88)

100.

BAUDOT F.,  L’allure des hommes, op.cit, p. 7.

101.

Il est de bon ton, à cette époque, d’envoyer son linge par bateaux aux blanchisseuses anglaises, réputées pour leur talent.

102.

BAUDOT F.,  L’allure des hommes, op.cit., p.74.

103.

De ROSELLE B, La mode. Paris, Imprimerie Nationale, 1980, p 77.

104.

BAUDOT F., L’allure des hommes, op cit., p. 98.

105.

Toutes les collections de Gauthier portent des noms comme “ L’Homme-objet ”, “ Et Dieu créa l’homme ”, “ Homme fatal ”, “ Un défilé nommé désir ”, “ Joli monsieur ”, “ Histoire d’homme ”, “ French Gigolo ”... Il fait défiler des “ garçons-sorcières ” dans des perfectos noirs aux dos nus frangés, des “ hommes-princesses ” en sarongs de soie changeante, des “ corsaires-gitanes ” en chemisiers de mousseline volantés et des “ voyous-folles ” en santiags-cuissardes à talons aiguilles. 

106.

Mugler (1980), Montana (1981), Comme des Garçons (1983), Kenzo (1983), Galliano (1986), APC (1988), George Rech (1986), Karl Lagerfeld et Sonia Rykiel (1989), Hermès, Issey Miyake, Yamamoto, J-C de Castelbajac, Paul Smith suivront...

107.

Nous verrons plus tard les raisons de cet intérêt croissant des hommes pour leur corps.

108.

Le nombre des publications relatives à la mode masculine est restreint alors que la mode féminine est relatée dans tous les magazines féminins, ô combien nombreux. De même, le traitement télévisuel de la mode est largement en faveur de la mode féminine que ce soit au sein des journaux télévisés mais aussi au sein de la chaîne Fashion TV qui consacre son antenne à la diffusion de défilés de mode en continu. La mode féminine y occupe les ¾ du temps d’antenne environ contre le reste à la mode masculine.