b) Les supports de la mode masculine dans l’histoire.

Les indications historiques sur la mode masculine ne sont pas nombreuses. Si quelques livres dont ceux que nous avons utilisés pour retracer l ’évolution de l’habillement masculin existent, peu évoquent les supports sur lesquels la mode masculine a été reproduite.

En dehors de la période contemporaine où les moyens techniques (enregistrement de défilés, conversation avec les créateurs, création de musées de la mode contemporaine, visite possible de certaines maisons ou ateliers de couture... ) offrent une mémoire immédiate, les périodes plus anciennes avaient plus de difficultés à témoigner de leur mode vestimentaire.

A l’absence de développement des moyens témoignant de la mode masculine, vient s’ajouter le fait que la mode, associée à la notion de beauté, reste assimilée à la féminité. L’intérêt se porte ainsi sur la mode au féminin car, comme nous l’avons vu, elle est sujette à plus de changement (donc d’intérêt médiatique) que la mode masculine.

Y. Deslandres a retracé, dans Le costume : image de l’homme 109 , les différents supports, à travers l’histoire, qui ont accueilli des représentations de la mode masculine et ont servi d’indicateurs du “sexe” de la beauté.

La sculpture est la première source importante, à partir de l’Antiquité, d’éléments sur le costume masculin. Les détails des draperies, le poids des tissus, la forme des vêtements, les courbes des bijoux...sont reproduits et montrés à la foule. A la finesse des traits sculpturaux, la peinture ajoute la couleur. L’iconographie du Moyen-Age représente particulièrement le monde religieux et donne des indications sur la tunique longue et le manteau drapé des Chrétiens 110 . Les enluminures des manuscrits contiennent elles aussi de multiples éléments sur l’habillement et notamment par le biais des petits personnages gesticulant dans les lettres ornées. Datées, les enluminures présentent un seul défaut, elles sont de petite taille et ne permettent qu’une vue grossière de la forme des vêtements.

Au XIVe, la peinture représente enfin des laïcs, abandonnant sa préférence pour les représentations religieuses. Le portrait peint apparaît et devient la source majeure de connaissance de l’histoire du costume et constitue une galerie incomparable de personnages à la mode mais issus presque uniquement des classes aisées. Cette distinction sociale des hommes représentés est effacée avec les tapisseries de la Renaissance qui, elles, prennent pour objet tous les hommes, indépendamment de leur statut social 111 .

La peinture ne permet pas une représentation exacte de la réalité : la gravure va permettre avec ses procédés techniques révolutionnaires nés au XVe, de reproduire des vêtements et de propager ainsi les modes. Les livres d’images sur la diversité des habits se succèdent à partir de 1555 dans le but d’alimenter l’intérêt des lecteurs pour le monde qui les entoure. Les gravures de mode y sont de petite taille avec un personnage ou un couple en pied avec en fond un paysage. Elles font place au XVIIe aux estampes de plus grande taille, lancées par une famille de graveurs, les Bonnart, montrant un personnage célèbre dans un costume reproduit avec précision. Ces estampes, beaucoup copiées, ont été l’instrument de propagation de la mode parisienne en Europe.

Le règne de Louis XIV voit la publication des premiers articles de mode. Donneau de Visé fonde en 1672 le Mercure Galant, journal hebdomadaire dans lequel les articles de mode sont accompagnés entre 1678 et 1685 de figurines gravées avec des légendes détaillées. Mais ce premier essai de journal de mode est un échec. Il inspire cependant d’autres artistes, comme les peintres Antoine Watteau et Hubert Gravelot qui tentent l’aventure, sans plus de succès.

Sous Louis XVI, les premières publications périodiques de mode apparaissent au moment du développement des industries des marchandes de modes. Sous la forme de cahiers accompagnés d’estampes en couleur, La Galerie des modes et costumes français, éditée par Esnault et Rapilly entre 1778 et 1788, connaît un grand succès en proposant des dessins de toilettes et de coiffures avec un luxe de détails. Ce journal présente un caractère thématique : chaque publication est consacrée tantôt aux Princes de la famille de France, tantôt aux élégantes avec de nombreuses reproductions de costumes masculins.

Un autre moyen de propagation de la mode dans l’Europe entière voit le jour : les Cours d’europe envoient chaque mois des ambassadeurs à la Cour de France avec des poupées, dans le but de faire habiller celles-ci selon la mode locale et de pouvoir, une fois rentrées dans leur pays d’origine, reproduire les vêtements en grandeur humaine 112 .

Le siècle de la Révolution française annonce aussi la naissance de la presse de mode. Pour s’informer sur les nouveautés en matière d’habillement, les hommes devaient jusqu’alors puiser des informations dans les romans puis l’arrivée de l’Encyclopédie de Diderot et d’Alembert leur fournit de nombreuses pages sur la mode. Mais la presse de mode facilite le rapport à celle-ci en se voulant le témoin d’une mode moins distinctive que les modes précédentes : “la mode cesse d’être l’apanage du seul rang et de la seule naissance. Une presse spécialisée qui intéresse hommes et femmes et que rédigent des journalistes femmes déguisées en hommes et des écrivains du sexe fort sous un masque féminin, se développe dans la seconde moitié du XVIIIe et se diffuse à partir de la Capitale. De 1700 à 1800, une cinquantaine de périodiques en langue française porte partout, principalement ou accessoirement, les impératifs du bon ton parisien, la publicité des métiers et des commerces vestimentaires, l’attraction des apparences séductrices, les règles des soins du corps et les codes éphémères de la beauté, au total les principes et les exemples, le discours et les illustrations d’une philosophie nouvelle du goût. Au premier plan des lecteurs et des lectrices du Cabinet des Modes, du Journal des Dames, des Amusements de la toilette, l’aristocratie de la Cour et de la ville joue un rôle proportionnel à ses moyens et à ses disponibilités psychologiques, mais aussi et de plus en plus la clientèle urbaine, provinciale pour l’essentiel, notabiliaire et bourgeoise appelée par son rang à “ travailler aux moyens de plaire 113 . La pratique de la mode et de la presse de mode restent l’apanage de la population aisée, même si elles tendent à se propager vers la province, elles n’en restent pas moins encore élitistes. Cette presse est produite par des hommes mais aussi par des femmes, ce qui apparaît alors comme une révolution. Le Cabinet des Modes est publié pour la première fois en 1785 par le libraire François Buisson puis continuera sa carrière sous le nom de Magazine des modes nouvelles françaises qui, avec Le Journal des Dames 114 se présentent toujours sous la forme de petits cahiers avec des planches de couleur montrant des dessins de personnages et des textes sur l’actualité, les mondanités, des nouvelles romanesques et sur la mode au masculin et au féminin (mais aussi sur les bijoux, les chapeaux et parfois les meubles). Les vêtements ne sont présentés que de face et ce manquement ne sera corrigé que dans La Mode illustrée de 1860 à 1937 qui aidera la couturière dans la reproduction des modèles en publiant des patrons.

Si les journaux de modes paraissent être mixtes, de 1778 à 1783 parait Le Journal de Monsieur, mensuel vendu à Paris, 24 livres, spécialisé dans les centres d’intérêt masculins et dédicacé : “ dédié à Monsieur, frère du roi ”. Mais cette presse a des difficultés à se maintenir car les moyens techniques de la commercialiser sur le territoire entier font défaut, les ventes sont limitées et ont lieu par le biais des souscriptions ou d’achat chez les libraires.

La presse de mode présente soit des spécialisés de mode, soit des périodiques plus généralistes à tendance mode dans lesquels les philosophes des Lumières exposent leur vision du monde, des informations politiques, des discours philosophiques et des textes sur la tenue vestimentaire. Les journaux de presse de mode présentent alors un intérêt pour les anecdotes sur la Cour et notamment avec le journalisme galant qui livre l’écho des conversations de salon avec des procédés épistolaires.

Mais, le problème de la constitution du public de ces journaux reste entier. En effet, ces derniers sont lus par les tranches aisées et éduquées de la population. Les journalistes veulent atteindre un autre public. En 1785, le rédacteur du Cabinet des Modes voulait “atteindre les deux sexes qui en tout temps et en tout lieu ont cherché à se parer dans le but de se plaire mutuellement”. Mais il n’empêche que la presse de mode est une presse féminine et que la mode masculine n’est qu’une partie représentée dans les journaux féminins et ce, du fait du classicisme de la mode masculine qui n’attire aucun intérêt.

La Révolution va changer l’histoire de la presse en accordant la liberté d’expression. Les périodiques se multiplient et les femmes contribuent de plus en plus à l’élaboration des journaux. Elles aident à la reformulation des magazines de mode et des magazines féminins en instaurant des formules plus en adéquation avec les pratiques de l’ensemble de la population afin d’élargir le public des journaux. Désormais les femmes écrivent sous leur propre identité et ce sont les hommes qui travestissent la leur. Le public se retrouve dans le sexe des journalistes et le public des journaux devient mixte. Ce public s’élargit ainsi malgré le coût élevé des journaux : “si la presse nouvelle atteint d’abord les élites sociales et les femmes de la société, elle en déborde quelque peu les limites étroites parce que la fièvre de consommation et l’expansion de la mode les dépassent largement 115 . Tous les journaux s’emparent alors de la mode, pour quelques pages ou pour plus, comme Le Journal de Paris, Les Affiches... Le Cabinet des Modes est imité, repris et traduit en Angleterre, en Italie et en Allemagne. La tradition de la mode et de la presse de mode française s’exportent. Emile de Girardin s’oppose alors au dandysme anglais et prône l’élégance française. Pour cela, il fonde en 1829, La Mode et concurrence ainsi le Journal des Dames et des Modes de Mésangère. Il y publie en 1830 un Traité de la vie élégante dans lequel Balzac évoque sa vision du temps. Il qualifie le dandysme d’“ hérésie de la vie élégante  116 et évoque l’élégance comme un bien inné. Or, ses oppositions à la mode britannique eurent peu d’échos en France.

La photographie est rare dans ces journaux jusqu’à la première guerre mondiale. Le dessin de mode a connu une grande période sous le couturier Poiret entre 1910 et 1925 et dans les revues Le Nouveau Journal des dames et des modes (1912-1914) et La gazette du bon ton (1912-1925). Les premières photographies de mode sont solennelles, posées et mettent en scène des actrices ou des acteurs, même si ces derniers sont moins représentés puisque la mode masculine est moins présente que la mode féminine. Les photographies de mode se libèrent, aidées par la publicité. C’est d’ailleurs cette publicité qui va la première montrer un visage de l’homme jusqu’alors caché : “la publicité reflète actuellement la réappropriation de l’homme coquet, que l’on a vu, pour la première fois, se présenter nu sur un placard, en 1970, à la stupeur générale, alors que la femme déshabillée n’avait jamais soulevé la moindre indignation sinon parmi les moralistes rigoureux 117 , ainsi que les fesses masculines qui ne font leur apparition dans la publicité qu’en 1997 dans un message publicitaire de Contrex pour un régime minceur.

Nous avons vu que la mode masculine a, jusqu’au début du XXe siècle, certes été évoquée mais quasi-exclusivement dans les journaux féminins. Comment le XXe siècle a-t-il abordé, dans la presse, la mode masculine ?

Notes
109.

DESLANDRES Y.,  Le costume : image de l ’homme. Paris, Albin Michel, 1976, 299 p.

110.

La mosaïque est aussi beaucoup usitée comme moyen de reproduction des scènes de la vie religieuse. Ravenne au VIe Siècle avec Le Cortège de Théodora présente des tuniques blanches de la Cour de Byzance, drapée avec des étoles marron. Théodora, quant à elle, porte un manteau marron avec en bas, des incrustations de personnages. Elle est surtout très bijoutée, avec une couronne bicolore.

111.

Les classes aisées resteront longtemps les sujets principaux des représentations : les impressionnistes peindront peu les “ petites gens ”. La mode étant avant tout un objet de distinction, les familles aisées s’en sont emparées pour creuser un fossé entre Eux et Les Autres. Nous avons vu dans l’histoire de la mode masculine que l'intérêt de l’évolution du costume masculin résidait dans les petits détails distinctifs, lesquels étaient du fait de la bourgeoisie.

112.

Cette technique est aujourd’hui critiquée. En effet, reproduire sur une petite taille des vêtements impliquent qu’un grand nombre de détails soient gommés ou du moins grossièrement reproduits, alors que l' intérêt des vêtements, à cette époque, résidait dans les détails. Il aurait fallu, selon Deslandres que ces poupées mesurent au moins un mètre pour remplir véritablement leur fonction. C’est ainsi que la gravure va supplanter la pratique des poupées, en généralisant le pouvoir de l’image.

113.

ROCHE D.,  La culture des apparences : une histoire du vêtement XVII-XVIIIe. Paris, Fayard, 1989, p. 180.

114.

En 1761, Le journal des Dames diffusait dans 39 villes du royaume et 41 cités étrangères.

115.

ROCHE D.,  La culture des apparences : une histoire du vêtement XVII-XVIIIe, op. cit., p. 464.

116.

CHEMOUNE F.,  Des modes et des Hommes : 2 siècles d’élégance masculine. Paris, Flammarion, 1993, p. 39

117.

DESLANDRES Y.,  Le costume : image de l ’homme, op. cit., p. 34.