II) Les années 70-85 ou le règne des magazines masculins de charme.

a) Lui : le charme à la française.

Un des premiers magazines de charme à investir le marché de la presse magazine fut Lui. En 1963, Daniel Filipacchi crée, à l’image du Playboy américain apparu en 1953 outre-Atlantique, le premier magazine français de presse de charme. Grâce à des photographies artistiques de filles sexy et des titres emprunts d’humour, Lui: le magazine de l’homme moderne rencontre rapidement un public fidèle 137 et voit ses ventes croître exponentiellement dès son premier numéro : en 5 ans, les ventes vont plus que tripler. La mode masculine est absente de cette publication centrée sur les jolies filles ainsi que sur les loisirs et la culture qui tiendra, dans les années 70, une place importante dans le contenu. Cette formule comportait un entretien avec un homme politique, un scientifique, un écrivain... ; une rubrique qui restera tout au long de l’histoire La défonce du consommateur qui propose de nouveaux accessoires ou gadgets pour les hommes ; des mots croisérotiques ; le portrait du mois ( le professeur Choron...) ; une rubrique charme avec plusieurs séries ; des enquêtes variées comme dans le numéro 221 de juin 1982 sur les revenus colossaux des stars du Mondial avec une série de mode mettant en scène Michel Platini... ; de la Mode toujours sous la forme de vêtements sexy ; des dessins humoristiques et érotiques ; Ca marche pour eux avec des portraits de gens qui débutent dans toutes sortes de domaines et qui rencontrent le succès... Lui lance à cette période un concours auprès de ses lecteurs afin qu’ils élisent chaque mois les plus belles filles du mois : ainsi dans le numéro 259 d’août 1985 sont élues Inès de la Fressange, Julie Piétry et Jenna de Rosnay ; le magazine se termine par la rubrique Lui dans tous ses états : le guide des plaisirs qui comprend des adresses de restaurants, des noms de bons vins, l’horoscope, l’actualité musicale et littéraire et des annonces érotico-amoureuses ; enfin la dernière page intitulée ceux qui lisent Lui dresse le portrait d’un lecteur lambda du magazine. Ce magazine, novateur au début des années 1970, présente une formule qui a depuis longtemps fait ses preuves aux Etats-Unis, tout en en améliorant la présentation et le contenu. Les légendes sont à caractère tendancieux : ainsi le numéro 218 de mars 82 annonce une enquête sur “Charles en a une gosse... fortune et dans le numéro de mars 1990, dans la rubrique Sciences, il est fait état de “ l’Arabica rend sexuellement plus Robusta ”. Mais ce qui fait la renommée de Lui, se sont ses couvertures dénudées et particulièrement celles présentant des célébrités nues : ainsi Valérie Kaprisky (n° 235 d’août 1983), Nicole Calfan (n°227 de décembre 1982), Bambou dont les photographies ont été prises par Serge Gainsbourg lui-même (n°217, février 1982), Michel Sardou entouré de filles légèrement vêtues dans une mise en scène pour illustrer les thèmes de ses chansons (n°178, novembre 1978), Catherine Deneuve (n°108, janvier 1973)...Mais les stars françaises ne sont pas les seules à poser : en 1980, Bo Derek se montre nue (n° 196) et Grace Jones l’avait fait en 1979 ( n°185).

Dans une thèse consacrée à Playboy en 1969, J. Mousseau relevait la similitude des deux formules mais aussi les moyens mis en oeuvre par la rédaction française afin que le magazine Lui se construise une identité propre : “En France, le mensuel Lui est le magazine qui, dans sa forme, se rapproche le plus de son frère aîné américain. Sa présentation est luxueuse ; le talent de ses concepteurs est réel ; la place faite aux jolies filles et à l’érotisme bon enfant est important. Ces filles sont souvent plus belles et plus naturelles dans Lui que dans Playboy et les services rédactionnels envient, certains mois, la réussite de leurs homologues parisiens. Si le magazine français n’a été longtemps qu’un cadre brillant et riche au contenu léger, le niveau de ses préoccupations s’est élevé depuis le début de l’année 1970 138 . L’équipe de Lui fait appel à des écrivains 139 , des hommes politiques afin de s’éloigner des confessions des vedettes auxquelles les lecteurs avaient été habitués par le passé. Ces interviews sont parfois reprises par les grands quotidiens (le journal Le Monde reprenait des confidences d’hommes politiques données à Lui) 140 contribuant ainsi à conforter la rédaction de Lui dans ses choix d’interviewés et sur sa qualité. Lui malgré sa formule charme n’a pas pour autant oublié le bien-être corporel masculin : en août 1981 dans le numéro 211 intitulé “Spécial super forme, il adresse aux hommes des “recettes pour l’amélioration de la race humaine, un “régime de faveur pour poids chiches”, une enquête sur les bienfaits du jacuzzi et un entretien avec le chirurgien esthétique Ivo Pitangui.

Mais sa formule novatrice ne se révèle gagnante que jusqu’au milieu des années 80 où le déclin des ventes s’amorce pour devenir rapidement vertigineux : en 1987, la rédaction restructure le magazine. Dès lors, le charme est relégué dans un numéro spécial vendu en supplément gratuit du magazine. Le magazine en lui-même dont le sous-titre est alors “le magazine de l’homme civilisé conserve certaines rubriques phares du titre : la défonce du consommateur ; les entretiens politiques... mais se tourne de plus en plus vers des numéros thématiques. Le numéro de mars 1990 est un spécial-argent et propose des “dossiers-fric”, des scénarios pour claquer son argent, un mini-entretien avec Paul-Loup Sulitzer, une enquête avec entretien de personnalités (Inès de la Fressange, Jacques Séguéla, Me Jacques Vergès... ) sur leur rapport à l’argent, une enquête sur ce que les stars jettent à la poubelle... mais tout en laissant une playmate en une. Des “coups médiatiques” avec des célébrités dévêtues ne sont pas rares et particulièrement médiatisés : ainsi en février 1988, dans le quatrième numéro de la nouvelle formule, Danièle Gilbert se découvre.

Mais cette nouvelle formule ne parvient pas à sauver le magazine : en l’espace de 11 ans (1980-1991), Lui passe de 450 000 numéros par mois à moins de 100 000, résultat inférieur au premier numéro et qui annonce la cessation de parution du titre en 1993.

Le succès rapide à ses débuts de cette formule machiste a incité de nouveaux titres à apparaître sur le marché de la presse de charme, avec, entre autres, Playboy qui, fort de son succès dans son pays d’origine, attiré par un marché français alors prometteur et surtout par un magazine (Lui) dont le succès repose sur des formules proches des siennes, a en 1973, importé sa formule au succès considérable aux Etats-Unis.

Notes
137.

Le lecteur-type de Lui était un cadre BCBG d’environ 35 ans.

138.

MOUSSEAU J.,  5 dollars pour un empire : le phénomène Playboy. Paris, Denoël, 1970, p. 38.

139.

Dans le n° 84 de janvier 1971, Lui interroge 16 personnalités des lettres et des arts afin qu’elles donnent leur avis sur “ Pour ou contre la libération des femmes ? ”. Cette question posée en Une était illustrée par une femme enchaînée par le cou et dont la chaîne se finissait par une grosse clé. Se sont prêtés au jeu des réponses, entre autres, Roger Peyrefitte, François Nourissier, Eddie Barclay, Jean-Louis Barrault...).

140.

Yvette Roudy, Jacques Attali, Gabriel Garcia Marquez ( n° 229, février 1983), Jacques Chaban-Delmas (n°255, avril 1985), Mme Claude (n° 212, septembre 1981), le président Sadate ( n°203, décembre 1980)... se sont prêtés à l’entretien de Lui.