d) Quand les nouvelles technologies s’emparent du charme.

Si aujourd’hui, la presse de charme ne fait plus recette, le charme n’a pas pour autant disparu des habitudes de lecture des français. Il a seulement changé de support d’exposition.

La chute vertigineuse des ventes des magazines de charme débute au milieu des années 80 et coïncide avec l’introduction dans les foyers français du Minitel.

La presse de charme reste assimilée à la presse pornographique et de fait subit les mêmes procès : les féministes en ont fait un de leur cheval de bataille. L’image véhiculée de la femme soumise, dénudée, sous l’expression de “ la femme-objet ” devient le combat de tous les instants pour les femmes en quête de reconnaissance, de respect et d’égalité de leurs droits.

Dans son texte intitulé La pornographie, comme faire-valoir sexuel masculin 157 , Richard Poulain tente de comprendre pour quelles raisons les hommes ont recours à la pornographie. Il reprend l’analyse le bretonienne sur la prédominance dans les sociétés occidentales du regard sur les autres sens et notamment sur l’absence croissante des odeurs palliée par les yeux et sur la prédominance du corps, indépendant du sujet et donc de son esprit. La pornographie est donc le lieu par excellence de l’attrait pour le corps passant par le regard, ce qui explique son succès dans les pays industrialisés. Car ce rapport au corps de l’autre est avant tout un rapport au corps imagé, désincarné et donc qui exclut tout sentiment mais qui impose d’être partagé par les participants, c’est ce que Poulain qualifie de “ complicité contributive ”. Or, cette dernière n’exclut pas que la pornographie soit un univers codé, dans lequel les rapports de force entre les protagonistes ne sont pas égaux ( que ce soit dans la pornographie hétérosexuelle comme homosexuelle) : la pornographie est le reflet des rapports entre les sexes : elle est sexiste ; la domination masculine y joue le premier rôle et la désincarnation et soumission féminine sont les instruments de cette domination. Poulain évoque alors la différence de traitement entre la représentation du corps masculin et du corps féminin dans les revues pornographiques : le corps féminin est régulièrement montré sans tête ou morcelé alors que le corps masculin ne peut être représenté sans la tête, le corps féminin est y régulièrement associé à des instruments (fouets... ) et certaines parties sexuelles retouchées esthétiquement 158 . Cette représentation uniquement sexuelle de la femme lui confère alors le statut de “femme-objet”, image régressive non réservée uniquement à l’univers pornographique 159 . Cette image de la femme-objet avait déjà été étudiée en 1975 par G. Falconnet et N. Lefaucheur dans l’étude de la place occupée par la femme dans la sphère privée, mais aussi dans la publicité : ils qualifiaient ainsi la “femme-objet-sexuel” : “  (...)est la représentation la plus fréquente de la femme, pour ne pas dire la seule qui puisse être aperçue publiquement. Et, bien sûr, c’est autour de ce cliché de la femme faite pour le plaisir de l’homme que se structurent les images et les représentations que les hommes se font des femmes ” 160 . G. Lipovetsky va plus loin dans l’analyse du rapport des hommes à la pornographie dans La 3e Femme : permanence et révolution du féminin en évoquant les sous-basements idéologiques de cette pratique masculine : “ Qu’exprime la pornographie dans cette perspective ? Moins une morale des plaisirs qu’une politique du mâle destinée à consacrer la domination masculine en reconduisant l’image de la femme putain, de la femme servile, de la femme stupide, abusée, objet des hommes 161 . C’est aussi à cette réponse qu’aboutit R. Poulain pour sa question : “pourquoi les hommes consomment-ils de la pornographie ? ”. Pour lui, “la chosification et la déshumanisation du corps pornographique féminin ont pour effet de conférer aux hommes une supériorité... humaine sur les femmes ravalées à l’animalité ” 162 avec un plaisir qui serait le résultat de cette domination, non naturelle mais produit par la société. La pornographie devient alors : “ un lieu de cristallisation idéologique où s’exprime la philosophie d’une époque et où une multitude masculine apprend un discours qui aide à perpétuer et à ancrer sa domination  163 .

La lecture de la presse de charme aurait donc pour effet de conforter la domination masculine. C’est contre cette recherche de conservatisme et d’accentuation de la servitude féminine mais aussi contre la dégradation de la représentation des femmes que se sont insurgés les mouvements féministes 164 mais aussi l’Eglise.

La presse de charme subit ainsi les foudres des féministes et voit ses ventes diminuer. Mais la baisse de la lecture de la presse de charme n’augure pas pour autant l’arrêt du recours au charme ; celui-ci change seulement de support d’expression.

Les films pornographiques ont fait leur apparition sur le petit écran fin 1984 avec la naissance de Canal + et proposent chaque mois, à domicile, un programme très attendu par les téléspectateurs. Ce film sera plus tard précédé du Journal du Hard, sorte de journal télévisé de l’actualité pornographique, présenté par d’anciennes starlettes du film pornographique. Ce programme est aujourd’hui un des plus regardés sur cette chaîne privée avec les matchs de football et le cinéma.

En 1985, l’apparition dans les foyers français d’un nouveau mode de communication : le Minitel, change les rapports au monde. Les messageries en général et les messageries roses en particulier font découvrir aux utilisateurs un nouveau moyen de rentrer en contact avec des amateurs (trices) ou professionnel(le)s du charme. Attirant avec des campagnes publicitaires basées sur des photographies dévêtues, ces messageries instaurent un nouveau rapport non plus fondé sur le regard mais sur la parole : ce rapport s’établit entre l’utilisateur qui fait la démarche du recours à la messagerie et son récepteur 165 . Le minitel, à l’inverse de la presse de charme qui nécessite la démarche de l’achat, favorise l’anonymat ( même si les pseudonymes utilisés sont symboliques) et l’utilisateur s’y adonne dans la sphère privée. Les confidences sont nombreuses et les masques tombent face à la distance des deux interlocuteurs anonymes. L’influence des conventions sociales s’évanouit. Josiane Jouët décrit dans L’amour sur Minitel la différence des comportements féminins et masculins et affirment que ceux-ci se révèlent dans leur naturel : “sur l’écran du Minitel on peut enfin jouer pleinement son identité sexuée, échapper au laminage ambiant de la différenciation sexuelle et revivre les modèles archaïques des relations entre les genres. La femme s’extirpe des revendications féministes et se repositionne franchement comme objet de désir. Elle aguiche l’homme et reprend ses attributs traditionnels mais, cette fois, elle ose aussi. Sa démarche témoigne donc d’une libération concrète tout en aspirant à renouer avec sa féminité. L’homme peut, à nouveau et sans impunité, jouer à être mâle. Sur la messagerie, l’homme réagit contre la déconstruction ambiante de la masculinité dans son identité personnelle et sociale. Il s’affirme comme “mec””. 166 .

La messagerie rose est un lieu de mise en pratique de la masculinité des hommes qui ont recours aux canons traditionnels de la séduction masculine : “autovalorisation, bluff, flatterie, acharnement à la conviction, rivalité avec les concurrents 167 pour “charmer” leur interlocutrice qui elle, peut être autant soumise que dominatrice 168 . Nous verrons dans la troisième partie de cette thèse consacrée au courrier des lecteurs des nouveaux magazines de presse masculine, que les comportements des utilisateurs de messageries roses se rapprochent de ceux des épistoliers, autant en matière d’écriture que de recours aux figures traditionnelles du masculin.

Les messageries roses ont offert aux amateurs de charme la possibilité d’entrer en contact avec les femmes jusqu’alors proposées sur papier. Le choix du recours à la messagerie rose est le même que celui du recours à la presse de charme, du moins au début 169 avec la vision prometteuse de la publicité à laquelle vient s’ajouter une interaction via la parole et permet ainsi à l’utilisateur de devenir acteur de ce jeu dont le sexe reste le leitmotiv. Le charme se joue alors aussi dans les esprits 170 .

L’innovation technologique a donc contribué à la transformation du rapport des individus au charme et à la presse de charme. Si le Minitel a ouvert une autre forme de communication sexuelle, l’avènement de l’Internet et des sites pornographiques et de charme ont à leur tour provoqué la chute des ventes de revues spécialisées. Ces sites regroupent les deux formules précédentes : le charme des photographies et la possibilité de contact via les “ Chat-rooms ”. Les sites de sexe et de charme font recette sur Internet, leur fréquentation est chaque année croissante. Les magazines de charme existant encore ne s’y sont pas trompés : ils possèdent tous un site. Les magazines ayant disparu ont soit conservé un site, soit le nom du magazine héberge un site pornographique, c’est le cas en France de Playboy.

Ces multiples sites Internet offrent à leurs utilisateurs la possibilité de “consommer”  du sexe ou du charme dans un lieu privé et d’échapper ainsi à l’acte d’achat en kiosque, rendu compliqué du fait du positionnement des magazines de charme dans les hauteurs du kiosque ou à l’intérieur même de la “caisse” du kiosquier, obligeant ainsi l’acheteur à formuler sa demande. La consultation sur Internet rend l’accès au charme plus simple et tout en proposant des offres variées.

Enfin, la presse de charme n’a pas uniquement subi les progrès technologiques, elle a aussi subi la propagation des photographies de femmes nues dans la presse, au cinéma et dans la publicité. Les hebdomadaires n’hésitent plus à publier des photographies de célébrités 171 en tenue d’Eve qui n’ont rien à envier aux starlettes des magazines de charme des années 80, les sportifs, les membres d’associations et la gagnante de la première émission de télé réalité posent nus ou “ agrémentés ” d’accessoires (objets qui évoquent le sport pratiqué, la profession...) dans des calendriers à but caritatif ou non et dont les ventes sont importantes. Enfin, la publicité fut traversée en 2000-2001 par la mode du sadomasochisme avec des mannequins nus, lascifs tenant des fouets, représentant la femme dans le rôle de la femme-objet digne des magazines de mode. Ces campagnes de publicité, dont celle de Gucci, ont valu à la presse féminine française de fortes critiques 172 .

La multiplicité des photographies de charme dans tous les médias sert de caution aux consommateurs de charme, en multipliant l’offre et en facilitant son achat en kiosque au détriment de la presse de charme traditionnelle.

Il semble que, si les formules de charme et de mode sont séparément en difficultés, elles retrouvent une fois assemblées une contenance et rencontrent un public certain. Comment ces deux éléments : le charme d’une part, la mode et la culture d’autre part, arrivent à se mêler et quelle formule engendrent-ils ? Il semble que Max soit arrivé à relever le pari de la cohabitation de ces deux éléments.

Notes
157.

POULAIN R.,» La pornographie, comme faire-valoir sexuel masculin» , in WELZER-LANG D. (sous la dir.) Nouvelles approches des hommes et du masculin . Toulouse, Presses Universitaires du Mirail, 2000, pp. 51-77.

158.

C’est dans l’univers de la pornographie que le recours à la chirurgie esthétique est le plus important et notamment pour les opérations d’augmentation de la poitrine afin d’accentuer le caractère sexuel de cette partie du corps. Ce dernier devient alors définitivement voué à la sexualité.

159.

Dans l’exposition consacrée aux 250 ans de la publicité qui s’est tenue au Musée de la Publicité à Paris au début de l’année 2001, des bases de données étaient à la disposition des visiteurs afin de visionner des publicités à partir d’un mot-clé. Le mot “ Femme ” renvoyait aux expressions suivantes : femme-tronc, femme-sexy, femme-oiseau, femme-obus (dans une publicité datant de 1879), femme-objet, femme-nue, femme masculine, femme girafe, femme enceinte, femme dominatrice, femme dénudée, femme de ménage, femme à barbe, femme au foyer, femme de chambre, femme BCBG... ” Le mot “ homme ” renvoyait à :  homme préférant les blondes, homme-sandwich, homme statue, homme préhistorique, homme orchestre, homme d’affaires, homme noir... ”. La représentation des hommes et des femmes dans la publicité, au fil des années, a certes évolué mais elle reste profondément connotée : les femmes sont associées à l’image de leur corps et de leur plastique, les hommes sont associés à leurs activités professionnelles, même si certaines expressions étaient employées dans cette base de données autant au féminin qu’au masculin : c’est le cas de “ sexy, marié, dénudé, noir, blanc... ”

160.

FALCONNET G et LEFAUCHEUR N.,  La fabrication des mâles, op.cit, p. 69.

161.

LIPOVETSKY G.,  La 3e femme. Permanence et révolution du féminin, op. cit, p. 42.

162.

POULAIN R., « La pornographie comme faire-valoir sexuel masculin», op. cit, p. 64.

163.

POULAIN R., «La pornographie comme faire-valoir sexuel masculin», ibid, p. 77.

164.

Le mouvement “ Les chiennes de Garde ” lutte au quotidien contre toutes les attaques sexistes perpétuées contre les femmes, publiques ou anonymes. Elles se sont notamment insurgées contre un défilé de lingerie féminine de Chantal Thomas dans un grand magasin parisien, pour apologie de la pornographie et exploitation publique du corps féminin.

165.

Selon JOUET J dans «L’amour sur Minitel», in BOUGNOUX D.  Sciences de l’information et de la communication. Textes essentiels. Paris, Larousse, 1993, pp. 784-789, les utilisateurs des messageries roses sont avant tout des hommes ( les 2/3), avec une forte proportion d’hommes vivant en couple et recherchant par ce biais une aventure. Quant aux rares femmes “ fréquentant ” les messageries roses, elles apprécient surtout l’anonymat et la protection de l’écran qui leur permettent d’aborder des hommes inconnus. Le nombre important d’hommes pour le peu de femmes engendre une “ organisation phallocentrique ” et incite les hommes à avoir recours à des “ techniques de chasse et de capture de proies ” afin de pouvoir rentrer en contact virtuel avec une utilisatrice. La femme devient alors une valeur à conquérir!

166.

JOUET J., « L’amour sur Minitel», ibid, p. 787.

167.

JOUET J., «L’amour sur Minitel», ibid, p. 787.

168.

Le rôle de l’interlocutrice dépend du type de la messagerie : dans les messageries roses où les interlocuteurs sont uniquement amateurs, le choix réciproque de l’autre se fait par affinité où chacun établit son rôle (d’égal à égal, soumission, domination) en fonction de ses préférences. Dans le cadre des messageries roses dont le récepteur est un ou une professionnelle ( les messageries roses homosexuelles se sont beaucoup développées ces dernières années), par exemple 3615 Ulla, soit l’utilisateur effectue son choix en fonction du rôle et des avances affichés sur les panneaux publicitaires, soit il s’adresse à des pages dans lesquelles un ou une professionnel(le) est rémunéré(e) pour répondre aux demandes du consommateur. Il ou elle est alors payé(e) pour jouer un rôle.

169.

Le premier contact avec une messagerie rose se fait par voie d’affichage de femmes ou d’hommes lascifs, que ce soit sur la voie publique ou dans des revues...

170.

Sous chaque pseudonyme de professionnel(le)s, se cachent plusieurs interlocuteurs(trices). L’utilisateur garde-t-il en mémoire le corps de la femme sur l’affiche ou est-il conscient de s’adresser sans doute à une autre personne qui, elle, n’a rien à voir avec la plastique affichée ?

171.

Dans son numéro 2752 du 21 février 2002, Paris Match publie des photographies de Doriane Vidal, médaille d’argent de l’épreuve de half-pipe aux JO de Salt Lake City, nue, posant allongée, puis debout et enfin en gros plan. La légende fait état d’une “ belle alanguie, aux courbes sublimées par du body painting ” et le texte relate les circonstances de ces prises de vue : “ lorsque sa fédération lui a demandé de participer, avec d’autres membres de l’équipe nationale, à une séance de photos pour donner une meilleure image de son sport, la ravissante perpignanaise n’a pas hésité. Après une série de portraits de Doriane... son charme a fait le reste. Le ski français s’est découvert une star et peut-être une muse ”.

172.

En janvier 2001, l’hebdomadaire Marianne titrait : “ Cette presse féminine qui insulte les femmes ”. Martine Gozlan évoque alors le revirement des lignes rédactionnelles de la presse féminine et les incohérences entre le dire et le faire : la dénonciation du jeunisme illustrée par des photographies de Lolitas, la révolte contre les publicités sadomaso mais qui sont publiées... Ces ambivalences se multiplient, ajoute-t-elle, afin de ménager les annonceurs publicitaires d’une part et les lectrices d’autre part.