a) Le leadership historique et économique des marchés anglais et américains de la presse masculine.

L’Angleterre comme bastion de la presse masculine.

La presse masculine s’est développée outre-Manche depuis une dizaine d’années et l’Angleterre apparaît aujourd’hui comme le pays où la proportion de magazines masculins est la plus élevée par habitant. Nous avons vu comment la Grande-Bretagne possède une véritable tradition de la mode masculine et de l’élégance des hommes dont la presse de mode masculine s’est beaucoup inspirée. Elle possède aussi une culture de la lecture de la presse quotidienne et dominicale et un secteur de presse de plus en plus segmenté afin d’augmenter encore plus le nombre des lecteurs de magazines. C’est ainsi que la presse masculine 184 se développe au milieu des années 80 et s’accentue au début des années 90.

En 1986, le groupe Wagadon, qui est aujourd’hui une filiale du groupe Condé Nast, lance sur le marché Arena qui devient rapidement le magazine emblématique de toute une génération. Sous-titré “The original Magazine for Men, il apparaît avant tout comme un magazine haut de gamme et chic qui propose à ses lecteurs masculins des séries de mode, des présentations de nouveautés technologiques... Arena ouvre ses pages à des entretiens d’hommes célèbres (politiques, artistes... ) et véhicule une image de l’homme brillant, moderne, distingué et élégant auprès des Yuppies, ces jeunes hommes de la City. Arena révolutionne le monde de la presse magazine en apposant à ces textes ( souvent minimalistes) une mise en page avant-gardiste où l’objet est photographié en lui-même et non comme l’accessoire d’une tenue. L’objet est mis en relief par sa solitude sur un page de couleur claire. Si aujourd’hui, ce processus est récurrent notamment dans les magazines de mode, à l’époque, il était novateur et percutant. Cette ligne rédactionnelle a été conservée par le magazine depuis sa naissance mais le magazine souffre aujourd’hui de la concurrence accrue sur ce secteur. En 1998, il vendait encore 90 000 exemplaires chaque mois, en 2001 les chiffres font état seulement de 37 000 numéros vendus en moyenne.

En effet, la formule et le succès d’Arena suscitent dès son apparition des convoitises. Rapidement GQ (Gentlemen’s Quarterly, littéralement “la revue trimestrielle pour l’homme”) débarque en 1988 en proposant une formule très proche, plus basée sur la publicité que son concurrent 185 , ce qui lui vaut d’être un magazine très fourni (environ 450 pages) au service du bon goût. Une page entière est consacrée aux jeux (les dames, le backgammon...), une autre au dressage de la table... Ce magazine instaure une interaction avec les lecteurs sur des sujets très divers qui vont de la santé à la nourriture jusqu’aux conseils vestimentaires. Ainsi, le magazine dispose de pages de courrier des lecteurs relatif à la manière d’accorder une tenue vestimentaire : les hommes y recherchent une bonne adresse, un conseil sur un noeud de cravate...Il dispose aussi d’un courrier des lecteurs plus axé sur la santé auquel un médecin s’efforce de répondre. GQ a conservé de bonnes ventes en Angleterre avec, en moyenne, 140 112 numéros vendus chaque trimestre. Ce magazine dispose d’une aura internationale puisque, nous le verrons, il est présent dans bon nombre de pays où la presse masculine est développée. Pour Colin Mac Dowell, ces magazines sont les révélateurs d’une nouvelle vision de la masculinité : “la conception moderne de l’identité, de la sexualité et de la mode masculine s’est forgée dans les années 70 et elle a vu le jour sur les pages de magazines tels que Arena en Grande-Bretagne et Gentlemen’s Quaterly aux USA. Soudain ou presque, des hommes sexy, adeptes des centres de remise en forme, ont commencé à poser, impassibles, devant l’appareil photo, dans les Rocheuses, le désert du Névada ou au bord d’une piscine à Palm Springs 186 . Le concurrent direct de GQ apparaît sur le sol anglais en 1991. Esquire a tout d’abord fait une longue carrière dans son pays d’origine, les Etats-Unis, où il a longtemps été en concurrence avec Playboy et Gentry sur le créneau du masculin (679 000 exemplaires vendus chaque mois aux Etats-Unis en 2001) avant d’investir le marché britannique et plus tard le marché asiatique 187 mais peu l’Europe.

Ces trois magazines masculins se partagent le marché jusqu’en 1994, date à laquelle de nouveaux groupes lancent d’autres formules. C’est le cas en avril 1994 de IPC avec Loaded. Ce magazine révolutionne la façon de penser et de faire des magazines masculins. Avec un titre signifiant “ bourré, défoncé et plein aux as , il change la cible des magazines masculins : les yuppies étaient ciblés par les masculins “antérieurs”, désormais Loaded s’intéresse aux jeunes hommes qui se réunissent autour de bières, de pizzas, qui se retrouvent dans les Clubs... et fonde ainsi ce qui est désormais communément appelé outre-manche la Lad Culture, véritable mode de vie très répandu chez les jeunes britanniques et particulièrement de sexe masculin 188 . La formule n’est plus aussi chic que les magazines masculins d’élégance mais elle rapporte : en mettant en couverture des filles dévêtues et de préférence célèbres, et à l’intérieur quelques reportages et un guide des lieux à fréquenter 189 en soirée, le magazine trouve rapidement sa place. En 1998, Loaded vendait 380 000 exemplaires, en 2001 il en vend encore 351 000. Son ton parfois vulgaire et son assemblage de couleurs criardes ont contribué à sa notoriété, même si elle est, contrairement à ses concurrents, ni européenne, ni internationale.

Mais Loaded a instauré un nouveau style de presse pour les jeunes hommes avides de blagues, d’informations décalées, de jolies filles et c’est de cette recette que s’empare le groupe anglais Emap juste après que Loaded soit apparu sur le marché. Emap rachète le titre For Him, magazine masculin lancé dans le sillage d’Arena et qui ne parvient pas à dépasser les 50000 exemplaires mensuels. Il change la ligne rédactionnelle en y appliquant les formules gagnantes de Loaded, change le nom en For Him Magazine (FHM) et le succès est fulgurant. En 1997, le magazine a réalisé une augmentation de 178 % de ses ventes ; en 1998, la diffusion moyenne est de 800 000 exemplaires, en 2001 elle baisse à 720 000 mais fait de lui le numéro un incontestable de la presse masculine britannique.

Le succès de FHM et la chute des ventes imposées par celui-ci aux formules vieillies des masculins plus anciens incitent GQ et Esquire à avoir recours à des formules plus populaires pour regagner un lectorat dont le choix de magazines masculins s’est énormément élargi en moins de 10 ans.

FHM constitue aujourd’hui un des piliers de la presse masculine internationale. Présent dans 12 pays en 2001 190 , il a su imposer en Grande-Bretagne un style propre à lui mais dont le coté “trash et vulgaire” de certains numéros éloignent parfois les annonceurs publicitaires.

En février 1995, le groupe Rodale tente d’investir le marché britannique des masculins en proposant avec Men’s Health une nouvelle formule, sans charme ni blague mais centrée sur le bien-être corporel par le biais du sport, de la nutrition... Cette formule, lancée aux Etats-Unis en 1988, a fait ses preuves outre-Atlantique (en 2001, 1630000 exemplaires y sont vendus en moyenne chaque mois) mais peine à trouver une place importante en Grande-Bretagne, même si Men’s Health est un des seuls magazines masculins à ne pas avoir vu chuter ses ventes entre 1998 et 2001 (190 000 en moyenne en 1998 et 235 000 en 2001) 191 . La formule santé a donc un avenir anglais mais les formules de FHM, Loaded et Maxim la supplantent encore.

Le britannique Maxim quant à lui tient dans son pays d’origine une place importante : il vend en moyenne 328 000 exemplaires par mois avec une formule elle aussi attirant les lecteurs par de jeunes célébrités dévêtues ou à la recherche de cette célébrité.

Magazines groupe de presse naissance diffusion en 2001
Arena Wagadon 1986 37 000
GQ Condé Nast 1988 140 112
Esquire National Magazine Company 1991 100 000
Loaded IPC 1994 351 000
FHM Emap 1994 720 000
Men's Health Rodale 1995 235 000
Maxim Dennis Lifestyle 1995 328 000

L’Angleterre est donc le bastion d’origine de la presse masculine et le pays qui dispose de plus grand nombre de titres. Comme dans la quasi-totalité des pays anglo-saxons, la presse masculine a réussi son ancrage et ce, grâce à une culture de la presse développée chez les britanniques et un style de vie retrouvé dans ces masculins. Nous verrons que ce sont pour la plupart ces titres que l’on retrouve sur le marché français.

Notes
184.

Le marché de la presse masculine britannique a été étudié par Peter Jackson, Nick Stevenson et Kate Brooks dans leur ouvrage Making Sense of Men’s Magazines paru en 2001 aux éditions Polity.

185.

Il n’est pas rare, dans les numéros disponibles de GQ en France que la première page d’informations, celle des contributions, soit proche de la centième page.

186.

MAC DOWELL C.,  Histoire de la mode masculine. Paris, Ed de la Martinière, 1997, p. 169.

187.

En 2001, Esquire était présent dans 11 pays : Chine, République Tchèque, Hong Kong, Japon, Corée, Pays-Bas, Taiwan, Turquie, Thaïlande, Royaume-Uni et les États-Unis.

188.

A la fin des années 1950, les économistes anglais ont pris conscience de l’importance du marché des adolescents anglais et particulièrement des jeunes hommes puisque les filles subissaient alors un contrôle parental strict et étaient exclues de la “ culture de la rue ” : matches de football, la fréquentation des bars et des pubs...

189.

La formule de Loaded ressemble en beaucoup de points à celle de Max.

190.

FHM était présent en 2001 en Australie, France, Allemagne, Hongrie, Malaisie, Pays-Bas, Philippines, Singapour, l’Afrique du Sud, Turquie, Royaume Uni et Etats-Unis.

191.

Men’s Health a d’ailleurs été couronné deux fois ces dernières années. En 1999, il a été élu magazine de l’année et en 2000, il a reçu l’award du meilleur éditeur dans la catégorie hommes.