a) La mondialisation de la presse.

La répartition mondiale de la  nouvelle presse masculine est liée à la religion des pays ; mais ce facteur d’implantation n’est que le mode d’application effectif dans les divers pays d’une politique d’internationalisation des groupes de presse qui répond à une logique économique de type capitaliste. En effet, les marchés de la presse masculine dans les pays anglo-saxons et dans le nord de l’Europe étant des succès, il apparut aux différents groupes que le marché français, vierge de toutes publications récentes, était un marché potentiel à conquérir.

Mais le marché français présente alors (en 1998-1999) une spécificité : il est le premier marché européen latin à être investi par les groupes étrangers. Même si les caractères des pays latins ne leur sont pas inconnus (l’Amérique Latine a été investie en 1997 par le groupe Rodale), la France est le premier pays européen latin convoité par les groupes de presse, présentant un marché à construire.

Le but des groupes de presse masculine, au commencement soit anglais, soit américains, est alors de se développer et de se positionner dans le maximum de pays étrangers afin de se faire connaître et de pouvoir y accroître leur influence.

Les installations de groupe sur un sol étranger s’effectuent de trois manières différentes et ont été décrites par Jean-Marie Charon dans Réseaux 203 : la création par des groupes forts de filiales propres ou le rachat d’ éditeurs qui deviennent des filiales propres ; créer une filiale commune avec un partenaire local : la formule du Joint Venture ; et enfin la licence par laquelle l’éditeur remet le titre entre les mains d’un partenaire qui a pour charge de “ fabriquer ” le magazine selon un carnet des charges : c’est une sous-traitance. En ce qui concerne les groupes présents sur le marché français de la nouvelle presse masculine, ils ont investi ce marché de manières différentes les uns des autres.

Les magazines mensuels à avoir investi le marché masculin entre 1998 et fin 2000 sont quatre 204 : chronologiquement, M Magazine apparu en mars 1998, a une histoire “familiale” décousue 205 : au départ, il appartient au groupe suisse Edipress (il détient les principaux quotidiens helvétiques) qui s’implante sur le marché français via une société hexagonale et est une création, puis il est englobé dans la fusion entre ce groupe et le groupe français Excelsior Publications, qui apportent chacun un titre : M Magazine pour Edipress et Vital pour Excelsior Il naît alors une filiale commune Ediexcel spécialisée dans la santé au féminin comme au masculin. C’est lors du retrait du groupe Suisse que le magazine cesse de paraître.

Le groupe Rodale arrive en France en avril 1999 avec Men’s Health 206 en fondant Rodale France. Ce groupe américain base son groupe français uniquement sur ce titre, et ce jusque fin 2001, date à laquelle il est racheté par le groupe allemand Axel Springer.

Le groupe anglais Emap ( East Midlands Allied Press) s’est implanté sur le marché français en rachetant, notamment, 28 magazines aux Editions Mondiales et 10 au groupe Hersant. Emap France est donc une filiale du groupe anglais, avec une quarantaine de titres en France. FHM est donc un des titres d’une filiale qui est structurée en pôles thématiques, structure sur laquelle nous reviendrons dans la seconde partie de cette thèse.

Enfin, Maximal est le fruit de l’achat en 2001 d’une licence anglaise (celle de Maxim) par le groupe Hachette Filipacchi Média.

Les trois façons de s’implanter sur un marché étranger, énoncées par J-M Charon, sont effectivement celles qui ont été utilisées par les groupes (de préférence anglo-saxons), il en résulte finalement une dichotomie entre les titres rattachés à un groupe puissant sur le sol français (Maximal avec Hachette et FHM chez Emap) et les titres qui font le groupe à eux seuls (M Magazine pour Ediexcel et Men’s Health pour Rodale en France). Nous verrons comment l’appartenance à ces groupes puissants ou moins puissants sur le marché de la presse française influe sur les méthodes de travail de ces rédactions.

Le concept de “presse masculine” a ainsi été pour les deux groupes “à un seul titre” le moyen d’ investir un pays, en y important une formule novatrice puisque ce sont ces deux “petits” groupes qui ont crée les magazines spécialisés dans la forme et la santé au masculin. Fonder un groupe de presse dans un pays étranger sur un seul titre est en soi un pari, qui devient plus fou encore si ce titre relève d’une formule totalement novatrice et nous verrons combien ce pari a été difficile à relever.

La nouvelle presse masculine est avant tout un marché international : les groupes dominants communiquent en terme de “ parts mondiales ”, de “ rentabilité mondiale ”. La rédaction de Men’s Health France nous a confié en novembre 2001 des documents en anglais présentant le magazine, le groupe mais aussi des réponses aux questions les plus couramment posées aux différentes rédactions à travers le monde. On y apprend ainsi que Men’s Healthest le magazine qui possède la diffusion la plus importante à travers le monde avec en moyenne 3 500 000 exemplaires vendus par mois, le plus grand nombre d’éditions (24) et le plus grand nombre de pays couverts par un magazine masculin (31). La communication de Men’s Health se fait donc par un positionnement non pas local mais mondial. Ce qui implique le nom anglais afin qu’il soit reconnaissable dans tous ces pays, c’est aussi le choix qu’a fait le groupe Emap en conservant notamment la langue anglaise pour les noms de rubriques dans FHM.

Cette mondialisation des groupes s’effectue d ’une part dans le but de couvrir un maximum de pays, marchés potentiels de presse masculine et d’autre part de fonder par la multiplication des éditions une “ base de données ” dans laquelle chaque édition peut puiser. La mondialisation de la presse permet aux groupes internationaux de rentabiliser leurs productions en produisant en un exemplaire et en le fournissant à un grand nombre de leurs éditions 207 .

La recherche de nouveaux territoires à conquérir a été le moteur de l’implantation des groupes de presse possédant un titre masculin. La France, espace vierge de formules récentes, présente alors la continuité de l’invasion du “ Vieux Continent ”, même si les groupes internationaux s’attaquent alors à un pays d’origine et de culture latine. Mais la volonté d’implantation en France ne se fait pas au hasard dans un pays où la culture du corps n’est pas particulièrement développée même si les hommes semblent prendre davantage soin de leur corps via le sport, les produits de beauté et les vêtements, sous forme de gammes plus variées.

Notes
203.

CHARON J-M.,» La presse magazine : un média à part ?», Réseaux, n° 105, 2001, pp. 55-77.

204.

Nous ne comptons pas ici les tentatives de lancement avec un ou deux numéros (TMB et Kromozom), ni les magazines bimestriels ( Mad), trimestriels (Wad) ou encore semestriels (Numéro).

205.

Il faut noter que les membres de la rédaction de feu M Magazine déclarent n’avoir jamais eu connaissance des accords passés entre les sociétés qui ont participé à la naissance de ce magazine, ni plus tard aux accords passés pour la fusion.

206.

Répartition des versions de Men's Health entre Joint Venture, alliance et groupe RodaleGroupe RodaleUSA (1988), Royaume-Uni (1995), France (1999) puis licence Axel Springer (2002) Joint VentureAllemagne (1996), Motor PresseAmérique Latine (1997), Editorial TelevisaAfrique du Sud (1997), Touchline MediaItaly (2000), MondadoriEspagne (2001), Motorpress IbericaPortugal (2001), Motorpress IbericaLicencesAustralie (1997), Murdoch MagazinesRussie (1997), Independant MediaPays-Bas (1998), WeekbladpersSuède (1998), BonniersNorvège (1998), BonniersDanemark (1998), BonniersSlobénie (2001), Motomédia

207.

L’impact sur les contenus de l’appartenance à un groupe international fera l’objet d’une analyse dans la seconde partie de cette thèse.