b) La consommation masculine des biens et loisirs liés au corps.

C’est à partir des années 60, comme le rappelle David le Breton que le corps se libère, par effet de la montée de l’individualisme, occasionnant de nouvelles pratiques sportives, vestimentaires et hygièniques : “ Cet imaginaire du corps suit fidèlement et (socio)logiquement le procès d’individuation qui marque les sociétés occidentales de façon accélérée depuis la fin des années 60 : investissement de la sphère privée, souci du moi, multiplication des modes de vie, atomisation des acteurs, indétermination. Un autre temps de l’individualisme voit le jour et modifie en profondeur les relations traditionnelles envers le corps ”. 208 Mais ce corpsest devenu, selon lui, par action de la modernité, “ un Alter Ego ” où le corps reste considéré comme entité autonome et séparée de l’être : “ un nouvel imaginaire du corps a pris son essor dans les années 1960. L’Homme occidental se découvre un corps et la nouvelle va suivre son chemin, drainant des discours et des pratiques revêtues de l’aura des médias. Le dualisme contemporain oppose l’homme à son corps. Les aventures modernes de l’homme et de son double ont fait du corps une sorte d’Alter Ego. Lieu privilégié du bien-être (la forme), du bien-paraitre ( les formes, body-building, cosmétiques, diététique... ), passion de l’effort ( marathon, jogging, planche à voile) ou du risque (escalade, “ l’aventure ”... ). Le souci moderne du corps, au sein de notre “ humanité assise ”, est un inducteur inlassable d’imaginaire et de pratiques. “ Facteur d’individuation ” déjà, le corps redouble les signes de la distinction, s’affiche à la façon d’un faire-valoir ” 209 . Les événements de mai 68 ont aussi tenu un rôle important dans la libération du corps humain avec notamment la place donnée à la nudité : W. Lapierre rappelle dans l’introduction à l’ouvrage de E. Perrin Cultes du corps. Enquêtes sur les nouvelles pratiques culturelles, ce que fut l’idéologie de cette période en ce qui concerne le corps : “ le thème “ corporéiste ” (Maisonneuve dixit) était une composante majeure de l’idéologie soixante-huitarde : la libération sexuelle ; la communion spontanée, l’expression corporelle ; le refus des règles traditionnelles du discours et du comportement ; retrouver, écouter son corps, laisser libre cours à la parole, au geste et au mouvement, être bien dans sa peau, autant de variations sur ce thème. Et certes cette insurrection contre les interdits et les préjugés, contre le dualisme hiérarchisé de l’âme et du corps, attaquait sainement le dressage imposé, pour nous soumettre physiquement aux disciplines mécaniques du désordre établi, par une organisation du travail, de l’action politique, de la vie quotidienne, de plus en plus militaire et bureaucratique ” 210 . 1968 a offert aux hommes et aux femmes une libération dans laquelle le corps a pris une telle ampleur et une telle importance que chaque menace qui lui est faite, est dès lors un fléau : la maladie, le vieillissement, la mort... sont fortement combattus voire même parfois avec acharnement. C’est notamment pour remédier à cet “effritement” du corps que les individus ont recours aux activités physiques, à l’entretien de ce corps autant par l’élégance que par la prise de médicaments ou de substances facilitant cet entretien ( DHEA...). Le Breton évoque l’influence de la modernité sur les esprits en véhiculant un culte de la jeunesse et de la santé qui correspond peu au véritable corps des hommes 211 , lesquels ont alors recours à des pratiques nouvelles pour correspondre à cette image idéalisée : “ une ruse de la modernité fait passer pour libération des corps ce qui n’est qu’éloge du corps jeune, sain, élancé, hygiénique. La forme, les formes, la santé s’imposent comme souci et induisent un autre type de relation à soi, l’allégeance à une autorité diffuse mais efficace. Les valeurs cardinales de la modernité, celles que met en avant la publicité, sont celles de la santé, de la jeunesse, de la séduction, de la souplesse, de l’hygiène. Ce sont les pierres d’angle du récit moderne sur le sujet et sa relation obligée au corps. Mais l’homme n’a pas toujours le corps lisse et pur des magazines ou des films publicitaires, on peut même dire qu’il répond rarement à ce modèle. Ainsi s’explique le succès actuel de ces pratiques mettant le corps en exergue (jogging, mise en forme, body-building...), le succès de la chirurgie esthétique ou réparatrice, celui des cures d’amaigrissement, l’essor spectaculaire de l’industrie des cosmétiques ” 212 .

Nous avons vu dans la partie consacrée à l’évolution de la mode masculine que celle-ci s’était accompagnée d’une évolution, notamment en ce qui concerne les produits liés à la beauté des hommes. Les crèmes de soin de la peau, parfums, déodorants... sont devenus des produits récurrents dans la trousse de toilette de la gent masculine. C’est ce que montre la comparaison des volumes de 1999 et de 2001 de Francoscopie par Gérard Mermet. En effet, dans les parties consacrées aux loisirs et au corps, l’ouvrage de 1999 n’opère pas de distinction entre les sexes ; il n’évoque que les français (les deux sexes confondus) ou les femmes (notamment pour tout ce qui touche aux soins du corps, à l’habillement... ). On y apprend peu de choses sur les hommes, si ce n’est quelques chiffres relatifs à la calvitie... Dans Francoscopie 1999, les hommes n’ont place que dans le chapitre du travail et du temps accordé à la famille, aux loisirs et aux tâches domestiques.

En revanche, Francoscopie 2001 effectue quasi-systématiquement une dichotomie entre les hommes et les femmes, et ce dans tous les domaines : travail, loisir, rapport au corps, consommation, temps consacré aux tâches quotidiennes domestiques... Cette dichotomie permet deux constats : d’une part, certes les hommes s’adonnent encore moins que les femmes à tout ce qui a trait au rapport au corps et à l’habillement mais cette tendance tend à s’inverser ; d’autre part, les hommes conservent des domaines de prédilection comme les loisirs auxquels ils consacrent une grande partie de leur temps libre.

La consommation masculine a profondément changé en quelques années pour finalement prendre une place de plus en plus importante notamment dans les campagnes publicitaires où désormais les hommes ont succédé aux enfants comme cible première des professionnels de la publicité. Tous les domaines vivent la même évolution. Nous avons vu l’évolution (en millions de francs) entre 1973 et 1996 des cosmétiques pour hommes, cette tendance s’est accrue encore après 1996 et représente aujourd’hui 3 milliards de francs (457 millions d’euros). Cela concerne tous les produits de beauté du corps : selon Francoscopie 2001, 67 % des hommes utilisent un déodorant chaque jour et 77% d’entre eux prennent une douche quotidiennement, ce qui implique une consommation en hausse des gels douche pour hommes et une baisse de l’achat de savon. Les hommes ont aussi évolué dans leur rapport au rasage ; si le rasoir électrique a connu des heures de gloire dans les années 80, chaque année la part des ventes des rasoirs mécaniques augmente : les progrès technologiques associés à une publicité importante incitent les hommes à recourir à un matériel plus facile notamment à transporter. Ce retour vers le rasage traditionnel engendre le recours à des produits liés au rasage à la main : 61 % des hommes utilisent une crème à raser, 19 % un gel, 10 % une crème, 10 % un savon à barbe en bol 213 et 62 % appliquent ensuite un produit après-rasage. Le rasage et après-rasage forment le premier pôle de dépense masculine (environ 50 %) pour ce qui relève du corps. Le second pôle est celui de l’hygiène corporelle (gels douche, crèmes de soin, déodorants... ) qui représente un tiers des dépenses et enfin le reste de ces dépenses est consacré aux eaux de toilette et parfums avec une préférence pour ces derniers au détriment de la traditionnelle eau de Cologne dont les ventes ne cessent de diminuer. D’autres pôles secondaires de la cosmétologie sont désormais investis par les hommes : en 2001, 36 % des hommes ont eu recours aux produits solaires mais les produits liés au corps qui aujourd’hui constituent un véritable marché à eux-seuls sont les produits anti-chute des cheveux. 9 millions de français 214 seraient concernés par la chute de cheveux et sont de plus en plus nombreux à consulter ou à avoir recours à des produits anti-chute. Ce chiffre tend à augmenter notamment chez les populations jeunes : ainsi en 1999, 28% des hommes commençaient à perdre leurs cheveux vers 35 ans, ils sont aujourd’hui plus d’un tiers et 2/3 les perdent après 60 ans (contre 60 % en 1999). La calvitie touche donc une plus large population et les hommes désormais ont recours à des traitements (pour ceux qui ne se rasent pas totalement pour endiguer la calvitie). La fréquentation des salons de coiffure est devenue presque “ banale ” dans la vie quotidienne de l’homme (qui a longtemps été, et l’est toujours dans certains foyers, coiffé à domicile par son épouse) et les produits liés notamment à la coloration des cheveux se développent, même s’ils restent bien moins utilisés que par la coiffure féminine. Il faut noter aussi une hausse de la proportion des hommes qui pratiquent le régime, longtemps considéré comme “ sport ” féminin. Ils sont désormais 15 % (contre 11% en 1991) à faire attention à leur alimentation, même s’il semblerait que la manière de mener aujourd’hui un régime soit différente de celle dont il était mené hier : les substituts de repas voient leur consommation s’effondrer depuis 1996 (les études sur les conséquences néfastes de l’absorption des coupe-faim semblent avoir été entendues), et les régimes se composent désormais d’une association d’eau, d’alimentation plus équilibrée, de séjours minceurs, de tisanes et d’un suivi par des spécialistes de la diététique. Enfin, les hommes ont de plus en plus recours à la chirurgie esthétique et représentent 20 % du nombre total des opérations. Celles-ci se répartissent en 2/3 de traitement contre la calvitie (que les hommes qualifient de handicap), 1/10 de rajeunissement des paupières et beaucoup d’actes opératoires concernent les aspirations de graisse. La liposuccion n’est donc pas que féminine, ni le lifting puisque 8% des opérations esthétiques pour les hommes ont pour objet le rajeunissement du visage masculin. Nous avons noté l’importance des ventes effectives des produits cosmétologiques masculins (les lignes spécialement créées pour les hommes) mais la consommation des produits de beauté par les hommes se révèle être en fait bien supérieure aux chiffres donnés : en effet, bien des hommes consomment des cosmétiques ou produits de bain unisexe comme les gels douche ou les crèmes type Nivéa... La consommation masculine en matière d’hygiène corporelle est donc difficilement chiffrable, même si elle est en constante évolution.

L’habillement est aussi un des domaines masculins qui a beaucoup évolué ces dernières années. Même si, comme le rappelle Jane Hervé dans La Coquetterie masculine :l’Homme mis à nu 215 , ce sont les femmes qui achètent encore 2/3 des vêtements et 3/4 des sous-vêtements des hommes, la tendance tend à l’accroissement de l’autonomie des hommes en matière de choix et d’achats vestimentaires malgré une baisse de la part du budget consacré à l’habillement. En 1960, il représentait 11 % du total des dépenses, en 1999 il n’était plus que de 5 % des dépenses totales, tout en s’élevant encore à 56 milliards de francs (8.53 milliards d’euros). Ce poste de dépenses reste inférieur chez les hommes à celui des femmes (2430 Francs ( 370.4 euros) en moyenne pour un homme contre 3520 Frs (536.5 euros) pour une femme), mais les offres de vêtements et de lieux d’achat se sont multipliés ces dernières années : nombreuses sont les boutiques féminines à avoir créé des boutiques masculines (Devred, Jules, Armand Thierry... ) et les créateurs à avoir investi la mode masculine. Cette multiplication des lieux de vente de vêtements et accessoires masculins répond aussi à l’instauration de nouveaux codes vestimentaires masculins dans les milieux professionnels : la mise en place dans de nombreuses entreprises du Fridaywear incitent les employés à élargir leurs possibilités d’achat, jusqu’alors limitées au traditionnel et classique costume-cravate. C’est ainsi que les baskets ont été associées au costume, la chemise portée en sur-chemise et la cravate laissée dans la penderie. Ces nouveaux codes permettent aux hommes de diversifier leur garde-robe, et trouvent dans les nombreux nouveaux points de vente spécialement masculins de nouvelles coupes, matières et accessoires pour égayer leur tenue vestimentaire. Un sondage mené en 1999 conjointement par le BHV et La SOFRES montre que 60 % des hommes s’habillent désormais par plaisir, avec une pointe à 75 % chez les 18-25 ans. C’est donc avant tout le plaisir qui incite les hommes à s’intéresser à leur tenue, même s’ils la gèrent avec l’aide d’une tierce personne et particulièrement avec leur épouse ou compagne. Dans ce même sondage, ils déclaraient être 62 % à demander conseil à leur compagne avant achat et 42 % à ne jamais rien acheter seuls (les femmes nuançaient cette réponse masculine en déclarant que 67 % des hommes n’achètent jamais rien seul). Quelleque soit la part effective des hommes qui ont recours à un avis extérieur afin de procéder à un achat, il semble que cette part est en diminution au fil des années. La hausse du célibat des hommes et l’autonomie en matière de goût des jeunes gens impliquent que ceux-ci procèdent de plus en plus eux-mêmes à leur propre achat et font savoir leurs envies. Dans un article intitulé Les hommes s’intéressent à leurs dessous relatant le salon de la lingerie de Paris, le journal Le Parisien 216 évoque une étude de l’Institut d’Etudes Secodip faisant état de l’évolution de l’autonomie des hommes en matière de choix de leurs sous-vêtements : 40 % d’entre eux choisissent désormais leurs dessous contre 20 % il y a 10 ans. De plus, ils sont devenus plus exigeants sur la matière et la forme : ainsi les 25-40 ans ont délaissé le caleçon pour adopter le boxer moulant, et le coton au profit des microfibres et du Lycra. L’homme devient donc maître de sa tenue vestimentaire, même s’il ne semble pas pour autant acheter en plus grand nombre : la moyenne depuis de nombreuses années des achats de sous-vêtements masculins reste de 4 pièces par an.

Les domaines de la mode et de la beauté sont considérés comme masculins depuis peu de temps et restent encore très liés à la féminité, malgré un développement indéniable et important auprès des hommes. Ils montrent un changement des manières d’être au masculin et de la consommation des biens liés au corps par les hommes. Mais ces derniers ont conservé des bastions considérés depuis toujours comme masculins et qui le demeurent.

Ce sont les loisirs qui ont bénéficié de la réduction du temps de travail. Dans un couple sans enfant, l’homme consacre 2H15 en moyenne par jour aux tâches domestiques dont presque 1 heure à des activités dites  “ masculines ” : bricolage, entretien des voitures... contre plus de 4 heures pour la femme 217 . La différence entre le temps féminin et le temps masculin consacré aux activités domestiques s’explique dans la répartition sexuelle des rôles masculins et féminins dans la vie quotidienne. Dans l’analyse de l’emploi du temps des couples effectuée en 1998 218 , on retrouve cette différence de temps accordé aux tâches domestiques mais aussi la répartition de cette différence : pendant que les femmes s’activent dans les activités domestiques, les hommes consacrent plus de temps au travail ( 5H50 pour les hommes en moyenne par jour contre 4 heures pour les femmes) et surtout plus de temps aux loisirs : le temps de la sociabilité est quasiment égal aux deux sexes et environne une heure par jour. C’est au niveau des loisirs que la différence s’accentue : les hommes y consacrent en moyenne 3 heures chaque jour contre 2h30 pour les femmes. Cette différence devient de plus en plus importante en fonction du nombre d’enfants : le temps accordé aux loisirs par les hommes ne diminue quasiment pas avec l’arrivée de plusieurs enfants, en revanche, les femmes n’accordent plus le même temps aux loisirs : avec 3 enfants, une femme accorde, en moyenne, 30 minutes de moins chaque jour aux loisirs qu’une femme sans enfant. Il y a donc une répartition sexuée des tâches domestiques mais aussi des loisirs. Cette répartition explique en partie pourquoi le sport en France est en majorité pratiqué par les hommes : 72 % des hommes pratiquent régulièrement un sport contre 64 % de femmes dont 47 % des hommes de plus de 18 ans et 33 % des femmes au même âge. Ces hommes se retrouvent dans des clubs (multiplication des clubs-houses, des soirées sportives... ) et le nombre des licenciés aux fédérations sportives s'est envolé depuis les années 70 : en 1967, la France comptait 4 millions de sportifs licenciés, 12 millions en 1986 et 14.5 millions en 1998. Tous les sports sont concernés par une évolution du nombre de licenciés mais pas dans les mêmes proportions, ni en même temps. Dans les années 1960-1970, de nouveaux sports apparaissent comme la gymnastique... et le sport devient un mode de vie malgré une domination des sports collectifs comme le football ; les années 80 symbolisent le culte de la performance, chère à A. Ehrenberg, où la volonté de gagner incitait les hommes à cultiver leur forme physique. Les notions d’excellence et de dépassement de soi traversent le sport et les héros nationaux deviennent les sportifs (Platini, Prost, Noah... ). Le jogging, le body-building, l’aérobic (les cours de Véronique et Davina concurrençaient la messe dominicale sur les grandes chaînes de télévision)... arrivent en France après un développement exponentiel outre-Atlantique. Les sports individuels commencent à prendre le dessus sur les sports collectifs. Cette tendance s’accentue dans les années 90 où le sport devient un art de vivre. Il est un moyen de cultiver sa forme physique sans pour autant devoir recourir à la compétition, aux résultats... Dans Francoscopie 2001 219 , G. Mermet attribue le succès du sport depuis les années 90 à la volonté des français d’être mieux dans leur tête et, pour lui, cette pratique répond à un désir. Selon lui, le sport est alors un “instrument de développement personnel” et dresse les trois motivations principales du sportif d’aujourd’hui : le sport se veut “hygiéniste” et permet l’entretient du corps ; il se veut “esthétique” pour ceux qui communiquent par l’image du corps et enfin il se veut “hédoniste” pour les amateurs de plaisirs immédiats. C’est notamment dans le cadre de cette troisième fonction du corps que les sports dits “extrêmes” connaissent actuellement un fort engouement (parapente, surf, ski hors-piste... ) mais aussi tous les sports liés à la nature : la marche à laquelle David Le Breton a rendu hommage 220 , les courses d’orientation, le VTT... Tous ces sports représentent des marchés colossaux : en 1999, les français consacraient 30 milliards de francs (4.5 milliards d’euros) aux activités sportives. Aux adhésions, viennent s’ajouter les équipements qui représentent une partie importante du budget lié au sport, et ce d’autant plus que la mode vestimentaire sportive ( Sportswear) a dépassé son cantonnement à la sphère sportive : les baskets sont utilisées au quotidien, elles sont même depuis quelques saisons et notamment depuis l’hiver 2000-2001, l’accessoire indispensable à toute tenue vestimentaire. Elles ont remplacé notamment chez les Yetties (Young Entrepreneurial Technocrat), les adultes issus de la net économie, les chaussures de ville 221 et doivent être accompagnées du dernier modèle technologique apparu sur le marché (Palm Pilot... ).

Car la consommation des hommes en matière de biens de consommation ne touche finalement que quelques domaines restreints que se sont attachés à démontrer les chercheurs du Centre de recherche pour l’étude et l’observation des Conditions de vie (Crédoc). Dans cette enquête intitulée Femmes : une consommation plus prudente et plus citoyenne 222 , Anne-Delphine Brousseau et Jean-Luc Volatier montrent que le critère d’achat davantage sélectionné par les hommes que par les femmes, est celui de l’innovation technologique (42 % des hommes contre 32 % des femmes). De plus, les femmes privilégient les achats contenant des garanties écologiques, d’hygiène et de sécurité avec une priorité budgétaire centrée sur la personne (habillement, les soins médicaux, les soins de beauté... ) alors que les hommes consacrent la plus grande part de leur budget aux loisirs, à l’équipement ménager des loisirs et à la voiture... ). Si les achats féminins sont prudents et calculés, les achats masculins sont des achats “impulsifs” et tournés vers une consommation-plaisir.

On assiste donc à une évolution de la consommation masculine des biens qui tend d’une part à augmenter dans des secteurs jusqu’alors investis par la femme (beauté et habillement) et d’autre part, qui reste dominante dans des secteurs traditionnellement masculins (loisirs et technologie). Nous verrons que les rédactions des nouveaux  magazines masculins ont d’ailleurs fait de ces nouveaux domaines masculins et des domaines traditionnels la matière de leurs contenus.

L’intérêt pour ces biens de consommation relève pour les hommes du plaisir et du loisir mais aussi de la volonté de plaire à autrui. La relative 223 autonomie des hommes en matière de choix de produits liés au corps s’inscrit dans une logique constituée d’individualisme, d’hédonisme et d’importance du regard d’autrui. Dans La coquetterie masculine : l’homme mis à nu, Jane Hervé postule que “les hommes, désormais plus vigilants, prennent d’avantage soin d’eux-mêmes” 224 et nomme cette tendance “ la démocratisation narcissique ” qui fait suite à ce qu’elle appelle “le modèle aristocratique” où la tendance était de plaire à autrui pour faire partie de son cercle.

La montée de l’individualisme serait l’élément fondateur de cette focalisation de l’homme sur lui-même, sur son corps et sur ses envies et se concrétise donc par l’augmentation de la consommation masculine de produits de beauté et de soin mais aussi par le nombre des consultations masculines chez les spécialistes (psychologues, sexologues... ). Si en 1999, 32 % des hommes estiment que leur santé est très bonne, une enquête réalisée en mai 1999 par le magazine masculin M Magazine et l’institut BVA rapporte que 12 % des hommes prennent des médicaments pour avoir la forme, 10 % pour dormir et 9 % pour chasser des angoisses. Cette lutte contre le stress, la fatigue et l’angoisse des hommes est une des raisons principales de l’augmentation de la fréquentation masculine dans les centres de cure (30 % des curistes sont désormais des hommes). Dans son supplément Styles consacré aux hommes, le journal Le Monde 225 revient sur l’ampleur des dommages causés par le stress dans les entreprises et évoque les moyens mis en oeuvre pour le diminuer : massage au bureau, usage des cosmétiques anti-stress, créations de salles de sport axées sur la relaxation... Cette recherche frénétique du plaisir corporel a incité les grandes enseignes à agrandir leur espace consacré aux hommes : jusqu’alors reléguée aux derniers étages sur un espace réduit, la mode masculine est désormais associée aux soins esthétiques et aux salons de détente. Le Printemps 226 , Les Galeries Lafayettes, Le BHV... proposent à leur clientèle masculine de véritables espaces de vie voués à la consommation hédoniste et individuelle où les soins se mêlent à la dégustation de café... dans des lieux parfumés aux dernières essences masculines.

Cette attirance des hommes pour des plaisirs et soins, qui ont été longtemps le monopole du sexe féminin est une des composantes de la remise en question de l’identité masculine : entre évolution naturelle et crise, les ouvrages et débats se multiplient pour évoquer les transformations vécues par la gent masculine et connaître les raisons de la transformation de l’image traditionnelle de l’homme.

Notes
208.

LE BRETON. D., Anthroplogie du corps et de la modernité. Paris, PUF, 1990, p. 159.

209.

LE BRETON. D., Anthroplogie du corps et de la modernité, ibid. , p. 9.

210.

W. LAPIERRE dans l’introduction de PERRIN. E, Cultes du corps. Enquêtes sur les nouvelles pratiques corporelles. Lausanne, P-M Favre, 1985, p. 10.

211.

Nous verrons dans l’analyse du courrier reçu par les rédactions de masculins spécialisés dans la forme (M Magazine et Men’s Health) que cette non-reconnaissance des épistoliers dans les modèles de mannequins choisis pour illustrer les articles et la couverture est un sujet récurrent de critiques, mais qu’ils apparaissent comme les modèles vers lesquels tendre.

212.

LE BRETON. D., Anthroplogie du corps et de la modernité, ibid., p. 138.

213.

Ce retour au rasage traditionnel implique le retour dans les boutiques et leurs catalogues comme chez l’Occitane... des bols à raser, des blaireaux...parmi toutes une gamme de produits de rasage pour hommes.

214.

Selon Francoscopie 1999, 33 % d’entre eux considèrent la calvitie comme un handicap avec l’entourage, 16 % comme un handicap dans leur vie professionnelle et 10 % comme un handicap dans leur vie sentimentale. Nous verrons qu’en effet, ce handicap est très récurremment évoqué dans les lettres des lecteurs qui sont particulièrement nombreuses sur ce sujet.

215.

HERVE J., La Coquetterie masculine : L’ homme mis à nu. Paris, Ed. du Félin, 1999, 245 p.

216.

Le Parisien du samedi 26 Janvier 2002.

217.

Chiffres donnés par l’INSEE dans son enquête Emploi du temps 1999, France, portrait social 1999-2000, p.138.

218.

GLAUDE. M.,  «Emploi du temps 1998», in  L’Egalité entre hommes et femmes : aspects économique. Paris, La Documentation Française, 1999, p. 85.

219.

MERMET. G., Francoscopie 2001, op. cit.

220.

LE BRETON. D., Eloge de la marche. Paris, Metailié Essais, 2000, 178 p.

221.

Dans un article du numéro du 16 avril 2001 du magazine Elle consacré à 30 ans de styles, la tenue vestimentaire de ces jeunes entrepreneurs est résumée par “ costumes gris signés Dolce & gabbana. Blousons Prada Sport et les dernières Nike sans lacets ”.

222.

«Femmes : une consommation plus prudente et plus citoyenne», enquête du CREDOC n° 137, septembre 1999.

223.

Ce phénomène d’autonomie des hommes en matière d’achat de produits de beauté et d’habillement ne touche pas tous les hommes, beaucoup continuent à confier les achats vestimentaires et de produits hygiéniques à leur épouse ou compagne.

224.

HERVE. J.,  La Coquetterie masculine : L’ homme mis à nu , op. cit, p. 161.

225.

Le Monde du vendredi 8 mars 2002.

226.

Les magazines Printemps ont, suite à l’ouverture en octobre 1999 de l’espace homme, édité un magazine Printemps : édition spéciale hommes, dont l’éditorial du n°1 de juin 2000 débutait par “ Depuis octobre dernier, Le Printemps version masculine a repoussé ses murs et gagné des étages pour devenir La mégashop mode pour les hommes. Sur 7000 m2, du niveau -1 au niveau 5 et de la tête aux pieds, Le Printemps a légalisé le shopping pour l’homme, toutes tendances confondues(...) A l’image du magasin, nous avons voulu un magazine ”