-… critiquée par les femmes-chercheurs.

Cet ouvrage bourdieusien a été beaucoup critiqué au moment de sa sortie. Nicole-Claude Mathieu, dans son article Bourdieu ou le pouvoir auto-hypnotique de la domination masculine, dresse une liste des multiples critiques à formuler contre la méthode employée ( pas de citations d’auteurs, allusions fausses à certaines théories, utilisation d’un titre abusif, utilisation par Bourdieu de son “ crédit de dominant  320 pour lancer ses livres...) et surtout contre le caractère androcentriste de l’ouvrage. Elle reproche à Bourdieu sa focalisation sur la domination masculine et non sur l’oppression des femmes en occultant notamment la violence physique dont les femmes sont les premières victimes. Nous avons noté que Pierre Bourdieu postule une responsabilité des femmes dans la reproduction de la domination masculine. Pour Nicole-Claude Mathieu, Bourdieu utilise uniquement les comportements féminins confortant sa thèse : “ il va logiquement s’en suivre que ce qui le préoccupe, c’est l’homme, c’est-à-dire lui-même, encore et toujours et donc les comportements féminins qui le confortent et non l’expérience contradictoire des femmes  321 . Elle s’attaque notamment à l’idée d’une reproduction inconsciente de la domination masculine par les femmes ; les femmes ont conscience des insultes, des coups, des viols... et particulièrement lorsqu’elles tentent de résister : “ dès que les femmes s’écartent d’un millimètre de la place (symbolique?)qui leur est concrètement imposée, leur meurtre est à prévoir  322 Nous verrons en effet que la perte du pouvoir des hommes dans la vie privée est une des sources importantes de la violence conjugale. Elle souligne que Bourdieu, en opposition avec Godelier qui, dans La production des Grands Hommes , s’intéressait aux femmes et à leur consentement à la domination masculine en partageant la vision masculine des rapports entre les sexes, focalise sa domination masculine sur les hommes, leur souffrance et l’adhésion des femmes à cette domination.

Ce sont sensiblement les mêmes critiques que Marie-Victoire Louis énonce dans l’article Bourdieu : défense et illustration de la domination masculine 323 . Si Bourdieu considère la soumission féminine à la domination masculine comme étant presque naturelle, du moins tellement incorporée que les femmes ne peuvent résister, M-V Louis qualifie l’absence de la violence physique dans cet ouvrage comme un “ déni de l’histoire meurtrière de la domination masculine  324 et le regard limité de Bourdieu sur les femmes kabyles : “ en tout état de cause, pour Bourdieu, les femmes (kabyles) n’ont ni intelligence, ni pouvoir, ni alternative, ni révolte, ni avenir  325 .

C’est en effet l’idée que les femmes aient intégré la domination masculine comme le principe d’organisation de la société en la pensant comme naturelle qui engendre chez Bourdieu la non-perspective d’une quelconque résistance. Nous avons vu qu’il évoquait l’influence des mouvements féministes sur le travail féminin... mais sous la forme du réaménagement de la domination masculine face à ces mouvements. Il passe sous silence les évolutions ( industrielles, féministes, homosexuelles...) qui ont profondément transformé le rapport des hommes avec les femmes et le rapport des hommes avec eux-mêmes, les confrontant ainsi à des situations inconnues auxquelles ils doivent s’adapter, parfois non sans mal et qui sont à l’origine des multiples travaux sur l’évolution et les réactions des hommes face à l’émancipation féminine et au changement de la condition masculine

Notes
320.

MATHIEU N-C., «Bourdieu ou le pouvoir auto-hypnotique de la domination masculine», Les Temps Modernes, n° 604, Mai-juin-juillet 1999, p.288.

321.

MATHIEU N-C., «Bourdieu ou le pouvoir auto-hypnotique de la domination masculine», ibid, p. 309.

322.

MATHIEU N-C., «Bourdieu ou le pouvoir auto-hypnotique de la domination masculine», ibid, p. 314.

323.

LOUIS M-V., «Bourdieu : défense et illustration de la domination masculine», Les Temps Modernes, n° 604, mai-juin-juillet 1999, pp. 325-358.

324.

LOUIS M-V., «Bourdieu : défense et illustration de la domination masculine», ibid, p.329.

325.

LOUIS M-V., «Bourdieu : défense et illustration de la domination masculine», ibid, p. 340.