- L’émergence d’une société tertiaire dans laquelle la force physique est moins prisée.

La suprématie masculine dans le travail a perdu de sa superbe (notamment dans le monde agricole) au profit du secteur tertiaire et de l’émergence de la société de services. La force physique, longtemps nécessaire et recherchée dans les industries et usines a laissé la place à la minutie mais surtout à la force neuronale. Pour C. Castelain-Meunier, la virilité a décliné avec l’émergence des technologies, de la robotique qui entraînent une diminution des besoins en force physique et elle constate, en 1988, le remplacement de l’énergie virile par l’énergie intellectuelle qui “ crée, imagine, invente, produit, interprète, transforme, adapte de la matière abstraite  335 . C’est donc l’introduction de la machine qui a changé le rapport des hommes à leur corps : du corps-machine, il est devenu objet de loisir. Pour R. Richard, l’homme a ainsi été “ désapproprié de sa force, qui ne sert plus à rien, qui n’a plus de fonction dans cette société, est par le fait même désapproprié de ce corps construit au cours d’une longue histoire de domination de la nature par sa force de travail. Ce corps masculin musclé, qui pouvait être un symbole de l’attirance masculine et de l’attrait féminin dans la société traditionnelle, est du même coup ridiculisé, évacué des images qui représentent la masculinité dans la société moderne  336 . S’il dresse un tableau sombre de la masculinité, il le noircit en évoquant la démusculaturation et la dévirilisation du corps masculin au profit d’une esthétisation de la forme de celui-ci. L’homme n’est plus fort, son corps est mis en relief par ses courbes, image qui, en 1980 au moment de l’écriture de l’article, est loin d’être assimilée par les hommes. C. Castelain-Meunier se questionne en 1988 sur ce que sera, plus tard, la nature du fondement de l’opposition entre masculin et féminin qui, jusqu’alors, était basée sur la force physique. Elle émet l’hypothèse d’une recomposition de cette différence autour de la domination fondée à partir des nouvelles technologies. Pour la sociologue, “ il se pourrait qu’apparaisse du “ neuronal supérieur ”, dans lequel les hommes seraient majoritaires, celui où se tiendrait le pouvoir de décision. Le neuronal inférieur étant celui des services où les décisions sont appliquées, les échanges commerciaux se réalisent, les femmes y sont majoritaires  337 . Elle rappelle toutefois que la force physique n’a pas disparu et qu’elle reste très ancrée dans le sport, comme nous l’avons montré auparavant mais aussi dans l’imaginaire masculin, notamment à travers les films de violence dans lesquels le sang est un ingrédient très prisé. A cette hypothèse d’une recomposition et reproduction de la domination masculine au sein du secteur des services, nous savons désormais que Catherine Castelain-Meunier voyait vrai, que les postes décisionnaires sont, pour la plupart, occupés par des hommes même si quelques femmes parviennent à en occuper de prestigieux, et qu’une certaine défiance au pouvoir comme valeur dominante semble s’installer au profit de la connaissance et des valeurs féminines. C’est du moins ce qu’entend M. Burke dans son ouvrage Valeurs féminines, le pouvoir demain. Pour lui, un modèle fondé sur les valeurs féminines (psychologie, coopération, esprit de synthèse... dans une recherche de préservation des relations entre les personnes) serait plus proche des aspirations des individus, en ce qui concerne par exemple le pouvoir politique ou le travail. Il ajoute que “ l’approche traditionnellement masculine d’influence et de pouvoir présente, dans la conjoncture actuelle et dans l’avenir sociologique à moyen terme, l’inconvénient de ne pas stimuler l’intelligence  338 et que la rentabilité, la rationalité, la logique... ne sont plus ce que recherchent en priorité les individus. Il dresse un idéaltype du dirigeant aujourd’hui qui doit être intégrateur, catalyseur (il doit être sur le terrain, au centre de ses employés et avoir pour objet l’harmonie parmi son équipe) et visionnaire. Le système idéal serait un système “ matri-harmonique  associant des valeurs féminines et masculines pour un pouvoir plus proche des attentes des individus. L’avenir nous dira si les conseils de M. Burke seront entendus ; mais nous restons perplexes d’autant plus que si, comme le rappelaient en 1975 G. Falconnet et N. Lefaucheur, “ c’est parce que l’homme n’est pas procréateur qu’il compense en prenant le pouvoir  339 , cela a bien peu de chance de changer...

Notes
335.

CATELAIN-MEUNIER C., Les hommes aujourd’hui : virilité et identité. Paris, Acropole, 1988, p. 19.

336.

RICHARD R., «La transition : un homme en mal de corps», in Fontenay H. de (sous la dir.), La certitude d’être mâle. Une réflexion hétérosexuelle sur la condition masculine, op. cit, p. 71.

337.

CATELAIN-MEUNIER C., Les hommes aujourd’hui : virilité et identité, op. cit, p. 25

338.

BURKE M., Valeurs féminines, le pouvoir demain. Paris, Ed Village mondial, 1998, p. 53.

339.

FALCONNET G et LEFAUCHEUR N., La fabrication des mâles, op. cit.