- Quand les changements sont angoissants… et se voient opposer une résistance.

Des travaux moins optimistes sur la réaction des hommes au changement imposé par les femmes montrent que le brouillage des repères masculins a engendré des hommes en perdition identitaire. Elisabeth Badinter a défini les années 1970 comme une période de plaisir et de remise en cause des normes établissant la masculinité et qui s’est transformée en une période de doute face à la pluralité des formes prise par celle-ci et à l’influence de l’émancipation féminine, rendant ainsi l’homme angoissé : “ Les statistiques, les témoignages et l’expérience personnelle de chacun montrent, sans contexte, qu’hommes et femmes sont en train de modifier en profondeur l’image qu’ils se font d’eux-mêmes et de l’Autre. Leurs attributions respectives- longtemps définies par la “ nature ” de chacun des sexes- se distinguent de plus en plus difficilement. Leurs relations n’ont plus les mêmes fondements et suivent d’autres voies que celles tracées par leurs pères. Les critères se dissolvent en se multipliant et nos repères commencent à faire défaut. De quoi légitimement rester perplexe et ressentir quelque angoisse ” 377 . Elle attribue différents qualificatifs à l’homme en fonction de sa réaction face aux changements : dans les années 80, elle le désigne comme étant “ l’homme malade ”, “ l’homme mutilé  puisque le monde n’est plus focalisé sur le sexe masculin, en opposition avec “ l’homme dur qui se veut fort et guerrier. Pour E. Badinter, le féminisme et l’absence croissante des pères ont engendré la figure de “ l’homme mou  qu’elle compare à un homme déstructuré dont la passivité et le sentiment d’inachèvement de soi sont les principales caractéristiques. Pour elle, “ les hommes durs ont engendré des hommes mous. Plutôt la passivité et la soumission à l’ennemi que la révolte et la résistance  378 . Marc Chabot en 1992 dans l’article Genre masculin ou genre flou 379 , postulait déjà un “ homme flou , représentant d’un genre lui aussi flou avec la multiplicité des facettes en un seul homme ( un peu homme, un peu femme, un peu homosexuel, un peu hétérosexuel) et la difficulté de définir précisément l’identité masculine. N. Aubert en 1994 reprend cette image de “ l’homme flou  qui, pour lui est un homme à la recherche de son identité, parmi tous les modèles disponibles : “ l’homme flou est un homme qui a perdu ses repères traditionnels, qui oscille entre plusieurs modèles et qui n’est pas toujours très au clair quant à son orientation sexuelle  380 .  L’  “homme flou ” serait donc en quête du différent et de l’identique à la fois mais pour N. Aubert, il serait avant tout un homme qui ne veut pas choisir. Elisabeth Badinter prévoit l’avenir masculin avec l’“ homme réconcilié  alliant la sensibilité à la solidité.

Mais le chemin est long vers l’harmonie masculine. Il semblerait, à la lecture de l’ouvrage de J. Cournut, pourquoi les hommes ont peur des femmes, que les peurs ancestrales de la féminité soient encore d’actualité. Il évoque la peur de la sexualité féminine, de l’infidélité féminine, de sa capacité à l’enfantement... et lui impose une domination pour contrecarrer leurs peurs : “ ce qui laisse à penser que, si les hommes ont peur des femmes et que peut-être ils les envient, en tout cas ils les dominent, toujours en se donnant de bonnes raisons mais sans trop savoir pourquoi. Ils croient le savoir un peu, ils l’avouent parfois, ils le nient presque toujours. En fait, les hommes ont peur des femmes parce qu’ils ne savent pas vraiment pourquoi ils en ont peur ” 381 . Ces peurs que nous avons aussi vues abordées chez S. Freud l’ont été par le docteur Leleu dans son ouvrage La mâle peur. Il expose toutes les peurs masculines de la femme dans l’histoire 382 et notamment la peur des hommes face à leur impossibilité à honorer la femme et les peurs d’aujourd’hui liées plus à l’image qu’ils ont des femmes qu’à la réalité, qui entraînerait, aidé par l’anxiété, un retour vers l’hédonisme. Si les hommes ont peur des femmes, c’est aussi parce que celles-ci ont désormais le pouvoir de dire “ non ”, de choisir et ce particulièrement dans la relation sexuelle, imposant ainsi aux hommes une résistance nouvelle des femmes. De nombreuses résistances masculines sont mises en place face au changement de la position traditionnelle des hommes. Dès 1982, Guido de Ridder dresse la liste des résistances masculines aux dix années de féminisme et évoque les résistances face au thème de l’égalité de la femme car la domination masculine et la différence entre les sexes sont jugées comme normales par les hommes, celles face à la libre-disposition du corps féminin et qui ont joué un rôle considérable dans la difficulté à faire voter les lois légalisant l’avortement ou la mise sur le marché de la pilule du lendemain, celles face à la libération affective et sexuelle des femmes auxquelles de nombreux hommes répondent par les menaces et la violence physique comme morales et celles face à l’idée que la femme puisse être créatrice de culture. Il note que “ la conception dualiste masculine selon laquelle la création de culture est l’apanage des hommes, tandis que l’existence d’une “ nature féminine ” spécifie les femmes - et définit leurs attributs- reste encore prédominante si l’on en juge par le maintien d’une hiérarchie des valeurs que l’on retrouve à peu près partout  383 . Pour G. De Ridder, ces résistances sont les fruits de deux attitudes masculines : c’est d’une part un refus de voir disparaître des privilèges, la domination masculine intégrée depuis bien longtemps étant ancrée au plus profond des esprits et caractères et d’autre part, un moyen ( à travers la passivité) de freiner le changement. Les hommes sont d’autant plus réticents à changer qu’ils n’ont pas choisi ce changement. Pour eux, changer serait reconnaître que la situation antérieure ( la domination masculine) n’était pas le bon système, or, ils sont persuadés qu’il l’est et qu’abandonner cette domination serait se “ déviriliser ”, car l’homme reste celui, dans les stéréotypes masculins, qui doit agir et non subir. Les conséquences visibles et palpables de ces difficultés au renoncement à la situation antérieure sont le refuge dans la consommation d’alcool, la violence envers les femmes et le repli sur soi-même manifesté par le silence masculin 384 ; des conséquences moins facilement appréhendables mais aussi dévastatrices se mettent en place : l’augmentation de la misogynie et de la phallocratie envers les femmes incitent de plus en plus d’entre elles à se défendre juridiquement. Devant ce refus de changement, quelle serait la raison qui pourrait faire, malgré tout, changer les hommes ? Pour M. Dorais, quand les hommes changent, c’est parce qu’ils n’ont plus aucun choix de repli : “ en fait, les seuls véritables motifs qui poussent les hommes à s’auto-critiquer sont assez égoïstes. C’est seulement quand l’homme sent que son bonheur - plus encore que son honneur- en dépend qu’il accepte de se remettre en question  385 .

Nous avons donc montré les différentes réactions des hommes aux changements féminins. Si de nombreux chercheurs évoquent une crise profonde de l’identité masculine, d’autres s’attachent à montrer une reformulation du masculin et de l’identité masculine, sans évoquer une profonde dépression masculine. G. Lipovetsky postule dans La 3e femme : permanence et révolution du féminin que l’abandon des valeurs viriles n’a pas entamé le pouvoir des hommes et que ces derniers ne connaissent pas une crise identitaire mais une redéfinition des contours de la masculinité : “ En vérité, la crise de la masculinité est loin d’être un fait social de masse. La dévalorisation des conduites machistes et la nouvelle indépendance des femmes n’ont nullement entraîné une fragilisation extrême de l’identité virile (...). L’idée d’une montée de la crise du masculin, de l’homme blessé et plaintif est une idée trompeuse. Même si les repères de la masculinité sont devenus flous, la plupart des hommes ne souffrent pas de malaise identitaire mais, comme les femmes, de difficultés relationnelles ou professionnelles  386 . Pour lui, il n’est pas question de “ banqueroute  du masculin, ni de défaite mais plutôt de “ difficultés relationnelles ou professionnelles ”. Il ne voit pas de fragilisation extrême de l’identité masculine.

Quelles seraient les solutions pour un “ bien-être ” masculin ? Les groupes de paroles dont J. Broue a expliqué l’histoire et le fonctionnement dans son article intitulé simplement le groupe 387 ont offert aux hommes un espace de parole qui permet à chacun d’extérioriser ses problèmes. En effet, ces groupes de paroles ont un certain succès. D. Welzer-Lang et J-P Filiod évoquent deux sortes de discours masculins : un premier culpabilisé par les critiques féministes et un second qu’ils qualifient d’hédoniste et fondé sur ce que les hommes ont à gagner des changements. M. Dorais et D. Welzer-Lang évoquent le “ masculinisme comme alternative possible pour les hommes au féminisme. Ce mouvement qu’ils définissent comme un moyen “ de décrire leur (celle des hommes) volonté de remettre en cause le sexisme et les positions traditionnelles du masculin  388 est présenté par G. Brzoska et G. Hafner dans Des hommes en mouvements ? Groupes d’hommes et organisation en Allemagne 389 comme le moyen de résoudre le problème de la perte des privilèges et dans le but de la réalisation, le développement personnel et la croissance de l ’homme. En effet, la résolution des problèmes masculins passe par une prise de conscience personnelle et non collective ; pour Sylvain Mimoun, elle ne peut venir ni des lois, ni des sociétés elles-mêmes, pour M. Dorais, c’est l’individu qui fera changer la collectivité.

Les mouvements féministes, homosexuels... ont profondément marqué l’homme dans son identité. Certains ont fait face en renégociant les habitudes et pratiques avec les femmes, d’autres, en revanche, ont mis en place des moyens de résistance, peu glorieux dans leur ensemble. C’est parce que les hommes se sont sentis dépossédés de privilèges ancestraux que la crise est survenue. Les avancées féminines ne pouvaient-elles pas être perçues par les hommes en dehors de cette perte de privilèges ? Dès 1968, C. Valabrègue dans son ouvrage la condition masculine prônait le gain que les hommes pouvaient retirer de cette évolution : “ la virilité d’un homme n’est pas en cause pour n’être plus liée à l’agressivité de jadis ou à une notion de prédominance (...). L’ère du patriarcat est révolue. Nous n’assisterons pas pour autant à un retour du matriarcat. L’émancipation de la femme ne va pas à l’encontre de l’affirmation de l’homme. Il y gagne une compagne à sa mesure  390 . C’est la même idée que partage, plus de 30 ans après, le docteur américain Terry Kupers dans son article le mouvement des hommes aux Etats-Unis. Pour lui, “ la raison pour laquelle les hommes se sont égarés, ce n’est pas que les femmes ont commencé à trouver leur voie. Le fait que les femmes aient réussi à prendre la parole et à trouver une place dans le domaine public devrait être pour les hommes une raison de se réjouir et non de frissonner et de blâmer les femmes pour les sentiments d’inadaptation qu’ils éprouvent  391 . Mais le modèle de l’identité masculine reste en reformulation, elle est mobile, chaque individu construit sa masculinité au gré des évolutions de la société.C’est dans ce climat sociologique ( multiplication des débats sur l’identité masculine individualisme et augmentation de la consommation des produits liés au bien-être masculin), que les nouveaux magazines masculins sont apparus : ainsi l’éditorial s’adressant aux femmes publié dans le n°4 de Men’s Health paru en novembre 1999, déclarait : “ aujourd’hui vos réactions vont parfois loin, comme si vous étiez prêtes à relancer cet éternel débat sur le fait de savoir si les hommes sont toujours des hommes (...). Rassurez-vous! Les hommes seront toujours des hommes, même si nous prenons le parti de voir ce qui peut être amélioré dans la vie de chacun d’entre eux, pour apprendre ensuite à mieux vivre ensemble  392 . A ces conditions sociologiques favorables à l’implantation d’une presse pour hommes, d’autres conditions internes à l’univers de la presse ont facilité l’essor et la création de titres nouveaux. En effet, la presse masculine française, comme nous l’avons vu, était peu développée et les demandes semblaient s’accroître. D’autant plus que l’assimilation de la presse masculine, dans les esprits, à la presse homosexuelle comme Têtu aurait pu être à l’origine de la demande d’une presse masculine sexuellement non connotée. Mais cette hypothèse, même si certaines rédactions de nouveaux masculins y trouvent une véritable réalité ( la mise en avant de l’avant-gardisme des homosexuels en matière de mode et de tendances est récurrente dans les discours des membres des rédactions), n’est pas confirmée 393 . Toutes ces conditions favorables à l’implantation de magazines spécialisés pour les hommes ont formé une “ niche ” dans laquelle se sont engouffrés quelques groupes français mais surtout d’importants groupes de presse anglo-saxons. Comment, sur ce terrain sociologiquement favorable, les divers titres ont-ils investi l’espace et comment y sont-ils positionnés ?

Notes
377.

BADINTER E..,  L’un est l’autre, op. cit, p. 9.

378.

BADINTER E., XY de l’identité masculine, op. cit, p. 228.

379.

CHABOT M, «Genre masculin ou genre flou», in WELZER-LANG D et FILIOD J-P ( sous la dir.), Des hommes et du masculin . Lyon, Bulletin d’informations et d’etudes féminines (BIEF), op. cit.

380.

AUBERT N., «L’Homme flou : du clivage au brouillage identitaire», in TOUATI A (sous la dir.), Femmes et Hommes. Des origines aux relations d’aujourd’hui, op. cit, p. 51.

381.

COURNUT J., Pourquoi les hommes ont peur des femmes, op. cit, p. 285.

382.

Pour le docteur Leleu, les hommes craignaient chez la femme ses pouvoirs magiques, sa beauté envoutante, sa constitution qui la rendait avide de sexe ( hystériques), son sexe mystérieux et fascinant, les femmes fatales et les castatrices. Pour lui, si les hommes taisent leurs peurs, c’est par subsistance du mythe de l’homme-seigneur.

383.

DE RIDDER G., Du côté des hommes : à la recherche de nouveaux rapports avec les femmes, op. cit, p. 54.

384.

FALCONNET et LEFAUCHEUR montrent dans La fabrication des mâles comment toutes ces difficultés s’accroissent notamment si la femme gagne un salaire supérieur à celui de l’homme.

385.

DORAIS M., «Pour une approche masculiniste», in WELZER-LANG D et FILIOD J-P ( sous la dir.), Des hommes et du masculin. Lyon, Bulletin d’informations et d’études féminines (BIEF),op. cit, p. 196.

386.

LIPOVETSKY G., La 3e Femme : permanence et révolution du féminin , op.cit, p. 59.

387.

BROUE J., «Le groupe», in Fontenay H. de (sous la dir.), La certitude d’être mâle. Une réflexion hétérosexuelle sur la condition masculine, op. cit, pp. 23-26.

388.

FILIOD J-P et WELZER-LANG D., Les hommes à la conquête de l’espace... domestique, op. cit, p. 316.

389.

BRZOSKA G et HAFNER G., «Des hommes en mouvement ? Groupes d’hommes et organisation en Allemagne», in WELZER-LANG D et FILIOD J-P ( sous la dir.), Des hommes et du masculin.. Lyon, Bulletin d’informations et d’etudes féminines (BIEF), op. cit, pp. 225-230.

390.

VALABREGUE C., La condition masculine. Paris, Payot, 1968, p. 179.

391.

KUPERS T., «Le mouvement des hommes aux Etats-Unis», in WELZER-LANG D. (sous la dir.), Nouvelles approches des hommes et du masculin, op. cit, p. 227.

392.

Éditorial du n°4 daté de novembre 1999 du magazine Men’s Health.

393.

Nous avons plusieurs fois sollicité la rédaction du magazine Tétu, sans résultat.