b) M Magazine et Men’s Health : le procès pour la différence.

Lorsque Men’s Health s’installe en France en avril 1999, il a déjà un long passé international avec une formule rodée dans les pays anglo-saxons d’obédience protestante. Seule l’Amérique du Sud a servi de terrain d’implantation sur des terres catholiques de culture latine. S’implanter en France constitue pour le groupe Rodale un double enjeu : tout d’abord, investir avec un titre un pays de culture latine dans lequel le culte du corps n’est pas une priorité et ensuite faire de ce titre une rampe de lancement pour d’autres titres et développer ainsi le groupe Rodale dans l’Hexagone. Internationalement, Men’s Health se décrit comme «le premier magazine de style de vie pour hommes au monde. Avant l’introduction de Men’s Health en 1988, les hommes possédaient des magazines sur les femmes, les voitures, les sports, la mode, la musique, l’électronique et les affaires, mais pas de magazines sur eux-mêmes... sur leur propre vie. Men’s Health est le premier magazine dédié aux hommes pour leur montrer les actions pratiques et positives qu’ils peuvent mener pour améliorer leur vie. Le magazine se focalise sur 5 sujets centraux : la santé, la nutrition, le fitness, la gestion du stress et les relations amicales et sexuelles» 406 .Cette présentation générale est complétée par l’énonciation de leur ligne éditoriale : «notre mission éditoriale à travers le monde entier : Men’s Health aide les hommes à prendre le contrôle de leur physique, de leur mental et de leur vie émotionnelle». Le groupe explique son succès international en ces termes : «nous pensons que les hommes, partout dans le monde, ont beaucoup de choses en commun. Les hommes du monde entier veulent paraître meilleurs, se sentir mieux, avoir de meilleurs relations avec les femmes, avoir une vie sexuelle épanouie, et être en compétition avec leurs pairs et collègues. Tout simplement, l’homme veut prendre le contrôle de sa vie, et c’est notre but. Notre succès international est dû au fait que nous sommes logiques dans ce que nous disons, c’est la manière dont nous disons les choses qui fait de chacune de nos éditions un succès sur son propre marché». Si le groupe Edipress légitime M Magazine par la nouveauté éditoriale amenée en France, le groupe Rodale opère une légitimation internationale du titre Men’s Health : le succès de ce titre se veut avant tout mondial, les marchés particuliers ne sont pas évoqués et présentent des distorsions importantes : si les USA sont incontestablement le pays «phare» pour Men’s Health, l’Australie, la Russie... ne sont pas des marchés en sa faveur, qui sont dominés par des titres locaux.

En France, l’arrivée de Men’s Health a révolutionné le jeune marché de la nouvelle presse masculine. Men’s Health trouve de suite un public (10 millions de francs ( 1.5 millions d’euros) de promotion avaient été engagés) : son numéro 1 fait un raz de marée avec 324 000 exemplaires vendus. Ce premier numéro annonce la couleur : ce sera «perdez votre bide en 4 semaines chrono». Avec en couverture un mannequin hilare, torse nu, dégoulinant de pluie, et le titre du magazine en orange, le magazine est attirant.

une avec mannequin homme
Pense-bête (1/2p) : agenda
Q/R : Interrogez Men's Health (2p), réponse au courrier des lecteurs 407
Bulletin de santé (2p) : actualité de la recherche sur la santé
Repérage (2p) sur l'escalade
Manuel d'instruction à l'égard de l'homme pressé (15p) : informations, conseils en tout genre 408
dont la rubrique Pierre le Barman 409 (1/2p) qui répond à des questions de lecteurs
Entre Hommes (1p), texte écrit par un écrivain sur un thème masculin
That's Life (2p) sur les bonnes résolutions
Chek-Up (2p) : diagnostic sur une partie du corps, la tête, les mains, les pieds…
Dossier A plat ventre (6p) sur "comment garder un ventre plat en 5 tactiques"
Dossier Aie (3p) sur le mal au dos
Chronos-mecs (2p) propose 20 techniques pour aller mieux en 2 minutes
Nutrition (6p) : 3 menus en fonction des activités de l'homme
Action (2p) : 2 techniques pour faire des pompes
Sexe (8p) : conseils pour améliorer la vie sexuelle : "comment bien faire l'amour à tous les âges"…
Statis-tics (6p) qui résume la vie d'un homme en chiffre "en moyenne, un homme court 1 km en 7.5 minutes
Voyageurs (8p) , des voyages
Phénomen's (8p) de résultats et analyses des enquêtes lancées par la magazine auprès des lecteurs : la santé, l'hygiène, la sexualité des hommes…
Cul-ture (4p) : le sexe dans le cinéma
Starter (8p) sur le jogging avec programmes, conseils alimentaires, sélection de chaussures..
Dossier comment survivre à tout (8p) : conseil pour éviter une crise cardiaque, un requin…
Dossier stress (2p) sous la forme d'un poster donnant des conseils
En corps(4p) d'exercices de musculation
Détails : un guide pour faire la différence (7p) de mode, accessoires…
Super man (5p) répond à toutes les questions pour améliorer le quotidien de l'homme
"comment changer un bébé ?", "comment manger un homard proprement ?"…
L'art de … (1p) associe une personnalité à une activité, sur le ton de l'humour :
"prendre la mouche à revers par Pete Sampras"...

Cette structure n’a pratiquement pas changé depuis le début de Men’s Health en France, l’ordre des pages a parfois évolué, d’autres rubriques sont apparues. Ainsi le numéro 4 de novembre 1999 voit apparaître les fiches 100% pratiques de Men’s Health : elles sont quatre par numéro, en carton détachable, imprimées recto-verso. La rédaction joint à leur première sortie un guide explicatif : «C’est comme ça. Esprit Men’s Health oblige, nous voulons vous offrir plus de conseils, davantage de trucs et astuces susceptibles d’améliorer votre vie. En tout cas, répondre de plus près à vos besoins (...) . Elles abordent la nutrition, le sexe, le sport, le boulot, la forme et la santé, les enfants et tout ce qui fait la vie d’un homme. (...) Nous avons la faiblesse de penser qu’elles répondent à une vraie demande. La vôtre. Plus variées que les fiches de Monsieur Cinéma, plus drôles que les fiches de Première, nos fiches Men’s Health ont simplement pour ambition de vous accompagner dans votre vie de tous les jours. Tantôt pense-bête, tantôt mémo, mélange de b.a.ba et de «best of», elles seront toujours pleines d’infos et vous rappelleront tout ce qu’un homme ne doit pas oublier» 410 et un guide de couleur afin de classer ces fiches par thème. Ont ainsi été «fichés» «l’art de rompre, les exercices anti-stress au boulot, les pires et meilleurs millésimes...», ces fiches cartonnées n’ont été utilisées que dans quelques numéros, leur dernière utilisation 411 remonte au numéro 11 de juillet-août 2000 dans lequel elles se sont transformées en fiche sur les positions du Kamasutra ( 12 fiches). Le numéro 6 de janvier/février 2000 a vu naître une nouvelle page, située à la fin du magazine et qui publie les lettres des lecteurs concernant le magazine, les réactions aux articles, les résultats de la mise en pratique de certains conseils...

L’allure générale du magazine change en fonction des changements de direction artistique : le numéro 15 de décembre 2000 inaugure la mise en place d’une nouvelle mise en page. Avec sa couverture sur fond argenté, ce numéro est le seul de la collection à déroger à la règle du fond blanc. De plus, la mise en page du contenu devient plus claire, les contenus sont plus espacés ; ce sont surtout les pages mode ( qui d’ailleurs prennent au passage ce nom mais qui restent très irrégulièrement présentes et en peu de pages) qui bénéficient le plus de cette évolution : un éditorial mode vient ouvrir ces pages et les séries mode présentées sont plus lisibles et plus attractives.

Le magazine a continué à évoluer touche par touche en 2001 sans révolutionner la structure internationalisée du magazine. Nous verrons dans la dernière partie de cette thèse que les petits changements apportés au contenu de Men’s Health dans les derniers mois de 2001 sont en fait des marques de tâtonnements et de recherche d’apports de renouveau pour un titre alors en difficultés.

Nous avons noté que les pages consacrées à la mode étaient restreintes dans les numéros dans lesquels elles apparaissent. Men’s Health a opté pour un double traitement de la mode : dans chaque numéro (ou presque) 6 pages maximum et deux fois par an, un traitement plus consistant sous la forme d’un supplément. Ce ne sont pas des suppléments proprement parler puisqu’ils sont composés d’une quarantaine de pages, fixées à la fin du magazine mais à l’envers. Le premier Guide de la mode est paru dans le numéro 5 de septembre/octobre 1999 et quatre autres ont suivi jusqu’en octobre 2001. Ces guides ( printemps/été et automne/hiver) se composent d’un éditorial, et présentent sous la forme de séries de mode ou de photographies des vêtements ou accessoires. Des fiches détachables ont pour objet de présenter des styles et des méthodes d’élégance ( comment faire un noeud de cravate...), les derniers objets technologiques sont présentés sous la rubrique «jouets», des réponses sont apportées aux questions des lecteurs sur l’élégance... et les parfums et crèmes de beauté y trouvent quelque place. Ils font même l’objet d’un supplément spécial beauté dans le n°20 de juin 2001 qui ouvre ses pages à tous les produits pouvant remédier à la transpiration, aux pellicules, aux points noirs... Lors de notre passage dans cette rédaction, trois feuilles de questions-réponses nous ont été remises et sont en fait les discours tenus par le groupe Rodale aux questions les plus récurrement posées à Men’s Health et mentionnent la question : «pourquoi n’y a t-il pas plus de mode ?». La réponse du groupe Rodale se veutconsensuelle : «un des domaines couverts par Men’s Health est la mode, ou le style. Nous pensons que c’est une part importante du contenu offert aux lecteurs : des informations pratiques par lesquelles mieux paraître et se sentir mieux. Nous espérons vous donner plus de pages de mode dans le magazine, en utilisant les données du Men’s Health italien qui est le leader en matière de traitement éditorial et de mise en forme de la mode parmi toutes nos éditions». Il semble donc que les dernières pages du magazine sont amenées à évoluer pour devenir plus consistantes dans les mois à venir.

Les couvertures de Men’s Health présentent des hommes en noir et blanc sur un fond blanc ( seul le n° 15 de décembre 2000 est sur fond gris argenté). Sur 25 couvertures entre la naissance et décembre 2001, ce ne sont que des jeunes hommes seuls qui apparaissent. Seule la première couverture ( qui est toujours la même dans tous les numéros un de chaque édition) propose uniquement le visage du mannequin souriant, les mains portées à sa bouche. Les autres unes offrent pour 10 d’entre elles uniquement le torse du mannequin, 8 autres le torse plus les hanches et enfin 6 offrent une vue d’ensemble du mannequin.. Sur ce corpus de couvertures, 2 portent des «marcels» et deux autres des t-shirts blancs qu’ils ont relevés au niveau de la poitrine. Quant au bas du corps, dont pour la plupart on ne fait qu’apercevoir la ceinture, on croit deviner 7 shorts, les autres bas étant soit des jeans, soit des pantalons. Pour Men’s Health, l’homme de la une est l’image à atteindre : «il est une partie de l’objectif - les hommes veulent lui ressembler. Ce n’est pas seulement cela, ils veulent avoir la même confiance que lui : être capable d’enlever sa chemise sans se demander ce que les autres en penseront. Ne focalisez pas seulement sur son corps, mais regardez son expression : il est confiant, content et inspiré. Les mannequins en couverture de Men’s Health démontrent tous à travers leur expression les émotions que le magazine apporte aux hommes : la passion, l’inspiration et la motivation. Il est actif, il aime la vie et il prend du plaisir»A la différence de M Magazine, les mannequins de Men’s Health ne s’habillent pas avec l’hiver et restent toute l’année en tenue légère. Pour le groupe Rodale, la une est donc le reflet de ce qu’est «l’homme Men’s Health».Les lieux de pose sont aussi importants : ils posent sur la plage (4), d’autres sont dans l’eau (4), un autre se rase, un fait du vélo, un autre du karaté... L’idée de mouvement est présente : ils courent, ils sont en plein exercice ( pompes, étirements...) mais certains aussi tiennent la pose ( le mannequin en couverture du n°4 de novembre 1999 contracte ses abdominaux et les présente à l’objectif en tenant son t-shirt blanc au niveau de la poitrine). Quelques accessoires sportifs pour la plupart viennent agrémenter les photographies : deux vélos, une barre fixe et un rasoir et de la mousse à raser pour le n°4. Tous imberbes 412 , ils présentent une musculature développée, soulignée soit par du sable, de l’eau (corps dégoulinant ou simplement mouillé) ou par un moyen technique : les abdominaux contractés du mannequin de novembre 1999 sont entourés d’un cercle orange relié par une flèche de la même couleur au titre «des abdos en acier en 4 semaines seulement), cercle qui fonctionne comme une loupe et attire l’oeil du lecteur. Les couleurs utilisées pour le titre Men’s Health diffèrent d’un numéro à un autre : 10 sont orange ( avec l’orange fluo ), 4 sont bleu ( du bleu soutenu au bleu fluo), 8 sont rouge ( dont une suite de 5 numéros), un seul vert, un seul blanc ( sur le seul fond de couleur) et un gris et si la majorité des titres annonciateurs en une sont en gros caractères noirs, certains utilisent la couleur rouge ( de rouge vif à un rouge-marron) ou l'orange ( là aussi entre orange et orange fluo). Tous ces éléments constitutifs de la couverture de Men’s Health sont des éléments identitaires: le titre est ainsi reconnaissable mais ces éléments récurrents engendrent des unes quasiment identiques. Nous verrons plus loin que c’est ce déficit de reconnaissance immédiate qui a contraint le groupe Rodale a intenté une action judiciaire contre le magazine M Magazine.

L’analyse de récurrence des noms utilisés dans les 25 couvertures étudiées de Men’s Health montre une cinquantaine de noms revenant régulièrement dans les titres. Nous avons ici conservé ceux présentant une récurrence de plus de 5 fois 413 :

sexe 27
stress 8
forme 6
femme 6
lit 6
poids 5
plan 5
santé 5
nutrition 5

Ces mots, comme pour chez M Magazine, correspondent à la ligne éditoriale du magazine dont les mots-clé sont : la santé, la nutrition, le fitness, la gestion du stress et les relations amicales et sexuelles (en proportion, le sexe est plus présent en couverture de Men’s Health que de M Magazine) Les couvertures des deux magazines spécialisés portent donc la même ligne rédactionnelle même si les mots utilisés ne sont pas identiques. D’autres termes présentent une récurrence importance, mais sont employés dans des expressions où le verbe a son importance : le mot kilo revient dans «perdez vos kilos», «brûlez vos kilos», «la forme sans les kilos»... pour annoncer les articles quasi-mensuels sur les régimes. Des expressions populaires y trouvent leur place : «perdez votre bide» 414 apparaît 3 fois en annonce du dossier principal ( n° 1/mai 1999, n°9/mai 2000 et n°16/janvier 2001). L’expression «perdez vos poignées d’amour» intervient aussi en une. La nutrition tient ainsi une grande place mais le corps et son maintien par des activités physiques présentent une importance particulière : par 4 fois, il faut «gagner des muscles» 415 , le corps doit être «béton», «fort comme jamais», «avoir une pêche d’enfer»... C’est donc le culte de la performance et de la réussite qui sont prônés dans les couvertures et les contenus des articles de Men’s Health. Il faut «en finir avec...», «survivre», «arrêter», les conseils sont donnés afin de «ne plus jamais revivre cela», «rebondir», «sauver sa peau»... C’est par le verbe «optimiser» que la ligne rédactionnelle peut être résumée : il faut optimiser toutes les facettes de la vie : corps, sexe, travail, famille...Pour optimiser le corps, Men’s Health propose des conseils qui doivent avoir un résultat quasiment immédiat tout en demandant peu de temps : c’est un magazine qui conseille avant tout l’» homme pressé» qui veut «tout, tout de suite». Ainsi la liste des expressions temporelles utilisées par le magazine pour désigner la rapidité des résultats comme des exercices à fournir marque la rapidité et l’efficacité de ceux-ci :

ce soir 5 méthode express 1
meilleurs 5 plus vite 1
en X jours seulement 2 en 2 exercices 1
mieux 2 d'un seul coup d'oeil 1
en X minutes 2 aujourd'hui 1
en X semaines chrono 2 24 heures contre 1
vite! 2 des résultats avant l'été 1
maintenant 2 survivre 24 heures 1
X semaines seulement 1 sans effort 1
plus 1 sans vous prendre la tête 1
gagner du temps 1 mieux et plus tout de suite 1
en 1 seul exercice 1 plus vite 1
gagnez à tous les coups 1 express 1
X kilos en un mois 1 pour toujours 1
simple et efficace 1 enfin 1
en x, y et z minutes 1 rapides avant l'été 1
résultats garantis 1 jamais 1
demain 1 pour l'été 1
mieux et plus tout de suite 1 droit au but 1
en x minutes par jour 1 pour la vie 1
la méthode rapide 1 super 1

Le temps est une composante récurrente dans ce magazine : des emplois du temps sont confectionnés, des exercices sont proposés en adéquation avec les différents lieux possibles ( le n°22 de septembre 2001 propose des exercices de musculation à la plage, à la piscine, au bureau...). Nous avons dit que Men’s Health s’adresse à un «homme pressé» 416 , les titres s’adressent, quant à eux, à un homme actif, qui va au bureau, qui a peu de temps pour lui, pour sa famille, qui déjeune au restaurant ou rapidement ( d’où le nombre important d’enquêtes sur les plats à choisir sur une carte de restaurant, sur la composition des sandwiches, des plats cuisinés, comment se préparer rapidement un repas équilibré...), qui prend l’avion, qui est soumis au stress et qui doit savoir gérer des situations complexes en peu de temps, il doit savoir «rebondir»...

Si l’homme est pour Men’s Health la cible des conseils donnés, ces conseils lui sont adressés pour qu’il améliore ses rapports avec les femmes. Pas une seule fois en 25 couvertures, le nom «hommes» est écrit : le seul mot utilisé pour désigner la gent masculine est sur la couverture du numéro 6 de janvier/février 2000 pour un article sur les «99 secrets de mecs». Puisque le magazine s’adresse directement aux hommes en employant l ’impératif, avoir recours à des qualificatifs pour désigner de la gent masculine est inutile. En revanche, le terme «femmes» est présent 6 fois en une, «nana» une fois pour illustrer un article du n°4 afin d’ apprendre à «tester sa nana et savoir si c’est la bonne», le numéro 5 propose de faire de la femme une «bombe sexuelle»...mais la plupart des couvertures évoquent la femme soit sous le pronom personnel «elle» ou le pronom «la» en complément d’objet direct «20 caresses pour la rendre folle ?» ( n° 6/janvier 2000) ou «chiante ou cool : démasquez la d’un seul coup d’oeil!» ( n°12/ septembre 2000), lui conférant un caractère impersonnel...

Nous verrons dans la partie consacrée à la représentation féminine que Men’s Health n’est pas forcément tendre avec les femmes, même si certains articles sont écrits pour son bien-être.

C’est donc avec cette formule que ce magazine, qui au départ consacre un bandeau noir en haut de sa couverture à «100 % nouveau, 100 % utile», rencontre un succès fulgurant : plus de 320 000 exemplaires vendus ce qui vaut au titre d’être alors le meilleur lancement d’un magazine en France des 7 dernières années. Or, rapidement le groupe Rodale constate un déficit de connaissance de son magazine auprès des lecteurs, qui citent régulièrement son concurrent direct : M Magazine.

Les deux analyses des couvertures des deux concurrents présentent en effet des similitudes : mêmes couvertures sur fond blanc, un homme torse nu, même concept fondé sur le pôle santé-forme ( qui ne contient pas un nombre illimité de sujets traitables : on revient vite au mal au dos, aux abdominaux, aux techniques anti-stress...) avec une prépondérance de l’idée de la performance, du temps à maîtriser... et des formules identiques dans les titres des couvertures : le n° 18/septembre 1999 de M Magazine propose «un ventre extra-plat en 6 semaines chrono», Men’s Health propose lui aussi «un ventre extra-plat» dans son numéro 12 de septembre 2000 ; quand le n°1 de Men’s Health propose en mai 99 « 75 secrets qui vont la rendre folle», M Magazine propose en juillet «25 secrets pour la faire décoller»... et les exemples pourraient être multipliés... Men’s Health et M Magazine s’affrontent sur un créneau si proche que le groupe Rodale ( Men’s Health) attaque le groupe Edipress ( M Magazine) en justice pour plagiat et fait connaître ainsi au jeune marché français de la presse masculine son premier conflit... Si chez M Magazine, il ne fut pas possible d’avoir de renseignements sur ce procès avant la disparition du titre, chez Men’s Health, le sujet pouvait être plus facilement abordé, étant dans la position du plaignant. Chez Men’s Health, c’est le changement radical de la formule de M Magazine au moment de leur arrivée sur le marché qui est attaquée : «M est arrivé un an avant nous...Il se trouve que le premier numéro de M était très très différent de ce qu’ils font aujourd’hui, à savoir c’était en général des titres, c’était visuel, de chaque coté de la couverture : un homme ou une femme ou un homme et une femme au milieu, enfin visuellement c’était totalement différent d’aujourd’hui et de ce que l’on fait...On est arrivé en avril ; en mars donc un mois avant, leur numéro a commencé à pas mal changer et notamment on s’est très vite rendu compte qu’il y avait beaucoup de reprises, pas de contenus mais au niveau des photos, c’était hallucinant! Il y a un moment où ça devient énorme et quand on a sorti un troisième numéro, on avait effectivement le même gars en couverture, les titres ferrés à gauche, la même typographie... C’était surtout le ferrage à gauche, toute la titraille à gauche qui fait que visuellement le lecteur ne peut pas s’y retrouver» 417 . Cette explication avait déjà été évoquée, plus laconiquement dans une émission télévisée en avril 2000 par le rédacteur en chef de l’époque Christian Monguérou : «Il y a des limites à la concurrence. Il suffit de prendre les numéros quand nous on est arrivé et de comparer M avant et après, notamment sur la couverture : il n’y a plus de femmes en couverture, des titres qui ressemblent beaucoup à ce que fait Men’s Health, d’ailleurs à travers le monde» 418 .

Men’s Health dès son premier numéro provoque un raz de marée sur le marché des masculins. Il devient dès lors le leader sur ce jeune marché : pour quelles raisons intenter un procès quand la formule que l’on propose apparaît aux lecteurs meilleure que la formule existant précédemment ? Le magazine aurait pu se contenter de conserver sa formule gagnante et laisser le concurrent diminué proposer une formule jugée moins bonne par les lecteurs qui soit s’en détournent pour ceux qui lisaient auparavant, soit ne s’y intéressent pas pour les lecteurs nouveaux venus avec Men’s Health. C’est une question d’image qui a avant tout incité le groupe Rodale à avoir recours à la justice : dans la rédaction, la notion de préjudice ne semble pas se situer en matière de ventes ou de profit économique, ce serait plutôt en matière de propriété intellectuelle, de travail puisque la rédaction déclare avoir dû annuler des articles traduits de la version américaine ( comme dans tout magazine international) car ils apparaissaient dans les pages du concurrent, d’identité qui était menacée ( lequel est M, lequel est Men’s Health ?) et surtout en matière de légitimité. Le groupe Rodale étant créateur du concept international de Men’s Health et dépositaire de celui-ci, la rédaction française se sentait légitime dans sa formule qui existe depuis 1988 Outre-Atlantique. L’antériorité et la création de la formule au plan international, ses chiffres de ventes autant à l’international que pour les premiers numéros français (324 000 pour le premier, 280 000 pour le second et environ 200 000 pour le troisième), étaient les éléments sur lesquels le groupe Rodale faisait reposer la légitimité du magazine Men’s Health en France.

Cette lutte pour la sauvegarde de l’identité de chacun des deux titres occupant, dans le marché de la presse masculine, des positions très proches s’est conclue par un non-lieu lequel conforta M Magazine dans sa propre identité : «on n’a pas intérêt à rester trop proche l’un de l’autre. Donc on est des gens intelligents, on va essayer de trouver une différenciation mais il est clair qu’on ne va pas renier notre ligne éditoriale pour leur faire plaisir». Nous verrons que cet épisode conflictuel 419 auquel le marché de la nouvelle presse masculine a été confronté, présente un caractère singulier par son opposition à la logique régissant les luttes à l’intérieur d’un champ. En dehors d’une volonté de conserver une position dominante, l’opposition porte principalement sur l’identité propre à chacun des titres, laquelle ne réside pas uniquement dans un nom (même si Men’s Health a, pour renforcer son appellation, ajouté, au moment du conflit, une sous-appellation «le premier vrai magazine pour hommes» 420 afin d’une part de se différencier mais aussi d’autre part de montrer son opposition de contenu en condamnant les concurrents au nom de la frivolité) mais aussi dans un concept particulier et novateur. Les lecteurs se sont répartis entre les deux titres, même si Men’s Health, grâce aussi à un soutien publicitaire important qui est l’apanage des grands groupes, a supplanté rapidement son concurrent direct.

Quelle stratégie met alors en place le groupe Edipress pour contrer ce nouvel arrivant et maintenir les ventes de M Magazine à leur niveau antérieur à cette arrivée qui, annoncée depuis longtemps, rencontre le succès fulgurant que nous avons noté?

Chez M Magazine, l’évolution de la couverture est un argument mis en avant par la rédaction en réponse aux accusations de plagiat : «Quoiqu’on dise maintenant, la couverture évolue beaucoup, là on lui avait mis un pull, ce qui est une véritable révolution, on a commencé par la chemise, le pull, là on continue avec le nombril et dans le prochain qui sortira, on ne verra plus le nombril. Il faut bien chercher à se distinguer» 421 . Quant à la formule elle-même, elle a été conservée dans son ensemble, le procès leur ayant donné raison, le groupe ne voit aucune raison de changer un contenu ou une formule alors que la justice l’a déclaré dans son bon droit. Le groupe Edipress a obtenu par ce jugement une légitimité bien supérieure à celle des ventes : cette légitimité leur a été donnée par une instance judiciaire qui a force de loi, mais cette légitimité est avant tout interne, en effet le verdict du procès n’a intéressé que les deux parties en question et n’a fait l’objet d’aucune médiatisation dans les pages des deux magazines. C’est avant tout une «victoire» interne de M Magazine qui se sent alors propriétaire d’une formule, même si celle-ci est plus bénéfique à son concurrent qu’à lui même ( le concurrent bénéficiant d’un savoir-faire de cette formule depuis 10 ans et dans diverses cultures). Avec les résultats du procès, les formules de M Magazine et de Men’s Health changent peu ( chacun étant conforté dans sa formule) et continuent à susciter un trouble de distinction chez les lecteurs 422 .

Les deux premiers nouveaux magazines pour hommes à investir le marché des masculins sont donc deux formules presque identiques. D’une part, leurs positionnements thématiques s’effectuent autour d’un pôle santé-forme qui, s’il a l’avantage d’être novateur en France chez les hommes, a le désavantage de ne pas proposer de thèmes variés qui peuvent être déclinés pendant de nombreux numéros et sous des formes différentes. Et c'est d’autant plus un handicap quand ce désavantage est multiplié par deux magazines. Nous avons montré que les titres des deux magazines ont souvent été les mêmes (mêmes expressions, mêmes thèmes) et que les sujets des articles sont apparus de façon récurrente dans les deux magazines : le mal au dos, la gestion du stress, l'hyperpilosité... ont été traités à maintes reprises par ces magazines, soit le même mois, soit avec un décalage temporaire restreint qui donne au lecteur l’impression de «toujours voir la même chose». D’autre part, leur reconnaissance et identité visuelle sont remises en cause : mêmes titres sur le coté gauche de la couverture, mêmes mannequins inconnus mais jeunes, imberbes et musculeux, mêmes couleurs utilisées, même fond blanc... Ils se ressemblent en beaucoup de points et malgré les quelques petits aménagements, cette gémellité est restée ancrée dans les esprits et est un des facteurs de la disparition de M Magazine en mai 2001, sur laquelle nous nous arrêterons longuement dans la dernière partie de cette thèse.

Ce pôle santé-forme a constitué à lui seul jusqu’en juillet 1999 le marché de la nouvelle presse masculine française. Ce marché est donc au départ, un marché thématiquement spécialisé, fondé sur une seule formule déclinée par deux groupes étrangers voulant investir la France. Ce marché se trouve rapidement régi par des conflits, par une concurrence acerbe et dans lequel le «nouvel arrivant» a détrôné le «premier arrivé» avec l’aide d’une formule rodée depuis des années dans d’autres pays et fut utilisée en France (avec quelques aménagements comme les couples en une, les vêtements sur les mannequins...) par le premier magazine ayant investi ce marché. Ce marché de la presse est donc passé d’une structure monopolistique à une structure fortement concurrentielle, avec pour objet une même thématique dont le traitement par Men’s Health est plébiscité. Mais ce marché français masculin de la presse santé-forme se transforme avec l’arrivée d’une nouveauté thématique fondée sur le ludique en un marché de presse masculine généraliste, avec des composants spécialisés dans un domaine ( santé-forme). Cette arrivée en juillet 1999 de FHM, magazine du groupe britannique Emap, apparaît comme un coup de force massif qui va engendrer la répartition des places et l’abandon de la position monopolistique du pôle santé-forme et particulièrement celle de Men’s Health. Si les ventes de M Magazine sont moins importantes et celles de Men’s Health confortées, cette importation de FHM en France pendant l’été 1999 a provoqué une nouvelle répartition des lecteurs et une bipartition du marché des masculins français entre le pôle thématique santé-forme et le pôle généraliste basé sur le ludique, l’humour et le charme.

Notes
406.

Ce texte, traduit de l’anglais, nous a été confié par un des membres de la rédaction de Men’s Health France en novembre 2001. Ce texte avait été distribué aux différents membres du secteur communication et publicité de toutes les rédactions de Men’s Health regroupés en un colloque quelques mois plus tôt. Pour respecter la demande de Men’s Health, nous ne publierons pas la totalité de ce document.

407.

La rédaction de Men’s Health aurait-elle déjà reçu du courrier avant même de voir son premier numéro sorti dans le commerce ?

408.

On trouve pêle-mêle des techniques pour résister au décalage horaire, comment bien retomber lors d’une chute en VTT, 10 conseils pour se débrancher pendant les vacances, comment déboucher une bouteille, comment déterminer la composition d’un plateau de gâteaux apéritif, que faire lors d’un mal de tête ?

409.

Pierre le barman est celui qui «voit tout, entend tout et donne tous les mois un avis autorisé sur les femmes, le sexe et ces quelques autres sujets qui peuvent faire basculer la vie d’un homme».

410.

Men’s Health n° 4 de novembre 1999, p.42.

411.

La collection analysée de Men’s Health porte du numéro 1 de mai/juin 1999 au numéro 25 de décembre 2001.

412.

Nous verrons dans la partie consacrée à la représentation masculine les raisons de l’absence de poils évoquées par un épistémologue intervenant pour M Magazine.

413.

La liste complète des récurrences est consultable dans les annexes.

414.

Le vocabulaire employé dans ce magazine oscille entre un vocabulaire très soutenu appartenant au monde scientifique et un vocabulaire appartenant au registre populaire comme «bide», «bouée» pour signifier le ventre… Ce sont donc des niveaux de langage différents qui cohabitent dans ce magazine et qui parfois, nous y reviendrons, sont repris, à mauvais escient par les épistoliers.

415.

Nous verrons que ce gain de muscles est une des demandes récurrentes des épistoliers.

416.

L’Etude de la composition socioprofessionnelle des lecteurs des magazines masculins aura lieu dans la troisième partie consacrée à la lecture de ces magazines. Mais le lecteur de Men’s Health appartient aux CSP moyennes.

417.

Entretien réalisé le 5 juillet 2000 avec un membre de la rédaction de Men’s Health.

418.

Propos tenus par le rédacteur en chef du magazine Men’s Health en avril 2000 dans un reportage de l’émission TV+ sur Canal +.

419.

Ceci est un des indices de la constitution du marché de la nouvelle presse masculine en champ, et qui vient s’ajouter à la présence d’acteurs ( les magazines) occupant des positions successives ( leader, outsider et aussi «nouveaux venus») au fil de l’étoffement en participants de ce marché, lesquels acteurs prennent des prises de positions : les formules spécifiques de chaque magazine. Nous reviendrons sur cette constitution en champ, à la fin de cette sous-partie.

420.

Ce sous-titre a depuis disparu.

421.

Entretien accordé par le rédacteur en chef de M Magazine, le 5 décembre 2000.

422.

Cette difficulté de distinction des deux titres existera jusqu’à la disparition de M Magazine en mai 2001.