d) Maximal : l’unique masculin de Hachette-Filipacchi Médias.

Nous avons vu dans la partie consacrée à Lui que longtemps le groupe Hachette Filipacchi a été leader sur le marché du magazine masculin de charme. Fort de cette richesse du savoir-faire, le groupe reste sur l’arrêt de ce magazine au début des années 90.

Devant la multiplication des rumeurs et échos de lancements de masculins à partir de 1997, le groupe Hachette Filipacchi Médias est à la recherche d’une renaissance de son pôle masculin. Propriétaire de Elle, la tentation de décliner ce mythe de la presse féminine à travers le monde en un magazine pour les hommes branchés, avides de culture mais aussi soucieux de leur corps et de la place de l’homme dans la société est forte. De multiples essais sont tentés autour d’un projet nommé IL. Ce projet, plusieurs fois annoncé puis abandonné, a fait l’objet de divers tests : des équipes successives ont travaillé dessus plus d’une année et demie, 4 numéros 0 ont été lancés sans jamais aboutir. Les raisons de cet abandon non définitif, abordées lors d’un entretien avec le gérant-directeur de la publication du groupe 449 relèvent de la difficulté de positionnement d’un nouveau titre dans un marché de presse jugé encore instable. Le concept retenu était plutôt généraliste, moins axé sur le sexe et la santé que ces futurs concurrents, avec des portraits de personnalités et qui aurait été un produit de luxe digne de Elle. Face à la difficulté de choix entre la création d’un magazine généraliste ou un magazine à centre d’intérêt, face à ce qui est considéré chez Hachette comme un insuccès des concurrents masculins : «un magazine n’est pas rentable à moins de 100 000 exemplaires»et surtout face à l’impossibilité avouée de «se planter» par rapport au succès du féminin Elle, la direction de Hachette-Filipacchi Médias a opté pour la suspension du projet, en attente d’une «reconfiguration du marché». Si Il n’a jamais vu le jour en tant que mensuel autonome sur le marché, il a servi de supplément masculin à Elle dans les années 95.

Dans un article consacré à l’internationalisation du magazine Elle et à l’analyse des publicités en fonction des pays dans lesquelles elles sont publiées, Violaine Appel et Laurence Kister rappellent que «Elle a voulu aussi créer un espace spécifique dédié aux hommes en lançant Il, en mai 1995. Ce hors-série masculin sort deux fois par an, il est vendu sous lien avec le Elle. Il bénéficie ainsi de la large diffusion de l’hebdomadaire et touche essentiellement la population que représentent les maris, compagnons et aussi des lectrices de l’hebdomadaire» 450 . Aujourd’hui disparu en tant que supplément et abandonné en tant que mensuel, Lui a laissé place à un projet d’adaptation d’un produit britannique Maxim.

En rachetant la licence de ce titre anglais en 2000 pour l’adapter au marché français sous le nom de Maximal, Hachette Filipacchi Médias tente un positionnement sur le marché de la nouvelle presse masculine qui, jusqu’alors lui échappe.Apparu en novembre 2000 (ce qui constitue la quatrième phase de l’histoire du marché des nouveaux masculins en France) après presque une année de gestation, il est présenté par son rédacteur en chef comme «un généraliste, masculin, mélange de Lui et de Elle» 451 et comme une sorte de petit frère de Lui ; en effet, nombreux collaborateurs au magazine Maximal ont été auparavant ceux de Lui : «en fait, nous sommes en train d’attaquer un public qui n’est pas attaqué...qui était à l’époque celui de Lui, donc on revient en fait à quelque chose que le groupe Hachette sait en théorie très bien faire. Notre rédacteur en chef photo a été longtemps le rédacteur en chef de Lui et moi j’ai quand même été le rédacteur en chef adjoint de Lui donc il y a...Notre styliste était la styliste de Lui...C’est J-M Perrier qui a signé la photo de n°1 et c’est un photographe de Lui très célèbre» 452 . Ce savoir-faire, héritage de l’ère Lui, associé à une différenciation vis-à-vis de tous les autres titres masculins et laquelle passe, pour la rédaction de Maximal, d’une part par un contenu généraliste caractérisé comme étant «en jachère» et d’autre part, par un lectorat ciblé plus âgé (30-40 ans) que celui des autres masculins, seraient les facteurs de l’absence de concurrence rencontrée, selon la rédaction de Maximal. Cette cible a nécessité une réadaptation des contenus de la formule anglais de Maxim qui, elle, a pour cible un public d’adolescents et de post-adolescents.

L’analyse de la structure et des couvertures n’a pas été possible pour ce titre : la rédaction ayant juste accepté, malgré nos requêtes récurrentes, de nous recevoir juste après le lancement. Le premier numéro lancé en novembre 2000 titrait «les fiancées de l’Audimat»et présentait en gros plan Anne Depétrini, Eglantine Emeyé et Karine Lemarchand en robe bustier noire pour l’une, de profil pour la seconde la veste noire ouverte laissant découvrir le galbe d’un sein et la troisième en blouson de cuir noir ouvert sur la poitrine. La couverture est en fait dépliable et laisse apparaître trois autres jeunes animatrices, elles aussi, en décolleté noir.

Une avec une fille, les filles de la télévision (Marine Vignes, Héléna Noguéra…)
Circus Maximus : (10p), portraits, conseils pour devenir Lionel Jospin…
Agenda (1p) : "le vendredi 24 novembre, vomissons"…
Vous avez de ces questions ! (1p): "pourquoi mange-t-on moins quand on est amoureux ?"
Comment faire mieux, mieux et encore mieux (15p) : conseils sur le couple, la mode, le juridique…
Répondez s'il vous plait (2p) : interview avec une personnalité (Dennis Hoper dans n°1)
Photographies charme d'une célébrité (8p) avec un entretien : Lara Flynn Boyle dans n°1)
Dossiers (6p) : laboratoire P4 à Lyon, avec des plans...
Entretien d'Emmanuel Chain (6p)avec une personnalité : François-Henri Pinault, C. Beigbeder (n°2) avec des photographies illustrant les 12 heures passées en compagnie de l'invité
Filles de la une : (14p), lascives, couchées et décolletées, elles font l'objet de biographies.
un dossier (5p)sur le rapport entre les grands singes et les grands patrons.
serie charme ( 6p) sur une starlette italienne posant en robe gitane dans une fontaine.
dossier finances (6p) rédigé par J. Montaldo.
sexopsycho (6p) est la rubrique sexuelle, conseils pour pimenter la vie sexuelle
La mode (22p), shopping, séries mode...
Le Guide (18p) :ciné, musique, DVD, jeux vidéos, livre, Internet, technologies, automobile, tourisme…
Docteur Maxime (1p)traite d'une difficulté "l'art de se sortir d'une situation désespérée"

La couverture du second numéro met en scène Alyssa Milano (jeune starlette qui a déjà posé pour FHM) en brassière noire qui laisse apparaître un percing du nombril. Quant aux illustrations des articles, elles sont pour la plupart issues de films et les dessins sont nombreux. Si le premier numéro a été sous-titré «la plus belle découverte de l’homme depuis la création de la femme», ce dernier a disparu dès le second numéro. Le ton oscille entre information, information pratique et de la non-information. Maximal est proche de FHM par certains thèmes de rubriques 453 , mais sans avoir recours à l’humour dans les textes des articles, même si les légendes sont parfois empruntes d’humour noir 454 . Pour Maximal, cette ressemblance avec certains articles de FHM est un faux-problème puisque le public ciblé n’est pas le même, il est ici plus âgé, d’autant plus que la rédaction de Maximal se déclare sur un tout autre positionnement que FHM et tous les autres masculins, «nouveaux» comme «classiques» : «nous attaquons un créneau qui pour l’instant est en jachère, c-à-d que Max, FHM se battent sur le même créneau qui est un créneau ado et post-ado, Upstreet et Optimum se battent sur le créneau mode, haut de gamme, M et Men’s Health se battent sur le créneau santé. Nous sommes seuls en réalité, nous ne sommes pas en concurrence avec ces titres-là (...). Nous sommes en train d’attaquer un public qui n’est pas attaqué... qui était à l’époque celui de Lui» 455 . Il ajoute que si Hachette Fipilacchi Médias avait voulu rentrer en concurrence avec FHM, cela aurait été d’autant plus aisé que Maxim Amérique est le concurrent direct de FHM ( 2 458 150 exemplaires en moyenne pour Maxim en 2001 contre 516 195 pour FHM, alors que la tendance s’inverse sur leurs terres anglaises natales au profit de FHM : 716 679 numéros en moyenne contre 328 463 pour Maxim). Cette version est contestée chez Emap France puisque sont avancés les contacts anciens de Hachette Filipacchi Médias pour s’associer dans la fabrication de FHM.

Les premiers chiffres annoncés par le rédacteur en chef, un mois après la sortie, font état de 150 000 numéros vendus pour les premiers mois, avec un objectif de 200 000 exemplaires dans les mois suivants sans que celui-ci soit atteint. Nous verrons dans la dernière partie de cette thèse, le changement de la ligne rédactionnelle vers une ligne plus  charme en fin d’année 2001. Son arrivée tardive sur le marché des masculins ( 2 ans et demi après M Magazine et 1 an et demi après Men’s Health et Fhm) est gommée chez Maximal par la mise en avant d’un concept nouveau justifiant le positionnement du titre et qui ne dépendrait pas d ’une quelconque concurrence avec d’autres titres.

L’apparition de Maximal en novembre 2000 n’a en rien influé sur les ventes des autres masculins : sur l’année 2000-2001, les chiffres de FHM ont augmenté, passant selon l’OJD de 143 000 ventes mensuelles en moyenne en 2000 à 151 527 sur l’année 2000-2001 et son ascension continue ; ceux de Men’s Health et de M Magazine diminuent, non par fuite des lecteurs vers Maximal ou FHM mais par le fait de la répartition entre les deux titres. Mais la multiplicité des titres sur un marché jeune, novateur dans un pays où le bien-être de l’homme n’est pas aussi intégré que celui des femmes mais qui tend à se développer, rend ce marché particulièrement concurrentiel et fragile. En deux années (printemps 1998-décembre 2000), le marché est passé d’une structure monopolistique aux mains du groupe Edipress à une structure de type oligopolistique à «frange concurrentielle» 456 dans laquelle des petits groupes indépendants ont tenté de s’insérer et de concurrencer les grands groupes pour revenir rapidement en cette fin 2000 à une structure oligopolistique simple. Si ce sont des groupes de presse importants et internationaux pour la plupart ( Rodale, Emap et Hachette Filipacchi Médias, Ediexcel est une filiale plus petite, mais dont les «parents» sont des groupes importants dans leurs pays respectifs) qui constituent l’armature du marché de la presse masculine entre 1998 et 2001, de petits groupes de presse, souvent constitués d’un seul titre, ont lancé, pendant cette période, des magazines masculins, dans l’espoir d’être portés par la vague actuelle et de pouvoir développer des formules différentes de celles proposées par ces grands groupes.

Notes
449.

Entretien accordé par le gérant-directeur de publication du groupe Hachette-Filipacchi le 29 mai 2000.

450.

APPEL V , KISTER L., «Le magazine Elle : aspects linguistiques et visuels des publicités», Communication et langages, n° 118, 4e trimestre 1998, p. 50.

451.

Entretien accordé par le rédacteur en chef du magazine Maximal, le 4 décembre 2000.

452.

Ibid.

453.

La rubrique circus maximus qui, dès le second numéro a été ramenée de 15 à 6 pages, est assez proche de ce qu’était la rubrique Action de FHM avant qu’elle ne soit modifiée en rubrique interactive.

454.

Un article sur «comment éviter la correctionnelle» est illustré par une paire de mains enchaînée dans des menottes avec pour légende   «tiens, ils font des bracelets pour hommes, maintenant ?»

455.

Entretien accordé par le rédacteur en chef du magazine Maximal, le 4 décembre 2000.

456.

Dans son article «L’Economie des médias», Réseaux n°105, p.82, Nathalie Sonnac rappelle que «les économistes désignent par cette terminologie une structure de marché dans laquelle opèrent deux catégories d’agents : d’une part, un petit nombre de firmes importantes qui dominent le marché et, d’autre part, une myriade de firmes indépendantes, appelée frange concurrentielle, qui visent à satisfaire des demandes provenant d’audiences plus spécifiques».