-L’antériorité sur le marché et un positionnement différent mis en avant par la presse masculine traditionnelle.

Tous les membres des rédactions que nous avons rencontrés ont légitimé leurs choix rédactionnels autour d’une dichotomie entre EUX et NOUS fondée notamment sur l’antériorité et la postériorité des formules. Ainsi, chez Max, la légitimité repose dans la présence antérieure du magazine à l’arrivée des nouveaux masculins. A la question : «comment avez-vous vécu l’arrivée de la nouvelle presse masculine ?», l’ancienne secrétaire de rédaction devenue depuis rédactrice en chef adjoint de Max, répond : «plutôt comme la confirmation qu’on avait raison. Parce qu’on était là avant». A l’argument de l’antériorité du positionnement sur le marché, s’ajoute, pour Max, un contenu en totale opposition avec ce que les nouveaux concurrents proposent, engendrant ainsi une différenciation de cible et de lectorat : «on n’a pas l’impression d’être sur le même créneau, parce qu’on a aussi une identité générationnelle qui est assez marquée, plus jeune que la concurrence, moins urbaine, 20-30 plutôt que 30-40» 470 . L’équipe insiste sur le positionnement particulier du magazine et notamment des dossiers de société qui font la renommée de son titre, dont les journalistes se déclarent «très fiers». En effet, en l’espace d’une heure d’entretien, l’expression «on est fier de...» revient au moins 5 fois : «on est très fier de notre différence» ( 2 fois), «on est très fier de la conserver», «on est fier d’avoir ce point de vue»et «on est fier de cette réussite». La rédaction de Max se félicite d’apporter aux lecteurs une vision politique des divers événements ou phénomènes sociaux et fonde ainsi sa différenciation avec les nouveaux masculins desquels la politique est totalement exclue. Nous verrons dans la partie consacrée à l’analyse des éditoriaux que la politique n’intervient presque jamais dans ces magazines, en dehors de très rares combats auxquels les magazines se sont alliés. Enfin, la rédaction se sent plus proche des masculins traditionnels, et notamment de Playboy, dont elle se décrit être issue de la culture, que des nouveaux masculins dont elle ne semble rien craindre du fait du positionnement original et complètement opposé de la formule de Max.

Ce sont sensiblement les mêmes arguments qui sont utilisés par le rédacteur en chef Emmanuel Rubin du Magazine de l’Optimum, pour énoncer les différences qui séparent son titre de ceux des nouveaux masculins. Il opère une double différenciation : d’une part, par rapport à ses concurrents issus « de la même époque» et d’autre part, par rapport aux nouveaux arrivants. Pour lui, ils ne sont pas des concurrents, les seuls concurrents qu’il pourrait avoir seraient ceux qui officieraient exactement sur le même créneau de son magazine. Or, en mensuel, il n’en existe pas, Vogue Homme international, Monsieur... paraissent à des périodicités différentes du Magazine de l’Optimum. C’est ainsi que pour le rédacteur en chef de L’Optimum, «pour moi, Max n’existe pas comme d’ailleurs Men’s Health, M.. Pour moi, c’est des vrai-faux concurrents, ils ne me font pas peur» 471 . Il trouve divers arguments au fait que ces magazines ne soient pas, pour lui, des concurrents : financièrement, ils appartiennent pour la plupart à des groupes importants et possèdent des trésoreries, des capitaux qui leur permettent de bien fonctionner, alors que L’Optimum est issu d’un groupe de presse aux moyens plus limités. Nous verrons dans la seconde partie de cette thèse que cet argument est en effet primordial dans la différenciation entre les titres et ce, notamment en matière de méthodes de travail. Ensuite, le profil du lecteur de son titre est diamétralement opposé à celui des autres masculins : il appartient aux classes supérieures aisées, est parisien, entre 35 et 40 ans... et possède un pouvoir d’achat bien plus important que les jeunes lecteurs des autres magazines. Pour lui, les contenus de tous ces magazines n’ayant rien en commun avec le contenu du sien, ils ne peuvent être comparés. Du marché des nouveaux masculins, il dresse une critique acerbe des contenus-mêmes des magazines comme de la présentation qui en fut faite par les magazines de communication 472 . Si le Magazine de l’Optimums’appuie sur l’actualité pour le choix des sujets, articles, dossiers, personnalités de la couverture, les nouveaux masculins ne traitent pas, pour les spécialisés notamment, de l’actualité ; ils traitent de la forme, de la santé, de la nutrition... mais pas de l’actualité littéraire ni politique. Les nouveaux masculins généralistes ( FHM et Maximal ) suivent notamment l’actualité pour les personnalités de couverture ou pour certains dossiers. Il voit en ce nouveau marché un avenir difficile, au regard de la redondance des sujets proposés, de la difficulté de renouvellement, de la non-culture française en matière de presse masculine, la multiplicité des magazines lancés par des petits groupes, des non-journalistes, présentant des formules souvent proches des autres titres et qu’il qualifie de «parasites»... En revanche, même s’il décrit son magazine comme à part dans ce marché, il insiste sur les bons rapports entretenus avec les membres des rédactions des anciens masculins comme des nouveaux dont certains sont des amis très proches qui furent des collègues-journalistes ; il qualifie ces magazines de «produits-presse» dont il salue la rigueur du travail journalistique, même si ce n’est pas le journalisme qu’il souhaite pratiquer.

La différenciation des masculins traditionnels passe donc par une histoire particulière, une présence longue sur le marché dont ils possèdent une connaissance accrue des lois, des contenus différents de ceux proposés par les nouveaux arrivants, une identité personnelle fondée au fil des numéros et de l’augmentation des lecteurs. Ce fort sentiment identitaire de non-appartenance à cette «nouvelle vague» de masculins permet aux magazines traditionnels de conserver leur originalité sur le marché et de continuer leur chemin en parallèle des nouveaux masculins.

C’est le même mécanisme qui se produit dans les positionnements des nouveaux masculins vis-à-vis des masculins traditionnels. La dichotomie Eux/Nous fonctionne, là aussi, autour d’une opposition complète des contenus. Pour le rédacteur de M Magazine, Max ( qui appartient au même groupe) n’a jamais été un concurrent parce que les deux lectorats sont différents, et les contenus (santé-forme-comportement pour M Magazine et tendance-psycho-charme-people-société pour Max) n’ont rien en commun. Mais les rédactions des nouveaux masculins évoquent peu la présence sur le marché des masculins traditionnels. Seul Max est cité et sous la forme de louanges : chez M Magazine, on louait la formule sexe subtilement enrobée d’informations culturelles de Max : «Max, c’est habile parce que c’est du sexe avec un vernis de culture, parler de choses où l’on tire par le bas, mais là-dessus, on met un sociologue... Donc la matière première est vicelarde, mais l’enrobage, le papier cadeau est très bien fait. Donc tu as bonne conscience à acheter Max, tu n’achètes pas un magazine de cul... Tu en achètes un mais en sachant qu’il y a ce qu’il faut pour te dédouaner, une sorte de caution branchée, intello et c’est malgré tout un journal sérieux. C’est très malin, très subtil ! Un mariage bien fait.» 473 . Cette vision de Max 474 est partagée chez Men’s Health et FHM. Le pôle des masculins traditionnels n’est pas considéré comme concurrent par les nouveaux masculins qui jugent leurs «aînés» favorablement, certainement en rapport avec le fait qu’ils proposent des contenus si différents que les lecteurs le sont eux aussi. C’est donc une juxtaposition sur un même marché de formules totalement différentes, qui ne s’entrechoquent pas, ne se concurrencent pas qui amènent les rédactions des nouveaux masculins à évoquer les titres traditionnels avec beaucoup de respect. Ces différences de formule, d’enracinement temporel sur le marché des masculins... suffisent à la différenciation des titres, qui n’ont pas besoin de stratégies ou de formules «différenciantes» supplémentaires. Le Magazine de L’Optimum et Max n’ont d’ailleurs pas enchéri leurs titres de sous-titres différenciant, tandis que les nouveaux masculins en ont adoptés.

Notes
470.

Propos tenus le 10 avril 2000 par un membre de la rédaction de Max lors d’un entretien effectué à la rédaction.

471.

Propos tenus par le rédacteur en chef du Magazine de L’Optimum, le 17 août 2000.

472.

Pour le rédacteur en chef du Magazine de l’Optimum, les magazines prodessionnels de communication tels que Stratégie... ,se sont trompés en présentant d’une part tous les magazines masculins comme des généralistes alors que certains sont des spécialisés, et d’autre part, les masculins comme des transpositions de féminins alors qu’ils sont dénués, contrairement aux feminins, et nous reviendrons sur ce point, de politique.

473.

Propos tenus par le rédacteur en chef de M Magazine, le 31 mai 2001.

474.

Max est le seul mensuel masculin traditionnel qui présente une forme proche de FHM ou Maximal, tout en étant moins ironique que le premier et plus politisé et culturel que le second.