-Etre reconnaissable et conforter son identité pour se démarquer dans la concurrence acerbe entre nouveaux masculins.

Nous avons vu, dans la partie consacrée au positionnement des nouveaux masculins, que la rudesse de la concurrence entre des magazines qui possèdent des histoires proches, des temporalités proches, des contenus semblables puis proches pour deux d’entre eux... engendrent des stratégies de rupture, de subversion qui impliquent le recours à l’innovation dans le ton et dans le choix des articles, offrant ainsi aux titres les appliquant un statut d’avant-gardiste. Ce statut est donc le résultat d’une stratégie dont le leitmotiv est «pour exister, il faut différer». Mais cette course à la différenciation pour fonder une identité n’est pas aisée ; l’arrivée massive de masculins aux contenus proches entraîne une confusion de l’identité des titres chez le public. Cette difficulté à faire émerger du lot une image propre à une publication a incité chacun des masculins à associer à leur titre une formule courte qui se veut éloquente. Ainsi FHM est sous-titré de sa simple traduction «for him magazine», M Magazine s’accompagne de «bien vivre au masculin», TMB avait choisi deux formules «le messager de l’homme» et «le magazine des hommes très beaux» 475 , Men’s Health ajoute à son titre «le premier vrai magazine pour hommes» 476 , le défunt Kromozom titrait «le mensuel de tous les hommes»et Maximal après avoir sous-titré prétentieusement «la plus belle découverte de l’homme depuis la création de la femme» est revenu à un plus simple «Pour Homme». Mais, il n’est pas certain que ces petits titres, ajoutés sous le titre principal ou en bas de la page, soient les éléments déterminants quant à une meilleure connaissance, par le public, de l’identité des magazines. Ces phrases, ajoutées comme moyen de se démarquer mais aussi d’affiner un titre pas forcément évocateur, ont pour certaines disparu au fil du temps. Mais si cet ajout de sous-titres est un élément visible de la volonté de différenciation des nouveaux masculins par rapport à leurs nouveaux concurrents directs, ce sont dans les discours que les moyens sur lesquels les rédactions fondent la différenciation de leur titre, sont les plus explicites. Contrairement aux rédactions des magazines traditionnels qui justifient leurs titres par une différence de formule rédactionnelle non retrouvée parmi les nouveaux masculins, ces derniers utilisent les notions de légitimité, de savoir-faire et de positionnement en termes de ventes pour asseoir leur position et leur formule.

Si la différenciation entre le pôle traditionnel et le pôle des nouveaux masculins s’effectue autour de l’opposition Nous/Eux, la différenciation des titres à l’intérieur du marché des nouveaux masculins s’effectue, quant à elle, autour de l’opposition Je/Nous. Tout en appartenant au même marché et en partageant des formules assez proches, chaque titre doit se différencier pour créer sa propre identité et être facilement reconnaissable par les lecteurs. Cette différenciation a été particulièrement difficile à mener pour les titres M Magazine et Men’s Health. Face à deux formules identiques dès l’arrivée de Men’s Health, les deux magazines ont véhiculé pendant leur présence commune sur le marché, l’image de «frères jumeaux» dont ils n’ont pu se débarrasser totalement, malgré la sentence du procès rendue en faveur de M Magazine. Nous avons montré dans la partie consacrée à Men’s Health les difficultés rencontrées par le groupe Rodale pour être reconnu comme le propriétaire de la formule «empruntée» par M Magazine. Ce n’est que par la disparition de ce dernier, sur laquelle nous reviendrons en détail dans la dernière partie de cette thèse, que Men’s Health a réussi à faire reconnaître son titre. La différenciation dans le marché des nouveaux masculins s’effectue principalement autour des titres aux formules proches. Deux couples de magazines ont besoin de se différencier : Men’s Health et M Magazine d’une part et FHM et Maximal d’autre part. Nous avons vu que pour le premier ce fut une mission impossible. Pour le second, FHM se pose en détenteur d’une formule qui a fait ses preuves à l’étranger comme en France bien avant celle de Maximal. Interrogeant le rédacteur en chef de FHM en janvier 2002 sur ce qui nous apparaissait comme une enchère du charme et du sexy dans FHM comme dans Maximal, il nous répondit : «je ne lis pas Maximal. On s’est juste dit qu’on avait la légitimité pour faire des filles sexy, qu’on le faisait bien et qu’il fallait qu’on en fasse plus» 477 . La légitimité de FHM repose alors, pour la rédaction, sur un savoir-faire du sexy. Mais si ce savoir-faire est le premier argument donné par le rédacteur en chef, il énonce rapidement le second argument : l ’antériorité de la formule et de ce savoir-faire sur le marché. Lui demandant l’origine de cette légitimité, il rétorque : «parce qu’on le fait depuis longtemps. On a l’impression de le faire bien ou mieux qu’eux (...) Donc on a juste décidé d’aller un tout petit peu plus loin, parce qu’il n’y avait pas de raison qu’on ne soit pas aussi sexy qu’eux mais on ne court pas après le reste de la formule de Maximal» 478 . Chez Maximal, c’est sur l’âge des lecteurs que la rédaction, deux mois après la sortie du magazine 479 , fondait la différenciation avec FHM en se présentant comme «un produit intermédiaire» 480 . Pour le rédacteur en chef, son titre est seul sur le créneau et donc sans concurrence avec les autres nouveaux masculins. Il n’aurait alors aucune raison de vouloir se différencier davantage puisqu’il l’est suffisamment d’origine.

Si le pôle traditionnel présente des titres suffisamment différents et identifiables pour d’une part, ne pas rentrer en concurrence avec les nouveaux masculins, et d’autre part être bien installé sur le marché, le pôle des nouveaux masculins est plus fragile car soumis à une concurrence acerbe du fait des formules proches de certains titres. Si le pôle des «anciens» fonctionne sur le marché des masculins parallèlement au pôle plus récent en une séparation entre Nous (les anciens) et Eux (les nouveaux), le pôle des nouveaux masculins connaît des stratégies de différenciation interne entre chacun des titres et ses concurrents directs. L’opposition s’effectue entre Je (un titre) et Nous (concurrents appartenant au même pôle). C’est donc à l’intérieur même du marché des nouveaux masculins une course aux moyens efficaces et rapides de différenciation qui peuvent aller, nous l’avons montré, jusqu’aux procédures judiciaires. Mais la différenciation des masculins (traditionnels comme nouveaux même si c’est l’arrivée de ces derniers qui a fait éclater les nombreuses critiques) pour l’imposition d’une identité propre à chacun, passe aussi par une opposition inter-marchés et particulièrement par rapport à la presse féminine et à la presse homosexuelle.

Notes
475.

Ce slogan a une histoire. A l’origine, le slogan de TMB devait être «le magazine des beaux mecs», mais le magazine, en affichant ce slogan aurait pu être classé parmi les magazines gays. Or, le magazine se voulait sexuellement non connoté.

476.

Ce slogan est apparu au moment de la lutte et du procès contre M. Magazine.

477.

Propos tenus par le rédacteur en chef de FHM, lors de l’entretien du 18 janvier 2002.

478.

Ibid.

479.

Nous avons recontacté l’équipe de Maximal depuis. Or, celle-ci ayant changé, nos appels sont restés sans réponse.

480.

Propos tenus par le premier rédacteur en chef de Maximal, lors de l’entretien du 4 décembre 2000.