-L’absence de politique au centre de la différence entre les féminins et masculins, pour les acteurs de la presse masculine.

Demandant aux différents rédacteurs en chef des magazines masculins leur positionnement face à la presse féminine et leur regard sur l’idée d’une transposition des magazines féminins en masculins, ils évoquent tous l’impossibilité de comparer la presse masculine à celle des femmes. Chez Maximal, la différence entre les contenus des féminins et des masculins est expliquée par une différence de l’imaginaire des hommes et des femmes. Pour Christophe Bourseiller, qui fut le premier rédacteur en chef de ce titre : «Ca ne marche pas d’adapter les féminins, ça ne fonctionne pas du tout. Par exemple, dans les masculins, vous allez avoir des filles mais dans les féminins, vous n’avez pas nécessairement des mecs, il n’y a pas de photos de beaux mecs nus dans les féminins. Pourquoi ? Parce que l’imaginaire masculin fonctionne différemment de l’imaginaire féminin...(...). L’idée de prendre la main des hommes, de les aider, c’est quelquechose qu’on ne voit pas vraiment dans les féminins» 483 . Au Magazine de l’Optimum, l’idée d’une transposition au masculin de la presse féminine est attribuée aux spécialistes de la communication. Pour Emmanuel Rubin, son rédacteur en chef, si son magazine traite de la politique, dresse des portraits d’hommes d’Etat, de ministres, de chefs de partis... , c’est d’une part parce qu’un magazine généraliste peut se le permettre et d’autre part, que les magazines spécialisés sont en dehors du champ de l’actualité et ne peuvent donc pas traiter de politique. L’amalgame entre les deux presses féminines et masculines a donc été rapide et sans fondement : «c’est l’image que les analystes ont voulu donner et nous, on a toujours dit que ce n’était pas ça. Comment peut-on être politisés ? Quand on fait de la politique, on fait de la politique de mecs, on fait G. Bush Jr, mais quel est le combat de L’Optimum ? Il y a des combats qui nous intéressent, on en parlera comme un autre magazine mais eux ( les spécialisés), ils ne peuvent pas en parler par exemple, ils ont ordre de ne pas parler de politique» 484 . Il évoque aussi une différence fondamentale qui expliquerait, selon lui, l’absence de politique dans les nouveaux masculins et, en revanche, la politisation des magazines féminins. Tout reposerait sur le fait que les femmes aient encore des combats à mener et qu’elles sont militantes là où les hommes le sont moins et qu’ils n’ont pas de cause particulière à défendre : pour lui, l’homme a évolué sans en être pour autant insatisfait et malheureux. Il postule à une évolution naturelle des hommes, sans passage par des phases de combats politiques et sociaux à mener : «C’est normal que Elle soit politisé. Parce que la femme est encore militante, le mec ça fait longtemps qu’il ne l’est plus. La réalité des mecs aujourd’hui, c’est que très peu ont des soucis, l’homme a changé, il a évolué mais il le vit pas mal du tout. Franchement, changer les couches, ça n’a pas changé sa vie, il se sent pas plus arpette que ça et il est certainement encore macho, il reste homme et il progresse lentement, ça se fera lentement, mais lui ça se fera naturellement, il n’a pas besoin... Parce que nous on n’est pas porté par ces combats et on le sera jamais. C’est pour ça que cette presse, il ne faut pas espérer le calque de la presse féminine, c’est une erreur grossière, ça n’a rien à voir et on n’attirera jamais le succès d’un Elle. Il faut en parler, mais c’est exactement l’inverse, on nous calque dessus parce qu’il y a le rapport hommes-femmes sexué et il y a de la mode mais ce serait dommage de réduire Elle à ça et la comparaison s’arrête là» 485 . C’est au sein de la rédaction de FHM que les critiques envers la presse féminine sont les plus acerbes. Nous avons vu dans l’énumération des rubriques composant ce titre, que les allusions aux féminins ( à travers l’horror... scope, la revue de presse) sont légions. FHM est le premier magazine masculin à avoir transposé son magazine au féminin (FHM Madame) et ce avec un grand succès auprès des filles. Pour l’éditeur de ce titre, FHM propose une parodie de la presse féminine, dans laquelle il n’a pas d’équivalent (d’où l’idée de créer eux-mêmes cet équivalent une fois par an). Chez FHM, c’est la différence de ton, de contenus et de cible qui rendent incomparables les deux genres de presse. Pour J-P Lubot, la presse masculine est plus «soft» que la presse féminine : «on parle beaucoup moins de cul que les féminins, contrairement à ce que l’on pense car dans les féminins, on s’en donne à coeur joie et puis on n’a pas les mêmes approches parce qu’on s’adresse à des hommes et que la psychologie des hommes est fondamentalement différente de celle des femmes» 486 . Pour FHM, comme pour Maximal, c’est autour de la spécificité psychologique des deux sexes que se forme l’impossibilité d’assimiler les masculins aux féminins et inversement.

Si les rédactions de presse masculine justifient, par cette opposition à la presse féminine, l’autonomie de ce marché en terme de contenus, de ton, de style, de cible... , il demeure un point commun entre les titres masculins et féminins. Certaines rubriques sont bisexuées : la mode, la santé, la forme ( c’est notamment pourquoi le groupe Ediexcel possède un masculin et féminin de santé-forme : M Magazine et Vital) mais d’autres restent soit très féminines ( maquillage, la psychologie amoureuse... ) soit très masculines ( automobile, les technologies...). Chez Maximal, le seul moment où la rédaction se déclare proche des magazines féminins, c’est dans la réciprocité de la cible des articles : les masculins portent un regard sur les rapports hommes/femmes depuis les hommes, alors que les féminins portent, eux aussi, un regard sur ces mêmes rapports mais depuis les femmes. C’est sur ce regard androcentré pour les masculins et gynécentré pour les féminins que reposent la spécificité de la presse masculine et de la presse féminine.

Nous avons demandé aux différents rédacteurs en chef s’ils devaient tout de même rapprocher leur magazine d’un féminin, auquel le compareraient-ils ? Pour certains rédacteurs en chef, ceci reste impossible dans la mesure où les masculins n’étant pas des transposés des féminins, ils restent sans équivalent. Mais pour d’autres, même s’ils restent ni transposés ni transposables, ils citent, quand même, des féminins avec lesquels ils se sentent des points communs. C’est notamment le cas chez FHM, Men’s Health et M Magazine. Les deux premiers citent tous les deux le magazine féminin Cosmopolitan, mais pour des raisons différentes. Chez FHM, ce n’est pas au Cosmopolitan d’aujourd’hui auquel l’éditeur fait allusion mais à la version d’une quinzaine d’années qui proposait un ton humoristique duquel la rédaction de FHM se sent plus proche. Le positionnement de Men’s Health par rapport à la presse féminine passe là aussi par le mensuel Cosmopolitan, mais de façon plus étroite. Communiquant officiellement sur la question de la ressemblance entre les deux titres, le groupe Rodale, à travers une série de réponses à donner aux chercheurs, étudiants, journalistes... s’intéressant de près à Men’s Health, répond ainsi à l’affirmation «c’est un Cosmo au masculin»: «Men’s Health et Cosmopolitan ont beaucoup en commun. Ils ont tous les deux un succès incroyable. Men’s Health et Cosmo ont tous les deux assis leur formule sur les photos de la une. Comme Men’s Health, Cosmo utilise une seule image par mois avec de multiples titres renvoyant aux articles du mois. Dans une perspective en nombre de lecteurs, nous avons trouvé que les lecteurs de Men’s Health sont un peu plus âgés, et plus sophistiqués que ceux de Cosmo. L’approche de Cosmo est «attraper l’homme», alors que celle de Men’s Health est plus centrée sur les problèmes importants de la vie». C’est donc plus dans un ton, dans une présentation et dans les ventes que la rédaction de Men’s Health se sent proche de Cosmo et non dans la ligne rédactionnelle. Les masculins se démarquent donc principalement dans leurs contenus des magazines féminins.

En revanche, le rédacteur en chef de M Magazine espérait, pour son titre, un avenir semblable, dans les contenus, à celui de Elle. Ce magazine féminin qu’il décrit comme étant le journal idéal pouvant toucher à tout, est «le canard absolu vers lequel il faut tendre» 487 et se trouve quelques ressemblances avec des féminins : «le journal dont on se rapprocherait peut-être un petit peu, ce serait Marie-Claire, avec ce côté très pratique, concret, coller aux besoins quotidiens du lecteur, avec un maximal de conseils pratiques...» 488 . Pour Philippe Testard-Vaillant, les féminins, contrairement aux masculins, peuvent tout se permettre car ce sont des institutions achetées par les lectrices par réflexe et non par nouveauté alors que c’est plutôt dans ce créneau que se situent les masculins. Si Elle possède une formule à ses yeux idéale, il emploie une métaphore commerciale pour comparer son masculin aux féminins fortement implantés sur le marché : «Ils (les féminins) ont tellement tout fait, qu’aujourd’hui, ils peuvent balayer un champ gigantesque, tandis que nous, pour l’instant, on est cantonné à des secteurs très précis, à des thèmes très précis mais rien n’indique qu’un jour, on pourra enfin pas ouvrir le spectre, mais se mettre à parler des enfants battus, des inondations au Bangladesh, des hommes pris dans ces situations, de la décolonisation dans je ne sais quel pays... Pour l’instant non, on est construit sur un matripode qui est forme-comportement-santé et on n’y déroge pas. Mais, je regardais Marie-Claire, il y a des papiers de société, du people, du sport, de l’alimentation, il y a de tout... une espèce de grande surface et nous on est une droguerie qui ne demande qu’à exploser son petit concept pour l’enrichir» 489 . Nous verrons que ce «matripode» auquel le rédacteur en chef évoquait l’impossibilité de déroger, sera une des raisons de l’arrêt du titre.

Les magazines masculins évoquent donc les magazines féminins comme appartenant à un genre de presse avec lequel ils ne partagent que peu de choses ( quelques sujets) et ce, en opposition avec l’image donnée par les médias d’une transposition au masculin des féminins. S’ils louent la qualité, l’originalité et le succès des titres féminins, il n’en va pas de même des féminins envers les masculins. En effet, ces derniers ont accueilli avec réticence et critique, les nouveaux masculins. Dans des articles souvent véhéments, la presse féminine s’est attaquée aux contenus des masculins, en leur reprochant notamment un «copiage» de sa formule en une moindre qualité que l’original.

Notes
483.

Propos tenus par le premier rédacteur en chef de Maximal, lors de l’entretien du 4 décembre 2000

484.

Propos tenus par le rédacteur en chef du Magazine de L’Optimum, le 17 août 2000.

485.

Ibid.

486.

Propos tenus par l’éditeur de FHM lors de l’entretien du 6 avril 2000.

487.

Propos tenus par le rédacteur en chef de M Magazine, le 5 décembre 2000.

488.

Ibid.

489.

Ibid.