-La nouvelle presse masculine : une mauvaise copie de la presse féminine pour cette dernière.

Sans avoir constitué un corpus exhaustif de tous les articles sur les nouveaux masculins parus dans la presse féminine, nous en avons repéré quelques uns qui résument la vision des féminins sur cette nouvelle presse. Dans son numéro de Juin 1999, le magazine 20 Ans compare deux styles d’hommes : le «vrai mec» et le «macho-chotte» dans un article intitulé Kaï, Kaï, les macho-chottes attaquent 490 . Le journaliste y définit «le vrai homme» comme celui qui a des cheveux rares, la peau burinée, un costume-cravate-chemise-mocassins, une poitrine avec des poils, qui lit Le Parisien, qui ne fréquente que des hommes ( en dehors de sa femme), qui est un père de famille et dont la femme est intelligente, élégamment vêtue et une bonne de famille. C’est à une caricature de l’homme classique et macho que le magazine se livre. Le «macho-chotte» est, quant à lui, représenté comme un homme avec les cheveux teints coiffés au gel, une peau de bébé, qui fait des arts martiaux et de la musculation, qui est épilé, qui prend soin de sa barbe, vêtu d’un débardeur ( pour montrer les biceps) et portant une boucle d’oreilles et dont la femme est une fashion-victim. Pour 20 Ans, cet homme lit «Libé et un féminin pour hommes». Les magazines masculins sont donc présentés comme des féminins avant tout qui auraient été adaptés aux hommes. Pour 20 Ans, les nouveaux masculins sont des «nouveaux féminins pour hommes». Le magazine présente alors cette nouvelle presse : «A la poubelle le Chasseur Français, Auto-Moto et Penthouse ! Désormais, les garçons veulent qu’on leur parle de leurs petits problèmes : bouée autour de la taille, libido plus ou moins défaillante, cerveau plus ou moins ramolli. Bref, de leur «moi» intime et physique. Du coup, une flopée de nouveaux magazines « masculins» se pressent sur les présentoirs. «Perdez du bide!» commande Men’s Health à ses lecteurs au garde-à-vous. M Magazine enfonce le clou de l’égocentrisme avec son «je m’aime et je me fais du bien» que même Elle n’oserait pas faire. A suivre dans les prochains numéros « comment réussir son toucher rectal» et «Mon urètre, cet ancêtre» ? Pas de doute, les sorties annoncées de FHM en juin, et de Il à la rentrée, la tendance bio-beau-fette explose» 491 . Le magazine a recours aux guillemets autour de l’expression presse masculine afin d’enlever à celle-ci toute légitimité puisqu’elle ne lui reconnaît pas une véritable identité mais une identité usurpée à la presse féminine. L’article insiste sur la multiplicité des titres sortis et sur l’arrivée massive de nouveaux concurrents qui, selon lui, va entraîner une inflation des sujets graveleux... que la presse féminine n'oserait jamais se permettre. Cette même presse emploie envers les lecteurs des magazines masculins des arguments auxquels elle avait dû faire face à ses débuts. En effet, elle qualifie les lecteurs de «cerveau plus ou moins ramolli» et de «lecteurs au garde-à-vous». Les lecteurs sont alors représentés d’une part comme inintelligents et d’autre part comme incapables de toute critique et obéissants sans résistance aux conseils donnés. La presse féminine applique donc une analyse de lecteur passif, sans résistance qui pourrait être assimilé à des «éponges» 492 et dont Sylvette Giet 493 a montré comment la presse féminine et notamment Nous-Deux a subi les foudres des discours bien-pensants, longtemps encore après son apparition. D’une part, elle ne reconnaît pas l’existence d’un genre de presse autonome, mais d’une sous-presse féminine ( elle se présente donc comme la seule détentrice de la formule sur le bien-être personnel, les conseils psychologiques, tout ce qui a trait à la personne... ) et d’autre part, elle applique à cette presse les critiques assassines auxquelles elle dut faire face elle-même. En janvier 2000, le magazine Biba, dans sa rubrique Polémik 494 s’intéresse à la guerre des sexes et illustre ses propos par la nouvelle presse masculine. Là aussi, le terme masculin est entre guillemets même si l’expression «nouvelle presse masculine» est utilisée tout en étant désignée comme «des masculins plus ou moins calqués sur les féminins ( forme, beauté, mode, cuisine, psycho-ultralight- + problèmes «mécaniques» en tout genre» 495 . Cet article est illustré d’une couverture détournée de Biba en pastichant une couverture de magazine masculin baptisé Pipo et dont les sujets principaux auraient été : «testé pour vous : la liposuccion du bide» ou «comment présenter sa maîtresse à sa femme» 496 . Pour la journaliste de Biba, ces magazines annoncent l’arrivée du «néo-boeuf qui s’assume». Enfin, elle conclut son article par un «ouf!» de soulagement face aux propos d’un publicitaire sur le phénomène de la presse masculine vue plus comme un sujet de discussion entre hommes dans un vestiaire que véritable phénomène sociologique. C’est donc là encore la presse féminine qui est placée comme le modèle de la presse masculine et cette dernière comme le moyen d’abêtir l’homme en faisant ressortir de lui-même le plus mauvais.

En juillet 2000, dans la Revue des deux mondes, Michèle Fitoussi, éditorialiste au magazine Elle, propose dans un article intitulé Le mystère reste entier 497 , un bref historique de la presse féminine et masculine. Elle stipule que les hommes qui ont été pris de surprise par le féminisme aurait pu ne pas l’être s’ils avaient lu la presse féminine. Cette absence de lecture féminine par les hommes est, pour elle, due à la seule lecture «noble» des hommes : «Vaguement méprisants pour tous ces «trucs de bonnes femmes», ces messieurs lisaient sérieusement leurs journaux sérieux en attendant que le dîner soit prêt. Parce qu’ils ne s’étaient pas donnés la peine de s’informer, ne serait-ce que par le truchement desdits magazines, le féminisme les prit par surprise. Dommage pour eux : s’ils avaient daigné se pencher sur les lectures de leurs compagnes, ils auraient pu comprendre combien le vent tournait. Et combien eux aussi allaient devoir changer» 498 . Pour elle, si les hommes se sont longtemps moqués de la lecture féminine de leur mère, épouse, désormais ils la copient. La presse masculine est donc, pour elle aussi, une presse féminine aménagée, notamment dans ses pires travers : «Même s’ils (les masculins) louchent jusqu’à la caricature vers ce que les féminins peuvent avoir de plus contestable». Elle qualifie les deux marchés comme deux espaces quasiment en guerre : «les masculins et les féminins se comportent toujours comme deux camps adverses observant le rival du fond de sa tranchée. Chacun chez soi, chacun pour soi», et analyse le contenu des masculins. M. Fitoussi évoque la lecture de la presse masculine comme une lecture honteuse et cachée : «En lisant Elle ou Cosmo quand on est un homme, M Magazine ou FHM quand on est une femme ( soigneusement dissimulés sous un numéro spécial du Nouvel Obs sur la Russie)». Elle rejoint alors l’argument utilisé dans 20 Ans une année auparavant, et utilise aussi l’argument de l’homme non-intelligent : «leur presse révèle une curieuse espèce, à mi-chemin entre Superman et le midinet. Tout dans les muscles, rien dans la tête. Ou alors une cervelle grosse comme un petit pois. Bizarre : ce n’était pas ainsi qu’on imaginait les hommes. Ni qu’on les connaissait» 499 . Pour elle, les sujets y sont basiques, «ne dépassent pas les conversations de cour de récré», sont monotones, «s’égrènent comme une litanie qui serait fastidieuse si elle ne faisait pas sourire». Pour elle, seules les femmes s’intéressent à leur corps et elle semble découvrir que les hommes savent prendre soin d’eux : «on ne savait pas qu’ils passaient autant de temps à s’admirer, se bichonner, se chouchouter. On croyait ces préoccupations-là uniquement réservées aux femmes. Comme quoi on se trompait lourdement». Elle qualifie alors la presse masculine d’un pastiche raté de la presse féminine et d’une caricature des hommes : «on croyait les hommes bien moins fragiles et bien plus superficiels que ça. Bien plus malins aussi. Soit on avait tout faux, soit leur presse est truquée. Tronquée. Leur copie est à revoir tant ils n’ont copié des femmes que leurs plus mauvais côtés. Et croqué les hommes à traits un peu trop grossiers» 500 . C’est à une analyse partisane et manichéenne de la presse féminine par rapport à la presse masculine que se livre la journaliste du magazine féminin. Seule, à ses yeux, la presse féminine est porteuse d’informations, car elle renvoie l’image d’une femme complète, presque parfaite et qui n’envie pas la condition masculine.

Le regard de la presse féminine sur la presse masculine est loin d’être bienveillante, il est acerbe, critique 501 ... La presse masculine est représentée comme une pale copie des féminins, qui seraient caricaturés en ce qu ’ils possèdent de pire et ce, selon les féminins, au premier degré. La presse féminine se présente comme le genre de presse noble, détenteur des bonnes formules, ce qui lui permet de lancer des attaques aux masculins sur l’abêtissement des lecteurs, l’inintérêt et la redondance des sujets... et lui confère un pouvoir énorme de transformation des hommes...

Si la presse féminine est virulente envers les masculins ( alors que les rédactions de masculins respectent les féminins, dans les discours mais pas forcément dans les rubriques de critiques des sujets féminins), la presse homosexuelle s’est, elle aussi, lancée dans une critique des magazines masculins.

Notes
490.

20 Ans n° 153 de juin 1999.

491.

Ibid.

492.

Cette expression a été utlisée par Schudson dans Morley D., «La réception des travaux sur la réception», Hermès, n° 11-12, 1992, p. 41, dans lequel il rappelle, par comparaison aux thèses du lecteurs passif de l’Ecole de Francfort, que «les publics n’absorbent pas la culture comme des éponges». L’expression de «mollusques» a été, dans la même revue employée par Budd pour qualifier les lecteurs actifs et critiques qui «ne sont pas des mollusques culturels manipulés par les médias» ( p.39).

493.

GIET S, Nous-Deux. Parangon de la presse de coeur. Transformation des formes, métamorphoses de l’amour et évolution sociale. Thèse de doctorat en Sciences de l’information et de la communication, université Robert Schuman, Strasbourg III, 1997.

494.

Biba n° 239 de janvier 2000.

495.

Ibid.

496.

Ibid.

497.

FITOUSSI M., «Le mystère reste entier», La revue des deux mondes, n° 7/8, juillet-août 2000, pp. 74-80.

498.

FITOUSSI M., «Le mystère reste entier», ibid, p. 75.

499.

FITOUSSI M., «Le mystère reste entier», ibid, p. 77.

500.

FITOUSSI M., «Le mystère reste entier», ibid, p. 78.

501.

Certains magazines féminins ont adapté leur formule aux hommes en sortant un numéro pour eux : c’est le cas du magazine Jalouse n°8 de décembre 2000-janvier 2001, qui, en plus de proposer un homme nu en couverture, a adapté ses rubriques à l’homme : portraits d’hommes, mode pour hommes...