- Les événements politiques étrangers à la nouvelle presse masculine.

En dehors du corpus des éditoriaux publiés entre la naissance des magazines et décembre 2001, nous nous sommes intéressés aux éditoriaux des quatre magazines pour les mois de mai et juin 2002. En effet, nous voulions comparer les éditoriaux des magazines féminins et masculins paraissant à partir des résultats du premier tour de l’élection présidentielle et de la montée de l’extrême-droite. Or, ce travail ne peut avoir lieu, faute d’éditoriaux évoquant ce sujet dans les nouveaux magazines masculins. L’éditorial de Elle sorti en kiosque au lendemain du premier tour n’évoque pas les résultats (le bouclage ayant eu lieu en fin de semaine précédente) mais s’intéresse, en dressant un parallèle entre le comportement des humains et celui des primates, sur la facilité qu’ont les hommes politiques à se réconcilier au moment des élections : “ pour les primates, deux obligations s’imposent. D’abord, se regarder droit dans les yeux. Et ensuite, les grimaces. Mais là, nos hommes politiques n’ont plus rien à apprendre des grands singes 551 Tandis que le magazine Elle a rappelé l’importance de conserver les libertés, de continuer à les préserver dans la semaine suivant le second tour et a enchaîné la semaine du 20 mai 2002 sur “ le blues post-électoral  552 , les magazines masculins ont passé sous silence cet événement majeur de l’histoire de la vie politique française. Les éditoriaux 553 des magazines masculins parus après le 21 avril n’ont pas dérogé à leurs thèmes habituels : ainsi Men’s Health de juin 2002 consacre une fois encore son éditorial à son succès et à son positionnement sur le marché, tandis que Le Magazine de l’Optimum y évoque la coupe du monde 2002, mais cette absence de traitement, en ce numéro de juin est un choix afin d’éviter une redondance 554 . En effet, ce dernier magazine présente une particularité par rapport au second tour des élections.

Avant le premier tour des élections présidentielles, Le Magazine de L’Optimum a publié dans son numéro de mars 2002 un entretien avec Jean-Marie Le Pen tenu dans une fumerie égyptienne. Or, cette interview du leader du Front National a suscité de nombreuses critiques envers le magazine, et ce bien avant sa sortie en kiosque. Interrogeant le rédacteur en chef sur cette interview et les critiques, il nous expliqua les “ fuites ” dans les médias bien avant que le magazine ne soit rendu public et l’acharnement de certains à dénoncer une telle interview dans ce magazine. Or, pour Le Magazine de L’Optimum, s’intéresser aux hommes politiques est une de ses vocations et le rédacteur en chef explique qu’il fut un des seuls magazines à donner la parole à J-M Le Pen, comme il l’avait donnée auparavant à J. Glavany, E. Balladur, N. Mamère... avant le premier tour. Reprise une cinquantaine de fois, au travers des médias français comme étrangers, elle a, pour le rédacteur en chef, contribué à une meilleure notoriété du magazine. En revanche, ces attaques envers le magazine, accusé de contribuer à donner de J-M Le Pen une image plus avantageuse, ont incité le rédacteur en chef à consacrer la totalité de l’éditorial de ce numéro à la justification de ce choix et à revenir sur l’identité même du magazine et son éthique.

Ainsi dans une page sur laquelle a été reproduite la une du Monde du dimanche 3 et lundi 4 février 2002 avec pour titre “ Comment Jean-Marie Le Pen veut devenir respectable , Emmanuel Rubin intitule “ présentez vos papiers !  le texte de son éditorial. Il y reprend les attaques lancées par Le Monde, Le Canard enchaîné et répond à celles-ci : “ D’ici à penser que le leader du FN se referait une légitimité sur le dos de la presse en général et de L’Optimum en particulier, il n’y a qu’un pas que nos confrères émérites se sont amusés à franchir avant même que les fameuses photos ne soient publiées. Avant même surtout la lecture de l’interview qui les accompagne. Et pour cause, celle-ci ne parait que ce mois-ci dans nos pages. Comme dirait l’autre, à truqueur, truqueur et demi ” 555 . Le rédacteur revient alors sur le passé politique du magazine, pour lequel il a été régulièrement cité en bien dans les revues de presse notamment :“ Ceci étant dit, à savoir si Le Pen est un manipulateur et si l’Optimum a été manipulé... A la première interrogation, chacun restera libre de sa réponse. A la seconde, permettez simplement cette précision : depuis six ans, notre magazine n’a pas attendu Jean-Marie Le Pen pour faire du journalisme politique. Pas plus qu’il n’a refusé d’inviter Noël Mamère dans une palombière, Edouard Balladur au Stade de France, Alain Krivine à la Bourse de Paris ou Arnaud Montebourg dans un casino. Juste de drôles d’endroits pour des rencontres fouillées et appliquées  556 . Ce sont donc les arguments de l’ancienneté sur le créneau de la politique et du savoir-faire du journalisme politique qui sont mis en avant par le rédacteur en chef comme moyen de légitimer cette interview, laquelle s’insère dans la ligne rédactionnelle originelle du magazine et n’y intervient pas comme un effet de rupture. En conclusion de cet éditorial, il insiste sur l’éthique du magazine à partir de laquelle sont produits les numéros : “ Pour le reste, l’Optimum ne présentera jamais ses papiers. Ni devant Le Pen, ni devant quiconque. Les seuls papiers que notre rédaction accepte de sortir sont ceux qui arrivent à l’heure, avec un style, une information et une envie. Carte d’identité, carte d’électeur, carte de séjour... Peu nous importe. A l’instant de faire notre métier de journaliste, la seule qui vaille à nos yeux reste la carte de presse. Et encore...  557 . La rédaction de L’Optimum légitime ce choix de l’entretien avec Le Pen par la liberté qui est la sienne de choisir en toute indépendance ses sujets et en l’occurrence celui-ci dans la mesure où il s’inscrit dans la continuité de ce que le magazine a coutume de produire en matière de politique.

Cet éditorial reste une exception dans la vie du magazine 558  ; même si le magazine a inclus dans certains de ses éditoriaux, le passage à l’Euro... , la politique n’y a fait que deux fois véritablement son entrée : l’éditorial que nous avons abordé et celui du numéro 35 de juin-juillet 2000. Ce numéro consacré entièrement au thème du voyage donne l’occasion au rédacteur en chef de rebondir dans l’éditorial sur l’enlèvement du reporter-photographe Brice Fleutiaux et de participer à la campagne de libération lancée par les médias et par les associations de soutien. Pour Emmanuel Rubin, cet éditorial sur le thème du voyage était le prétexte pour dire aux lecteurs “ vous partez en vacances et vous avez la chance de rentrer, mais tout le monde n’a pas cette chance-là . C’est ainsi que le thème général du voyage est devenu la base d’écriture pour un engagement plus personnel de la rédaction au nom de la liberté de la presse et de la liberté individuelle : “ A l’heure où nous imprimons, il n’est toujours pas revenu. Cette page donc pour sa libération. Cette page pour qu’on puisse rapidement lever le fameux rideau... Brice Fleutiaux, à force de dire son nom, il finira bien par rentrer  559 .

Les éditoriaux du Magazine de l’Optimum sont rarement politisés ; quand ils le sont, ce sont des engagements politiques forts et relatifs à la liberté de mouvement et de décision, tandis que les nouveaux masculins généralistes comme FHM ne s’intéressent pas à la politique en tant que telle mais seulement pour la détourner. En revanche, les magazines spécialisés dans le pôle santé-forme relatent dans leurs éditoriaux la condition masculine, y dénoncent la place des hommes dans la société et le rôle à jouer par les hommes politiques et les institutions dans l’amélioration de la vie de la gent masculine.

Notes
551.

Editorial n2935 de Elle du 22 avril 2002.

552.

Titre de l’éditorial n2942 du magazine Elle du 20 mai 2002.

553.

FHM a abordé laconiquement ce sujet afin de lancer un article sur “  comment lancer votre parti perso ” avec pour explication : “ ce n’est pas parce que la politique est redevenue un sujet grave qu’on n’a pas le droit d’innover un peu. Vous n’avez pas voté au premier tour ? Vous avez dû voter Chirac au second ? Vous vous êtes senti obligé de défiler entre les deux ? Vous êtes mûr. Rongé par le remords et la culpabilité, mais séduit par la mode des petits partis, vous souhaitez vous engager. Où exactement? C’est là que FHM intervient. Nous avons défriché le terrain  dans l’éditorial 35 de juin 2002. Mais les partis présentés sont : “ les libéraux marxistes ”, “ les abstentionnistes civiques ”, “ les féministes au foyer ” et les “ écolos pour le nucléaire ”. C’est donc sur le ton humoristique et du détournement de l’actualité que FHM s’est servi de l’actualité politique dans son contenu, mais nullement dans son éditorial, lequel est consacré entièrement au palmarès des filles les plus sexy de l’année élues par les lecteurs du magazine.

554.

Demandant au rédacteur en chef au cours du mois de mai 2002 s’il comptait rebondir sur les résultats de la présidentielle dans le prochain numéro, il évoqua le fait que d’avoir traité du leader de l’extrême-droite française avant les premiers résultats était en soi suffisant car il leur apparaissait alors comme un des hommes dont le rôle pourrait être important dans cette élection où les autres médias ne semblaient pas l’attendre. Pour Emmanuel Rubin, c’était avant les résultats qu’il fallait s’entretenir du programme de ce parti et non une fois les résultats effectifs. C’est pour cette raison et afin de ne pas rajouter un éditorial supplémentaire ( d’autant plus que le numéro suivant ne devait sortir que fin mai donc bien après les résultats et plus en accord avec la coupe du monde de football) au nombre déjà publié dans les autres magazines.

555.

Editorial du n 49 du Magazine de L’Optimum de mars 2002.

556.

Ibid.

557.

Ibid.

558.

En effet, pendant le stage effectué dans la rédaction, le rédacteur en chef nous confiait que ses éditoriaux doivent être, pour lui, des éditoriaux de mode, de luxe et non des éditoriaux politiques car le but d’un magazine de luxe n’est pas de donner son avis, de râler contre quelque chose.

559.

Editorial du n 25 du Magazine de l’Optimum de juin-juillet 2000.