b) La presse féminine qui, pour les masculins, manipule les femmes.

Dans le contenu du magazine FHM, la presse féminine est utilisée comme un matériau : elle sert pour la revue de presse, pour l’horror... scope dont le but était de dresser un horoscope pour les hommes en fonction de ce que les féminins prédisaient à leurs épouses, compagnes... Cet horoscope, qui a disparu désormais, décryptait “ les horoscopes des magazines féminins : vous comprendrez mieux ce qui vous arrive  636 . La revue de presse quant à elle, a pour objet de“ pour savoir ce que les femmes ont dans la tête, rien de tel que de regarder ce qu’elles ont entre les mains : leurs magazines . Les magazines féminins français comme étrangers sont ainsi passés au crible et les articles les plus originaux font l’objet d’une brève. FHM a plus recours aux magazines féminins dans son contenu que dans ses éditoriaux, seuls deux d’entre eux contiennent des critiques envers cette lecture féminine.

Dans le huitième éditorial de mars 2000, le rédacteur en chef revient sur des découvertes “ totalement insensées  dans les féminins. Pour lui, ces magazines en évoquant le rapport des femmes à la sexualité montrent “ un phénomène en contradiction totale avec la réalité du terrain  car “ les femmes, à en croire leurs magazines, sont assoiffées d’expériences originales, extrêmes et immorales ” 637 et amène le rédacteur en chef à s’interroger sur les raisons de ce décalage entre ce qu’elles confient à leurs magazines et ce qu’elles demandent aux hommes. Pour lui, les féminins sont donc loin de la réalité des rapports entre les sexes. C’est notamment pour combler cet écart et l’absence de traitement de certains sujets que le magazine explique la création du magazine FHM Madame 638 dans lequel le rédacteur en chef, transformé en rédactrice en chef explique le pourquoi de cette création : “ parce que personne ne nous explique jamais vraiment ce genre de choses. Parce que curieusement, la presse féminine est silencieuse sur ces sujets qui, pourtant, nous taraudent toutes, FHM a décidé de combler un grand vide. Et de nous parler, enfin, le langage de la vérité. Celui de la vie de tous les jours. Celui des copines  639 . C’est donc encore pour combler un manque laissé par la presse féminine que la presse masculine déclare prendre le relais.

Si M Magazine n’a pas fait de la presse féminine la cible privilégiée de ses attaques, il l’a qualifie tout de même d’objet honteux, d’objet populaire pour les hommes. Ainsi, dès le premier éditorial, le rédacteur en chef de M Magazine qualifie les féminins de  “ magazines que vous lisiez en douce chez le coiffeur  640 et présente la presse masculine comme un contre-don fait aux femmes après avoir lu leurs magazines :“ les femmes, j’en suis sûr, auront du plaisir à venir s’y perdre. Après leur avoir emprunté leurs magazines pendant des lustres, on leur devait bien ça  641 . Il s’attaque en septembre 1999 à l’image que les féminins dressent de la représentation des hommes à travers les masculins. Le rédacteur en chef de M Magazine en présentant, dans l’éditorial, le mannequin de la couverture précise que “ contrairement aux apparences, il n’a rien d’un OGM, cette nouvelle espèce d’homme décrite par certains magazines féminins et dont nous serions les porte-drapeaux  642 . Peut-être est-il fait allusion ici à l’article de 20 Ans que nous avons abordé et qui évoque les hommes de la presse masculine comme étant abêtis, avec le  “ cerveau ramolli ” ? M Magazine justifie la plastique du mannequin par l’hygiène de vie, la musculation et les cosmétiques et le proclame ainsi comme un “ condensé de M Magazine  643 .

Ce sont en fait les éditoriaux de Men’s Health qui sont les plus accrocheurs avec la presse féminine. Ils attaquent d’entrée sa représentation des hommes et tentent de rétablir ce qu’est un homme : “ car, au fond qu’est-ce qu’un homme ? Il est tout d’abord un homme, ce qui représente déjà en soi une énorme différence, et de plus fatigué d’être systématiquement trimbalé par la presse féminine ou estampillé presque beauf par ceux qui se disent les mieux placés pour parler de lui  644 . S’insurgeant contre les discours féminins d’étonnement face à l’intérêt des hommes pour la presse masculine, le rédacteur en chef accuse alors les femmes de mauvaise foi et émet un doute sur le bien-fondé des conseils des magazines féminins :“ voilà donc le sexe féminin pris en flagrant délit de mauvaise foi, ne comprenant pas que nous cherchions nous aussi, à prendre soin de nous. Au fond, nous n’avons jamais fait procès à la presse féminine de vous inciter à perdre 5 Kgs par an et ce, depuis 40 ans. Au fait, où en êtes-vous ?Car si ce fut parfois pour notre plus grand plaisir, nous avons eu aussi à déplorer que cette guerre des kilos ne vous laisse seules face à la culpabilité, la déprime, la dictature, la toute-puissance de la mode. Sans parler de nos malheureux destins au sein de vos magazines préférés. Un jour, il fallait nous larguer, un autre nous séduire, ou encore simuler pour mieux nous en faire baver  645 . Il insiste sur les effets des magazines féminins sur les femmes, effets fluctuants et attribue aux magazines féminins le pouvoir d’influencer les femmes sur la gestion de leur vie privée et ainsi d’être la cause des démêlés des hommes avec les femmes. Pour lui, la presse masculine trouve donc, dans son renouveau et son succès, une revanche sur les féminins :“ il est donc apparu comme légitime que nous puissions à notre tour penser d’abord à nous et prendre, sur quarante ans de littérature féminine ou féministe, le début d’une petite revanche  646 . Enfin, Men’s Health distille tout au long de ses éditoriaux des critiques face à la manière dont il est présenté mais aussi les membres de sa rédaction et ses lecteurs. Pour lui, “ Men’s Health est bien autre chose qu’un magazine de muscles ” 647 , il évoque une attaque en ces termes : “ alors, comme ça, Men’s Health ne serait qu’un magazine de maniaques de la muscu, de leveurs de fonte ; nos lecteurs des abrutis obnubilés par leurs abdos et nous, la rédaction, une équipe d’obsédés sexuels à deux doigts de la psychothérapie ? On voulait donc vous rassurer sur vous, sur nous et sur votre magazine qui, parce qu’il a pris le parti de s’intéresser aux hommes, subit parfois quelques attaques en règle. Peu importe, c’est la loi du genre  648 . Il rassure le lecteur sur le fait qu’il soit“ bien plus qu’une paire d’haltères. Et votre magazine autre chose qu’un excès de transpiration  649  ; il défend son lectorat des attaques le qualifiant “ d’obsédé  : “ A tous ceux qui nous prennent pour des obsédés, nous répondons que, décidément, à voir le nombre de nos lecteurs, nos sommes de plus en plus nombreux. désolé! ” 650 D’où viennent ces attaques auxquelles Men’s Health répond dans ces éditoriaux ? Aucun élément ne fournit d’indice. L’hypothèse de la presse féminine reste donc ouverte.

Les éditoriaux des magazines masculins retracent, à leur manière parfois, l’histoire du champ de la presse masculine : les positionnements rédactionnels, les positions sur le marché, les positionnements face aux concurrents, face aux champs et marchés de presse les plus proches (presse féminine et presse homosexuelle), les conflits... sont mis en scène par chacune des rédactions, à des degrés divers en fonction du rapport étroit ou plus lointain entretenu avec le lectorat. Mais les arguments pour justifier et légitimer la position d’un magazine sur le marché sont les mêmes d’un titre à un autre : le succès, les chiffres de diffusion (contestables parfois), l’antériorité sur le marché, l’innovation, l’opposition de contenu, de qualité, de savoir-faire entre les uns et les autres... ( chacun se déclare le dominant, l’innovant, le plus journalistique et scientifique) sont autant de moyens d’autogratulation utilisés pour affirmer la domination du titre sur le marché et en donner une image positive aux lecteurs, mais aussi aux publicitaires. Les éditoriaux sont donc des espaces de légitimation de ce que sont les magazines mais surtout de l’image que les rédactions veulent véhiculer, images qui ne sont que des reconstructions de la réalité de ce qu’est effectivement le marché de la presse masculine française.

Notes
636.

Il prévoyait aux taureaux pour le mois de novembre 2000 :  Vous aimez les grosses ? Les méchantes ? les jeunes ? Vous désirez être dominé par une maîtresse cruelle ? Alors évitez les lectrices de Marie France natives du Verseau, vous seriez déçu. Féminines et douces, elles aiment les Béliers protecteurs ”, FHMn16 de novembre 2000.

637.

Editorial n8 de FHM de mars 2000.

638.

Ce supplément a été créé en août 2001

639.

Editorial n25 de FHM Madame de août 2001.

640.

Editorial n1 de M Magazine d’avril 1998..

641.

Ibid.

642.

Editorial n18 de M Magazine de septembre 1999.

643.

Ibid.

644.

Editorial n1 de Men’s Health de mai-juin 1999.

645.

Editorial n4 deMen’s Health de novembre 1999

646.

Ibid.

647.

Ibid.

648.

Editorial n10 deMen’s Health de juin 2000.

649.

Ibid.

650.

Editorial n5 de Men’s Health de décembre 1999.