-Les bases de données internationales servant de réservoirs de sujets.

En déclinant les magazines dans diverses éditions à travers le monde, les groupes internationaux mettent en place des bases de données pour le titre, qui sont approvisionnées par chaque édition qui met sa production à la disposition des autres versions. Ainsi, la base de données est d’autant plus fournie que le nombre de versions à travers le monde est important. Ces bases de données proposent articles et photographies. C’est le cas pour les magazines Men’s Health et FHM qui peuvent puiser dans ce réservoir à articles et photographies mais qui y ont recours à des degrés divers : beaucoup pour le premier et en moindre mesure pour le second.

Questionnant le rédacteur en chef de FHM en janvier 2002 sur l’importance ou non des reprises de sujets parus dans les autres éditions de FHM, il nous expliqua que le taux de reprise à ce jour avoisinait 15-20 % du total du magazine et que ce taux était en augmentation par rapport à l’autoproduction française des premiers numéros : “ c’est pas énorme. La première année, c’était 0 %, on a tout fait, on a tout produit, soit on allait acheter des photos, des choses comme ça mais sans passer par l’international au moins sur les 6 premiers mois et là plus ça va, plus ça dépend des mois et des numéros, en ce moment on a peut-être 15-20 % au maximum  658 .

Qu’empruntent les rédactions françaises de ces deux magazines aux versions étrangères ? Ce sont principalement les gros dossiers et les couvertures : nous avons vu que sur les 29 couvertures de FHM France parues entre juillet 1999 et décembre 2001, seules 6 sont françaises. Ce sont les célébrités anglo-saxonnes qui apparaissent, en majorité, en une du magazine et ce, dans toutes les éditions de FHM confondues 659 . Il y a donc internationalisation des couvertures de FHM, mais pas de l’article qui lui est lié 660  ; au regard des éditions étrangères que nous avons pu feuilleter au sein de la rédaction 661 , la version française de FHM paraît plus “ soft ” dans certains domaines que les autres versions : elle compte moins de pages de charme notamment. En revanche, et en rapport avec le taux élevé des reprises de Men’s Health, les différentes versions de Men’s Healthà travers le monde présentent une structure commune ; en regardant les diverses collections présentes dans la salle de rédaction parisienne, on a très vite le sentiment de regarder sans cesse le même numéro, ceci étant accentué par le fait que les couvertures de Men’s Health sont des couvertures internationales. La rédaction a mis à notre disposition un dossier préparé par le groupe Rodale et offert lors d’un colloque aux membres du service publicitaire et qui regroupe pays par pays les couvertures des numéros. Ainsi, la couverture du numéro de mars 2000 de Men’s Health USA est apparu en couverture de 5 pays différents (Angleterre, Scandinavie, Australie, Finlande et Russie) à des dates différentes au cours de l’année 2000 et ceci est récurrent pour toutes les couvertures des différentes versions de Men’s Health qui, pour la plupart, ne subissent aucune transformation (nous avons noté que quand la couverture du numéro de septembre 2000 de Men’s Health Finlande est parue en décembre, sur la version australienne, elle avait été colorisée). Ce sont donc des couvertures internationales, souvent produites aux Etats-Unis (les couvertures de la version sud-africaine nous ont semblé avoir été produites sur place), qui sont distillées à travers le monde, dans les diverses salles de rédactions et utilisées à des mois divers de l’année. Ces couvertures n’étant pas retouchées, elles présentent pour certaines une inadéquation avec le pays dans lequel elles sont publiées et avec la saison à laquelle elles paraissent. Ainsi, quand l’homme en couverture des numéros russes de janvier et de septembre 1999 est en débardeur, il est difficile à croire qu’il peut être alors à Moscou et encore moins en train de faire du surf (couverture russe de mai 2000) dans ce pays qui n’est pas réputé pour la pratique de ce sport. De très rares couvertures s’adaptent au climat des pays : ainsi, le numéro de janvier-février 1999 des Pays-Bas offre en couverture un homme en pull. Mais l’ensemble des couvertures à travers le monde véhiculent avant tout une image de l’homme actif, heureux et peu vêtu, peu importe la saison de parution et le climat du pays dans lequel la version parait. C’est donc une prédominance des traits de la culture américaine qui est véhiculée à travers les couvertures de Men’s Health dans ses diverses éditions et qui engendre, chez certains lecteurs qui la dénoncent dans leurs lettres, une non-reconnaissance en ce modèle. On assiste ainsi à une mondialisation des couvertures de Men’s Health.

Les articles empruntés aux versions étrangères sont, outre les couvertures, principalement les gros dossiers que les rédactions traduisent, parfois de manière brute, sans adaptation à la culture locale : ainsi, pour présenter l’article de sexe sur les méthodes de drague de Casanova, le magazine Men’s Health n’hésite pas à présenter le dossier comme un travail journalistique effectué par la rédaction : “ pour comprendre le génie de cet homme, nous avons traversé l’Atlantique pour assister à un diner “ Casanova ” à l’Institut Sotheby’s des arts de New York  662 . Or, cet article est issu de la version américaine et a traversé l’Atlantique afin d’être traduit en France et publié. Aucune allusion à la France n’est faite dans le contenu, si ce n’est une référence en introduction à l’éditeur français des œuvres du séducteur. FHM fait la même chose en reprenant certains dossiers tels que la protection rapprochée aux Etats-Unis qui ne comporte aucune référence à la France, son auteur étant lui aussi américain. Les dossiers sont repris alors dans leur totalité, expliquant ainsi le taux élevé des photographies reproduites dans un numéro de Men’s Health.

Quel intérêt ont les rédactions à puiser dans la base de données internationales ? Pour le rédacteur en chef de FHM, les reprises de textes et photographies ont un fondement pécuniaire de division des coûts de production entre les diverses éditions acheteuses. En l’interrogeant sur une éventuelle influence des instances internationales du groupe Emap sur les choix rédactionnels de Emap France et de FHM France en particulier, il nous répondit : “ je suis globalement... Non je suis totalement indépendant ; simplement, mon but étant de faire le meilleur magazine possible et celui qui se vende le mieux... Mon intérêt est de jouer avec les différentes éditions. Alors il y a plusieurs intérêts : le premier, c’est pour les couvertures, parce qu’on se rend compte au fil des mois que les couvertures, c’est capital, ce qui signifie qu’un mois on vend 100 000 car la couverture est moins bonne et qu’un autre mois, on vend 200 000, il y a plein d’éléments mais c’est un truc vraiment important. Et le fait d’avoir 15 éditions, ça donne une vraie force de négociation avec les agents de telle ou telle star, ça permet d’avoir des séances de photos exclusives, de négocier des achats de photos pour FHM dans le monde entier... et avoir accès à des gens qu’on n’aurait pas autrement et après sur un problème beaucoup plus budgétaire de diminuer les coûts. On organise une séance photo avec Alissa Milano ou Pamela Anderson, quel que soit le nombre de magazines qui utilisent la photo, le coût de production va être le même, donc plus on est nombreux à se les partager, plus c’est intéressant. Ca, c’est sur l’aspect photo, après sur l’aspect texte, c’est un peu différent, c’est un peu comme une grande base de données dans laquelle j’ai la chance de pouvoir piocher tout ce que je veux et tous les articles dont j’ai envie. Quand il y a de bons sujets, au lieu de les racheter à une agence qui vend des articles clés en main, ou plutôt que de les commander à des pigistes qui travaillent pour des journaux à l’étranger, c’est vrai que sur certains documents, certaines enquêtes, il est intéressant de pouvoir reprendre des sujets qui ont été faits par les autres ” 663 . C’est donc une réduction des coûts que recherchent les rédactions en puisant dans ces «réservoirs» : quand FHM USA organise une séance de pose d’Anna Kournikova et vend celle-ci à 15 éditions, les coûts en sont d’autant divisés 664 .

Les titres internationaux puisent certes dans les bases de données internationales, mais de manières diverses oscillant entre une grande partie des pages pour Men’s Health et seulement quelques-unes unes pour FHM. Si le premier a recours à la reprise de textes, c’est parce que sa formule basée sur la santé-forme est universelle, et ne s’appuie ni sur l’actualité, ni sur la culture locale. C’est pourquoi Men’s health peut traiter en France du mal au dos, et proposer des exercices de gymnastique semblables à ceux proposés en Allemagne ou aux Etats-Unis. Toutes les éditions que nous avons pu consulter au sein de la rédaction présentent toujours les mêmes menus, plats ( les articles concernant la nutrition et la diététique s’intéressent à la cuisine chinoise, italienne, américaine (les hamburgers), mexicaine, à la viande rouge et aux fruits de mer) afin que chaque pays se retrouve à travers ses plats que l’on mange autant à Paris, Oslo, Mexico qu’à Moscou. Chaque pays trouve alors son intérêt au sein de ces versions présentant en un seul article la diversité culinaire, sans que la rédaction du pays ait à retoucher l’article ( à moins que cet article devienne thématisé sur la cuisine locale : par exemple «comment fabriquer un sandwich parisien»). En revanche, FHM, en choisissant de s’installer en France, a choisi de proposer une formule certes inspirée des versions anglo-saxonnes, dans le ton et l’identité, mais en produisant une partie importante du contenu sur le sol, en l’ancrant dans l’actualité et la culture.

C’est le degré d’ancrage de la formule dans l’actualité locale qui est à l’origine des taux élevés de production en France pour FHM et peu élevé pour Men’s Health. L’importation des deux titres en France s’est opérée autour de deux modes opposés d’implantation : une reprise quasi-identique de la formule internationale de Men’s Health qui possède une charte internationale à laquelle les diverses versions ne peuvent déroger 665 et une inspiration de la formule anglo-saxonne de FHM et de sa philosophie «sexy, funny, useful», mais en la déclinant selon l’actualité et la culture du pays d’implantation. Que conservent ces magazines alors de leur père anglo-saxon et quels moyens utilisent-ils pour ancrer les formules dans l’actualité et la culture locale ?

Notes
658.

Propos tenus par le rédacteur en chef de FHM lors de l’entretien du 18 janvier 2002.

659.

Cette présence des stars anglo-saxonnes est presque simultanée dans toutes les éditions : Jennifer Lopez a fait la couverture de tous les FHM parus en octobre ou novembre 2001

660.

Dans le numéro 28 de novembre 2001 de FHMFrance, l’article s’étend sur 11 pages alors qu’il en tient une vingtaine dans le numéro anglais d’octobre 2001. L’interview y est plus longue et illustrée de nombreuses photographies auxquelles le public français n’a pas eu accès. Cette reprise réduite en France de la version anglaise a été simultanément publiée dans l’édition australienne. Il semblerait donc que l’édition anglaise ( la version historique et la plus vendeuse) publie en exclusivité et en totalité les interviews de stars internationales et que les autres éditions ne le fassent qu’au mois suivant et de manière moins développée.

661.

Toutes les versions étrangères font état d’un classement par pays et sont disposées dans une bibliothèque à l’entrée de la salle de rédaction, de même que les collections françaises et étrangères des autres magazines masculins paraissant en France ainsi que ceux ne paraissant pas dans l’hexagone.

662.

Men’s Health n° 24 de novembre 2001, p. 52.

663.

Propos tenus par le rédacteur en chef de FHM lors de l’entretien du 18 janvier 2002.

664.

Nous verrons que quand L’Optimum ou M Magazine rémunère un mannequin, un studio photo et des assistants pour la couverture de leur magazine, les frais sont entiers. 

665.

La communication de Men’s Health se fait autour de la version internationale et en anglais.