- L’interactivité au centre de l’adaptation des titres étrangers.

Important des formules étrangères, les rédactions françaises ont conservé la structure originelle du magazine, en adaptant les noms des rubriques : quand l’édition française de FHMs’intéresse aux bons plans de la ville de Rennes, l’édition anglais s’intéresse à ceux de Stratford ; quand en France ce sont Lomig et Isa 666 qui répondent aux questions sexuelles, ce sont Chopper and Jenna qui s’y collent en Grande-Bretagne. Men’s health a procédé à l’identique : quand en France la rubrique s’appelle Pierre le Barman, elle devient Jimmy the bartender en Australie, Mario Il barman en Italie, Fermin el Barman en Espagne... Ces rubriques sont ensuite aménagées, elles ne sont pas présentes dans toutes les versions : ainsi FHM France consacre quatre pages à la rubrique Hospital alors que l’édition anglaise ne s’intéresse pas à ces questions. Si certaines rubriques sont créées par la rédaction française (c’est le cas de la Hotline, la principale rubrique interactive du magazine en France), le magazine français conserve l’influence structurelle du magazine anglais. Ainsi la plupart des nouvelles rubriques du FHM français sont issues du FHM anglais : l’étudiante du mois, les confessions... ont d’abord été testées outre-Manche puis importées en France.

Chez Men’s Health, c’est l’adaptation par le complément d’informations locales qui est utilisée pour donner aux articles un certain ancrage dans la culture française : chiffres, statistiques, références bibliographiques et experts français viennent illustrer des articles pourtant traduits. Quant aux éditions des pays nordiques, elles présentent des hommes blonds pour illustrer les textes qui eux, viennent pour la plupart des éditions anglo-saxonnes : ainsi les éditions suédoises et danoises misent sur des mannequins locaux comme outils de mise en contexte local de textes étrangers. Si les contenus sont récurrents d’une édition à une autre, les différents pays optent pour une structure qui tout en étant toujours la même diffère dans l’ordre des rubriques : quand les pages courrier des lecteurs sont les toutes premières pages en France, elles sont les dernières au Danemark et en Italie, mais en général la structure de toutes les éditions reste courrier des lecteurs-informations multiples sur la santé-dossiers sexe, psycho, forme et nutrition-mode-cuisine-pages de conseils divers. C’est l’absence d’ancrage dans l’actualité, dans la culture française et l’universalité des thèmes abordés qui permettent au magazine de prendre 60% du contenu du numéro étudié dans les versions étrangères et de ne retoucher que très peu les textes.

Si la structure de FHM est inspirée du FHM anglais, en revanche, la rédaction française produit en ses murs 80 % de ses pages en s’appuyant sur les personnalités françaises ( à travers les entretiens d’inconnus ou de stars pour la rubrique Brèves rencontres…), sur l’actualité culturelle ( à travers la rubrique Mégastore proposant une sélection de livres, de films, de DVD, de spectacles…). Le recours aux «peoples» français dans ses pages imposent à la rédaction de produire leurs photographies ou de les acheter en agence : ainsi, la rubrique Courrier des lecteurs est régulièrement illustrée de photographies de célébrités qui font l’objet des lettres ( des photographies de Jean-Edouard du Loft, de Sophie Davant jouant au tennis…), Le journal du Pire utilise de nombreuses photographies de ces personnalités, les photographies de films illustrent souvent la rubrique Hospital (un cliché de Alexandra Vandernoot et de Thierry Lhermitte dans Le Dîner de Con pour accompagner un texte sur le mal au dos… ). Les portraits de personnalités répondant à des interviews sont des autoproductions de la rédaction, alors que celles venant illustrer des articles plus généraux sont achetées ou issues de la base de données du groupe. FHM a recours aux photographies d’agences quand la rédaction ne peut elle-même les produire telles les illustrations des pages sport en proposant des clichés de pêcheurs, de karatéka, de surfeurs… en action 667 .

Outre l’actualité française comme moyen d’intégration des magazines dans le pays d’importation, les magazines utilisent l’interactivité, là aussi à des degrés divers, pour ancrer les contenus. Chez Men’s Health comme chez FHM, le courrier des lecteurs est le moyen de fidéliser le lectorat et de l’impliquer dans la construction des magazines, en publiant et en se servant des lettres comme source d’inspiration pour des sujets futurs. Les rédactions utilisent l’interaction avec leurs lecteurs pour ancrer les articles dans les habitudes et questionnements et rendre les articles plus vivants. Cette interactivité 668 plus importante chez FHM que chez Men’s Health, fournit aux rédactions un matériau croissant au fil des mois. Chez FHM, l’interactivité est la source d’une autoproduction importante de photographies dont la rubrique Hotline du magazine est la principale pourvoyeuse. Ayant pour objet la réalisation des vœux des lecteurs qui s’adressent à la rédaction, le magazine récupère soit des lots qu’il fait photographier dans un studio, soit des cadeaux plus importants (voyages, concerts, soirées…) qui font l’objet, pour la prise de vue, d’une mise en scène particulière ; les photographies sont alors prises sur le lieu même de la manifestation par un photographe envoyé par la rédaction. Chaque lettre sélectionnée fait donc l’objet d’une production photographique par la rédaction.

Outre cette principale rubrique interactive, les photographies de l’étudiante du mois étaient effectuées dans le studio du groupe Emap, les multiples objets testés pour la rubrique Action sont eux aussi envoyés chez le photographe, chaque mois la rubrique Sex questions qui met en scène le rédacteur en chef et une pigiste présente une photographie elle aussi prise en studio, la rubrique J’ai testé pour vous implique qu’un photographe se rende sur le lieu du test (à Sète quand le reporter teste «être marin-pêcheur»), certains dossiers nécessitent des mises en scène en studio (pour le dossier sur «la baston», les clichés correspondant à «comment se battre avec une mémé», «comment se battre avec un videur» et «comment se battre avec un enfant» ont été réalisés avec le même héros, dans un studio), les portraits des personnages de Brèves rencontres sont réalisés, soit dans le lieu illustrant la fonction de l’interviewé (un cimetière pour le guide des cimetières parisiens), soit sur le lieu de l’entretien, et dans ce cas l’interviewé représente un personnage 669 . Les séries de mode sont elles aussi réalisées à Paris, de même que celles de présentation des produits de beauté. En ce qui concerne la présentation des objets technologiques de la rubrique FHM Machines, elle est l’assemblage de mises en scène de ces appareils dans un décor proche de leur terrain d’application (les webcams sont présentées sur des ordinateurs, alors que les tronçonneuses le sont sur un fond de forêt).

Les magazines d’origine étrangère ont ainsi recours à deux modes d’importation opposés entre une adaptation minimale du titre à la culture française pour Men’s Health et une adaptation à cette culture qui passe par le recours aux personnalités françaises, à l’actualité du pays et en accordant une place importante aux lecteurs à travers ses pages. Par cette interactivité et l’ancrage dans la culture française, FHM produit le double de photographies que Men’s Health, tout en achetant en agence de nombreuses photographies 670 pour illustrer ses dossiers et brèves (ce qui lui vaut d’ailleurs d’être le magazine masculin qui achète le plus de photographies, parmi les magazines que nous avons visités). 33.2 % des photographies du magazine n°24 ont été achetées : ce sont, comme chez FHM, les clichés de films qui servent à illustrer les brèves du bulletin de santé, les photographies qui mettent en scène les questions des lecteurs (un lecteur se plaint de trop manger, l’illustration montre un homme en train de se goinfrer de sandwiches), les photographies de sportifs en action, de couples, de célébrités et toutes les illustrations de la rubrique Super Men’s , laquelle propose des conseils pour éviter les mauvaises situations qui sont illustrés par des extraits de films ou des portraits de personnages («comment battre mémé au Scrabble»estillustré par une photo de Tatie Danielle, «comment faire l’amour dans une baignoire» l’est par une jeune femme nue dans son bain et vue de dos avec pour légende «un bain dans les chutes du Rhin»).

Enfin, le taux de production des photographies de Men’s Health est le plus faible des magazines masculins étudiés. Seules 20 % des photographies sont produites à Paris ; elles présentent les produits de beauté, parfums, la mode…, les photographies des dossiers produits à Paris. En ce qui concerne les brèves écrites en France, elles sont quant à elles illustrées par des photographies achetées. Venant donc en majorité des versions étrangères offrant ainsi des dossiers «clé en main», ou des agences photographiques qui, offrent un choix élargi de clichés, les photographies permettent à la rédaction d’illustrer de façon décalée ses rubriques. Enfin, le recours à la production ne se fait qu’en association avec la production française des textes et afin de présenter des objets nouveaux, recettes et pages de mode qui elles, sont entièrement réalisées à Paris. Men’s Health produit ou achète sur le sol français autant de photographies (53.5 % du total) qu’elle reproduit de textes des versions étrangères (53.65% du total du magazine). Paradoxalement à FHM qui reproduit sensiblement autant de photographies que de textes, Men’s Health en reproduit moins que de texte. Il semblerait que ce soit lié à la pagination du magazine qui reprend des dossiers étrangers comportant plus de texte que d’illustrations, les textes y sont denses et ne comportent qu’une ou deux grandes photographies pour seules images, alors que le magazine français illustre chacune de ses brèves crées en France par des illustrations qu’il achète en agence ou qu’il produit. La rédaction française apporte dans son numéro de multiples informations pratiques qui nécessitent des illustrations (nouveaux appareils, nouveaux médicaments).

L’influence de leurs pères anglo-saxons dans les contenus reste donc manifeste, notamment dans leur structure, et dans les couvertures. S’ils empruntent des textes aux autres versions de leur titre, les magazines français fournissent-ils les confrères étrangers en articles, photographies ? Cette option est très rare : si les célébrités anglo-saxonnes de renommée internationale permettent à FHM Angleterre ou USA de vendre les entretiens aux autres pays, il est rare que FHM France puisse vendre les entretiens des vedettes françaises aux autres pays, faute de reconnaissance de ces dernières à l’étranger. Les productions locales ne sont guère vendues aux autres éditions car elles possèdent des références et des personnalités qui ne sont pas exportables. En Angleterre et aux Etats-Unis, rares sont les starlettes françaises à être connues. Rarement une production française fait l’objet de la couverture, sauf en cas de personnalités françaises, ce qui dans l’histoire de FHM France ne représente que quelques couvertures, quand toutes les couvertures de Men’s Health France sont produites à l’étranger. Le premier contact avec FHM France comme avec Men’s Health France se fait donc via les photographies des versions étrangères et les clichés de stars internationales (pour FHM) qui, possédant une renommée plus forte que les stars nationales, attirent un lectorat élargi. Ce n’est que dans ses pages intérieures que le magazine FHM porte les marques de sa production française quand Men’s Health en porte peu.

Le groupe Rodale comme le groupe Emap ont donc parfaitement réussi l’internationalisation de Men’s Health et de FHM qui passe selon l’analyse de Michael Schroeder par l’internationalisation de la philosophie et du concept formel (mise en page, le ton, la titraille, le chemin de fer...) de ces deux titres. Ils sont facilement reconnaissables dans un pays étranger car ils possèdent des codes de reconnaissance (logo, couleur des titres, unes identifiables) immédiate et une philosophie (une raison d’être, une ligne de contenu) qui reste la même dans chaque pays traversé : des conseils pratiques et courts pour Men’s Health et des informations décalées pour FHM. Pour M. Schroeder, il existerait 3 critères facilitant l’internationalisation d’un titre : tout d’abord, “ l’internationalisation a l’air de fonctionner si le titre traite de sujets concrets (voiture, cuisine, mode, jardinage), donc visualisables  671 . Ce sont ces thèmes alliés à ceux de la santé et de forme qui constituent Men’s Health, quant à FHM, les jolies filles en sont le sujet principal. Ensuite, “ l’internationalisation peut réussir dès qu’un titre touche aux “ nouvelles valeurs ” communes à toutes nos sociétés modernes et industrialisées. Par ces nouvelles valeurs, nous comprenons, par exemple, l’individualisme, la réussite, l’accomplissement personnel, l’argent  672 . Men’s Health et FHM représentent les nouvelles formes d’accès au plaisir des hommes : la beauté, la forme, la santé au masculin pour la premier ; la détente et le divertissement pour le second, les deux dans une recherche d’hédonisme par les hommes. Enfin, “ il parait qu’il existe certains besoins de base quasi universels que certains types de magazines tentent de satisfaire ; par exemple, un besoin d’informations spectaculaires, ou de curiosité ou l’intérêt porté aux problèmes de relations interpersonnelles. Nous pensons d’abord à la presse à sensation et à la presse populaire (Maxi, Femme actuelle)  673 . La nouvelle presse masculine s’intéresse non pas aux informations spectaculaires (même si FHM en utilise pour conforter son caractère décalé) mais elle a pour objet notamment de donner aux hommes des conseils afin de gérer les rapports hommes-femmes. Les magazines masculins internationalisés remplissent ainsi les conditions maximales de réussite de l’internationalisation de la presse et ce, avec le succès que nous avons évoqué dans la première partie de cette thèse. Or, si comme l’écrivait M. Schroeder en 1992, la presse magazine suivait le slogan du marketing international “ think global, act local  674 , les magazines masculins étrangers présents sur le marché de la nouvelle presse masculine française et particulièrement Men’s Health, restent très fidèles à leur origine anglo-saxonne et ne s’adaptent que très peu à la culture française ; en proposant des dossiers sur “ comment perdre 10 kgs en un mois qui peuvent être lu et compris de la même manière, en présentant les mêmes exercices, par un français, un américain, un suédois ou un mexicain, le magazine spécialisé présente peu d’ancrage dans la culture française. Les diverses rédactions étant avant tout des entreprises de presse, elles répondent donc à des impératifs économiques de bénéfice et du moindre coût de production : c’est pourquoi les couvertures sont standardisées et internationalisées 675 sans adaptation avec les habitudes climatiques des pays et que les dossiers principaux proposent des thèmes universels pour les magazines spécialisés. Quant à celles de FHM, le passage par des couvertures de starlettes anglo-saxonnes engendrant de forts tirages permet ensuite de consacrer la une à des vedettes françaises dont la rédaction connaît la probabilité de régénérer des ventes moins importantes. C’est donc par cette association de vedettes étrangères à des célébrités françaises et des informations glanées au travers des lectures françaises comme étrangères, associées à des dossiers dont les exemples peuvent être français comme vénézuéliens qui offre à FHM cette formule française tout en restant pour une part non négligeable sous influence anglo-saxonne de la Lad Culture.

Si le taux de reprise des textes dans les versions étrangères est moindre chez FHM que chez Men’s Health, cela tient donc aux genres de ces magazines. FHM est un généraliste qui utilise l’actualité pour choisir ces sujets qui sont déclinables à l’envie. En revanche, le statut de magazine spécialisé de Men’s Health lui octroie une marge de manœuvre restreinte en matière de choix de sujets sur des thématiques limitées et récurremment abordées. C'est donc aussi pour cette raison que ce sont les mêmes articles qui circulent dans les différents pays, à travers les diverses éditions afin de transmettre une philosophie identique du bien-être masculin ( qui est une philosophie anglo-saxonne du rapport au corps) à travers le monde.

La possibilité de recourir à des textes et photographies produits par des versions étrangères leur permet de conserver une identité originelle qui reste liée à la culture anglo-saxonne et qui, nous le verrons constitue le problème principal que rencontrent certains titres, non adaptés à la culture locale.

FHM Men's Health
formule starlettes
étrangères et françaises
formule ancrée dans l'actualité locale
thèmes universels sur la santé et la forme
non ancrés dans la culture locale et dans
l'actualité
mode de
Production
importance de la culture locale
autoproduction de textes et photos
interactivité avec les lecteurs
peu d'importance de la culture locale
quelques ajouts, peu d'autoproduction
de textes et photos
interactivité plus faible

L’impossibilité, pour M Magazine et Le Magazine de l’Optimum, de recourir à d’autres textes que ceux produits pour le titre français puisqu’ils ne possèdent pas de déclinaison, justifie leurs taux importants d’autoproduction textuels comme photographiques. Comment ces deux magazines masculins construisent-ils leurs contenus, sans apport extérieur ?

Notes
666.

Lomig est le véritable prénom, d’origine bretonne du rédacteur en chef et Isa, le diminutif d’Isabelle, une des pigistes de la rédaction.

667.

En revanche, quand ces derniers produisent des photographies de surfeurs comme dans le numéro étudié de novembre 2001, ces sportifs ne pratiquent pas leur sport mais posent.

668.

Cette interaction fera l’objet, à travers les lettres qu’elle engendre dans le cadre de la rubrique Hotline, dite «la lune» et la rubrique Sex Questions, d’une analyse dans la troisième partie de cette thèse.

669.

Ainsi, pour interviewer Franck Leboeuf, le journaliste et le photographe sont partis de Paris, en emmenant à Marseille les accessoires et vêtements nécessaires pour transformer le footballeur en personnage de film.

670.

C’est entre autre son inclinaison à illustrer bon nombre d’articles par des extraits de films, par des clichés représentant des stars ou des événements de l’actualité qui lui impose le passage par les agences de photographies.

671.

SCHROEDER M., «L’internationalisation de la presse magazine. L’obstacle de la culture», Médiaspouvoirs,n° 27, juillet 1992, p. 7.

672.

SCHROEDER M., «L’internationalisation de la presse magazine. L’obstacle de la culture», ibid., p. 8.

673.

SCHROEDER M., «L’internationalisation de la presse magazine. L’obstacle de la culture», ibid., p. 8.

674.

SCHROEDER M., «L’internationalisation de la presse magazine. L’obstacle de la culture», ibid. , p. 12

675.

Ces couvertures identiques dans chaque pays participent sont des moyens de reconnaissance du titre à travers le monde.