- Le Magazine de L’Optimum et la culture de la polyvalence.

Nous avons montré que les groupes Emap et Rodale sont des groupes internationaux aux revenus importants, alors que Ediexcel et les Editions Jalou sont moins développés. Outre le choix de produire la totalité de leur magazine, les rédactions le font avec des moyens financiers plus restreints (autant en budget qu’en moyens techniques de fonctionnement) que les rédactions qui ne produisent pas la totalité de leurs numéros.

Appartenir à un petit groupe de presse impose aux membres de la rédaction de L’Optimum de s’adapter à des moyens économiques faibles et de multiplier les tâches, ce qui rend aussi le travail intéressant, différent chaque jour, tout en étant une charge de tous les jours (week-ends compris certaines semaines). La gestion du quotidien y est collégiale 712 , chacun participe aux prises de décision, même si le rédacteur en chef a le mot de la fin. Chez L’Optimum, la hiérarchie des statuts n’est que formelle, car dans la pratique, les tâches, en dehors de celles plus techniques comme la maquette, sont effectuées par tous les membres de la rédaction qui, faute de personnel suffisant pour en instaurer une répartition précise et personnelle, doivent “ mettre la main à la pâte ” dans des domaines précis du magazine pour lesquels ils ne sont pas destinés ( nous avons vu, à plusieurs reprises, la secrétaire de rédaction recevoir des photographes et choisir des photographies pour illustrer des reportages). Ainsi, le rôle de la secrétaire de rédaction de L’Optimum est beaucoup plus étendu que celui de ses consoeurs dans les autres rédactions, elle fait office de secrétaire, de gestionnaire, de coordinatrice de certains sujets... quand les autres secrétaires de rédaction restent dans leur rôle de correctrices et de mise en forme.

C’est donc la polyvalence des rôles (mais pas des statuts) qui règne au sein de la rédaction du Magazine de l’Optimum qui, face à un budget serré en matière de personnel, impose aux membres de la rédaction de s’occuper autant des tâches dévolues à leur fonction que de participer à celles qu’ils n’auraient pas à effectuer dans des rédactions plus importantes en nombre de personnel. Le Magazine de l’Optimum est donc le résultat d’un travail collectif, chapeauté par le rédacteur en chef, même si les réunions auxquelles nous avons participé se veulent collégiales (tous les membres permanents de la rédaction sont présents), chacun exposant ses souhaits et sa vision des sujets.

Entre division du travail, segmentation et spécialisation des domaines, les magazines d’origine étrangère ont construit des rédactions importantes dans lesquels ne sont pourtant pas produits les magazines dans leur ensemble quand les magazines français doivent avec des budgets beaucoup moins importants, produire (mais c’est surtout un choix lié à une philosophie de travail, à une recherche de différenciation et d’identité) des magazines entièrement avec bien moins de personnel. Les deux facteurs de différenciation des organigrammes des rédactions de magazines masculins sont donc le budget possédé par la rédaction, en liaison avec l’appartenance à un petit groupe de presse ou à un groupe important d’une part et d’autre part le mode de production qui, quant à lui, est lié à l’origine du groupe auquel le magazine appartient et plus encore au fait que le magazine soit une création originale ( M Magazine et Le Magazine de l’Optimum), une adaptation presque totale des versions étrangères (Men’s Health) ou au contraire une production française qui a recours pour une partie plus infime aux versions étrangères (FHM). Les rédactions les plus productrices n’étant pas les plus étoffées, ni les plus riches, et ceci leur impose des choix. Ainsi, c’est afin de continuer à autoproduire le magazine dans cet état d’esprit que la rédaction du Magazine de l’Optimum désire sortir seulement 8 numéros par an, quand FHM et M Magazine en sortent 12 et Men’s Health 10. Cette périodicité permet au magazine d’être qualifié de mensuel et de pouvoir continuer à produire entièrement le magazine avec les moyens restreints dont il dispose, ce qui serait remis en cause si le magazine devait sortir des numéros plus fréquemment tout en conservant ses méthodes de travail. Le choix de 8 numéros par an est un choix originel du magazine qui, au moment de sa naissance, était seul sur le marché de la mode masculine. Le magazine s’est donc développé avec 8 numéros annuels qui pourraient passer à 9 ou 10 dans les années à venir. C’est du moins ce qu’entendait le rédacteur en chef en août 2000 : «on a décidé à sortir 8 numéros par an parce qu’on était les seuls et que c’était un pari au départ, on s’est dit « on va voir» ; en fait je pense que l’année prochaine, on risque de passer à 10 numéros, peut-être parce qu’il y a un petit manque une fois dans l’année dans cette période-là où il y a un gros trou, il y a un mois de trop alors on pourrait passer à 9 numéros. Avant on n’en avait pas besoin pour une raison d’ailleurs assez claire, c’est très coûteux de faire 10 numéros alors que la pub ne suivrait pas, on n’aurait pas les moyens financiers de le faire et comme on a un lectorat très fidèle et on sait qu’ils sont toujours là, c’est peut-être pas la peine de faire cet investissement-là, l’argent que nous coûterait L’Optimum. Maintenant 8 numéros c’est un peu juste alors on passera à 9 numéros l’année prochaine et j’espère à 10 mais c’est sûr que l‘année prochaine, il y aura un numéro de juin-juillet» 713 . Il est effectivement paru un numéro daté de juin-juillet 2001 (n°43) avec André Agassi en couverture, mais le magazine continue à publier 8 numéros chaque année. Cette double périodicité ( des numéros mensuels suivis de numéros pour deux mois 714 ) suscite l’interrogation de la rédactrice en chef adjointe sur sa réception par les lecteurs : sont-ils ou non déstabilisés par l’absence certains mois du magazine en kiosque ? Pour elle, ceci explique le nombre croissant des abonnements qui serait la conséquence de la difficulté rencontrée par les lecteurs face à l’absence du magazine en kiosque à une périodicité régulière.

Les doubles numéros offrent du temps à la rédaction pour préparer les numéros suivants 715 , mais ils lui  imposent un important travail en amont : en effet, ils posent notamment un problème de couverture. Pour un numéro qui va rester en kiosque deux mois, la couverture doit répondre à certains critères comme une actualité sur cette longue période, une notoriété suffisante et intéressante pour un été. Cette question s’est longuement posée lors de la réunion d’avril 2001 et a été ainsi résumée par le rédacteur en chef : «la une de l’été, c’est se dire aussi «je vais passer tout l’été avec X» 716 . Enfin, cette longue périodicité en kiosque impose d’offrir plus de lecture aux hommes alors que l’été est le moment de l’année où l’actualité est la plus pauvre ; c’est notamment pour cette raison que les numéros d’été sont régulièrement les numéros consacrés aux voyages et présentés par le rédacteur en chef comme des «numéros difficiles».

Ces numéros doubles permettent de redéfinir la philosophie du magazine et de projeter de nouvelles rubriques, de nouveaux sujets en relation avec cet état d’esprit. Mais ils sont aussi le moyen de conserver un magazine qui ne pourrait pas, pour des moyens budgétaires, produire plus de numéros si ce n’est les produire au rabais, ce que le rédacteur en chef refuse de cautionner. Pour lui et pour la direction du groupe, le choix est clair : «par la force des choses, on est une petite maison et on se refusera à faire un 9e et 10e numéro si on n’a pas les moyens.(…) Il est hors de question de sortir un numéro au rabais» 717 . C’est donc afin de continuer à présenter un magazine fidèle aux aspirations de ses créateurs et de ses équipes rédactionnelles et dirigeantes que l’équipe de L’optimum conserve la double périodicité.

Si les équipes rédactionnelles oscillent en fonction du mode de production et du budget, en est-il de même des équipes techniques de ces magazines, qui même si le contenu n’est pas produit en France, doit être mis en page et corrigé dans les rédactions parisiennes ?

Notes
712.

Chez L’Optimum, les membres de la rédaction qui sont pour certains journalistes gèrent en même temps, le courrier, les frais...

713.

Propos tenus par le rédacteur en chef du Magazine de l’Optimum lors de l’entretien du 17 Août 2000.

714.

Nous avons demandé pendant notre stage dont la fin était prévue fin Mars 2001 où nous avions vu la fabrication de deux numéros (n°41 de mars et n°42 d’avril-mai dont le bouclage eu lieu le 19 mars), à pouvoir rester dans la rédaction jusque fin avril afin d’assister pendant ce mois supplémentaire à l’élaboration du n°43 daté de juin/juillet 2001 qui allait sortir le 23 mai (soit deux mois de préparation). Nous voulions vivre au sein d’une rédaction qui, en temps de production du magazine mensuel, ressemble à une ruche et observer comment elle travaille lorsqu’elle dispose de plus de temps. La semaine qui suit le bouclage est une semaine de relâche : entre récupération des jours fériés et dimanche passés dans la rédaction pour le bouclage, vacances et mise à profit de ce temps libre pour partir en reportage sur le terrain, la rédaction se vide et le calme l’envahit. C’est notamment à ce moment-là que le rangement est effectué dans la rédaction. Nous avons ainsi passé la semaine du 20 au 27 mars 2001, seuls dans la rédaction avec la secrétaire de rédaction qui en a profité pour mettre de l’ordre dans les dossiers… C’est une période de calme qui est mise à profit pour évoquer les réaménagements des rubriques, la possibilité d’aborder certains sujets, de rencontrer de nouveaux collaborateurs… C’est une période utilisée pour réformer le magazine, pour penser à son organisation, chose impossible en temps de périodicité mensuelle.

715.

La conférence de rédaction de mars 2001 avait pour objet d’annoncer tous les projets de sujets pour les numéros à venir, à court terme comme à long terme (certains sujets sont prévus pour la fin de l’année), et les possibles refontes du magazine

716.

Ainsi, la rédaction voulait consacrer cette couverture à Bertrand Delanoé qui venait d’être élu maire de Paris, or, un homme politique pouvait-il tenir une une si longtemps d’autant plus que le magazine arrivait en kiosque après l’élection et que de nombreux médias lui avaient offert leur couverture ? C’est finalement André Agassi qui a tenu cette couverture, notamment grâce aux différents événements tennistiques qui jalonnent la période estivale (Roland Garros, Wimbledon… ).

717.

Propos tenus par le rédacteur en chef du Magazine de l’Optimum lors de l’entretien du 17 Août 2000.