c) Du trois pièces de 60 m² à la rédaction de 200m².

Nos premiers pas dans les rédactions ont été brefs, le temps d’une rencontre avec les rédacteurs en chef et d’une visite des rédactions mais nous ont donné une première image des diverses installations des magazines. Ce n’est que lors de nos stages que nous avons pu prendre la mesure véritable des différences importantes qui existent physiquement entre les rédactions aux moyens financiers importants et les rédactions budgétairement limitées.

En effet, chaque rédaction possède un agencement propre mais qui, pour certains titres comme Le Magazine de l’Optimum, FHM et M Magazine, se trouve dans les locaux d’un groupe plus ou moins important et qui met à la disposition de tous ses titres des moyens communs qui facilitent le travail (centre de documentation, cantine…) ou au contraire mis en commun par économie (un photocopieur pour trois magazines aux Editions Jalou). En revanche, et c’est le cas notamment de la rédaction de Men’s Health, le magazine étant le seul représentant en France du groupe Rodale, il fonctionne comme une entité autonome sur le sol français. Comment sont donc organisées spatialement les rédactions des magazines masculins que nous avons visitées ? Quels sont les moyens mis à leur disposition par les groupes de presse auxquels ils appartiennent ? En quoi l’organisation spatiale des rédactions diverge de l’une à l’autre ?

Les plans et la description des locaux de chacune des rédactions traversées sont consultables dans les annexes et montrent les disparités spatiales entre la rédaction du Magazine de l’Optimum qui ne compte que trois bureaux, quand celle de FHM ou M Magazine dispose de quelques centaines de mètres carrés. Entre étroitesse et aisance spatiale, les rédactions des magazines de presse masculine occupent différemment l’espace qui leur est dévolu. Les rédactions disposent pour certaines de salles de réunions (Men’s Health) quand pour exemple, les conférences de rédaction au Magazine de l’Optimum ont lieu au sein même du bureau du rédacteur en chef (dans lequel nous avons passé nos trois mois d’observation, étant ainsi au cœur de toutes les prises de décision, quand dans les autres rédactions nous étions installés au sein de la salle de rédaction, loin des bureaux des rédacteurs en chef où sont prises les décisions ) ou dans la salle de rédaction. La grandeur des rédactions influe alors sur les rapports entre les membres permanents : elle est souvent synonyme de leur séparation : c’est ainsi que l’ambiance chez L’Optimum, par effet de proximité, impose aux membres une communication et une ambiance assez chaleureuse dont certaines rédactions, beaucoup plus étendues, subissent une distance par la séparation géographique (le cloisonnement de certaines rubriques dans des espaces spécialisés). Outre l’organisation spatiale des rédactions elles-mêmes, leur appartenance à un groupe de presse important leur permet, pour certaines, notamment pour FHM, de bénéficier des installations dévolues au groupe Emap : centre de documentation, studio photo, cantine… quand Le Magazine de l’Optimum doit partager avec les autres titres du groupe Jalou certains moyens techniques (la photocopieuse…).

L’année 2001 fut, pour nous, la grande traversée de ces quatre rédactions de magazines masculins, quatre positionnements géographiques différents en leur sein, quatre temporalités de stages qui influent sur les rapports entretenus avec les membres des rédactions et sur les modes d’observation 721 . Chacune des rédactions possède une organisation spatiale interne qui lui est propre, tout en partageant avec d’autres rédactions des points communs : ce sont les rédactions qui appartiennent aux grands groupes de presse qui sont les plus vastes, les mieux équipés humainement et techniquement, d’autant plus qu’elles disposent d’installations communes à tous les titres du groupe, ce qui facilite la production alors que les magazines issus de plus petits groupes partagent, pour des raisons budgétaires, eux aussi des éléments matériels avec les autres titres du groupe, mais qui, ne sont en rien facilitateurs du travail mais plutôt des difficultés supplémentaires car ce n’est pas le matériel «luxueux» ( centre de documentation) qui est mis en commun, mais le matériel de base (les photocopieurs), handicapant d’autant plus des titres qui, faute de personnel suffisant, doivent produire le magazine artisanalement. Paradoxalement, ce sont les magazines dont les moyens de production (budget, équipement technique, matériel, humain) sont colossaux qui ne produisent pas la totalité du magazine alors que les petits groupes avec des moyens financiers restreints, du personnel en nombre insuffisant et des moyens techniques eux aussi limités produisent les magazines dans leur totalité, ce qui engendre aussi des avantages : l’ambiance au sein des petits groupes, où la polyvalence des membres impose la communication, est chaleureuse alors que la segmentation de certaines rédactions joue négativement sur l’ambiance générale.

Les magazines masculins issus de groupes étrangers importants multiplient les facteurs facilitant le travail : avec des budgets élevés, des moyens humains importants, des rédactions spacieuses, des équipements techniques multiples, une spécialisation du personnel en un domaine particulier, des assistantes, la possibilité de puiser dans des bases de données propres aux rédactions internationales… , les rédactions de FHM et Men’s Health possèdent des conditions d’élaboration de leurs numéros qui sont plus aisées que celles rencontrées par M Magazine mais surtout par le Magazine de L’Optimum. En effet, tous ces ingrédients manquent à cette rédaction qui, de plus, a fait le choix de procéder à la production entière de son magazine alors que les grands groupes utilisent à des degrés divers le travail des éditions étrangères, ce qui engendre un gain de temps et un gain économique pour des rédactions dont les budgets sont déjà bien plus élevés que ceux des rédactions productrices. Mais là où les grands groupes évoquent les gains économiques engendrés par les reprises d’article, l’achat des photographies en agence, la mise à disposition des journalistes de moyens de production évitant le recours à des moyens extérieurs et payant (les studios photo), les petits groupes évoquent un choix philosophique de recherche d’une identité, d’une «marque de reconnaissance» du magazine qui passe par la griffe laissée par les journalistes, les photographes, les membres de la rédaction et qui ne peut se faire sans l’autoproduction du magazine de sa première à sa dernière page, et ce malgré les multiples difficultés que ce mode de travail génère.

Ce sont donc deux logiques économiques qui s’opposent au sein du marché de la presse masculine française et qui influent sur les modes de production. Entre grosse production pour les magazines d’origine anglo-saxonne et dont les déclinaisons à travers le monde sont autant de source d’articles et d’illustrations, et artisanat pour les groupes français aux moyens financiers moins importants et à la formule unique, les rédactions offrent à leurs lecteurs des contenus à la hauteur des moyens mis à leur disposition par les groupes : Men’s Health puise dans les versions étrangères et offrent aux lecteurs français une version non francisée et anglo-saxonne, FHM leur offre quelques articles étrangers et leur ouvre une grande partie de ses pages grâce à l’interactivité dont il a fait son originalité, M Magazine leur a offert une version francisée de Men’s Health, totalement produite sur le sol français et Le Magazine de l’Optimum a fait le choix de produire la totalité de son magazine mais avec uniquement 8 numéros par an.

Grands groupes avec moyens financiers importants ( FHM et Men's Health ) Groupes moins importants avec moyens financiers moins conséquents ( M Magazine et Le Magazine de L'Optimum )
Ne produisent pas tous les textes,
ont recours aux bases de données
Produisent tous les textes et une grande partie des photographies
Moyens financiers et techniques qui facilitent la production Moyens financiers et techniques qui ne facilitent pas la production
Rédactions fournies Rédactions peu fournies
Hiérarchie rigide Hiérarchie souple
Segmentation des membres permanents Polyvalence des membres permanents
Interactivité pour ancrer la formule dans le local Autoproduction identitaire et différenciante par le biais de l'autoproduction malgré son coût.

Chaque rédaction a donc mis en œuvre une stratégie qui est avant tout commerciale, servant mieux les grands groupes qui, forts d’un budget publicitaire important mais aussi de réserves financières suffisantes, peuvent subir des pertes que les petits groupes ne peuvent soutenir. Si l’origine du groupe de presse a une incidence certaine sur le contenu du magazine, mais à des degrés divers selon les titres, les rédactions de presse masculine instaurent un autre facteur d’influence sur le contenu du magazine. Nous avons montré que les organigrammes sont diversement organisés en fonction de cette origine et de l’importance budgétaire des magazines ; ils présentent une autre organisation : une répartition sexuelle qui influe sur l’écriture des articles. Faut-il être un homme pour écrire dans la presse masculine ?

Notes
721.

Nous connaissons mieux les rouages des rédactions dans lesquelles nous sommes restés le plus longtemps et pour lesquelles nous avons effectué des tâches journalistiques impliquant un rapport avec les différents membres des rédactions et donc une fréquentation de tous les espaces.