Un homme pour journaliste.

«Peut-on écrire dans les magazines masculins si on est une femme ?», telle fut une des questions que nous avons posées lors de nos premiers entretiens dans les rédactions avec les rédacteurs en chef. Les réponses furent diverses ; pour le rédacteur en chef de L’Optimum, les sujets abordés ne relèvent pas d’une écriture uniquement masculine : «nous on est un pôle masculin et on le revendique parce qu’on est un magazine pour hommes, on a un tiers de la pagination qui est consacrée à la mode, c’est aussi ça. Pour le reste, c’est un univers masculin, effectivement qui est plus connoté masculin que féminin, le vin, les alcools même si je connais des femmes qui aiment le bon vin, elles peuvent écrire sur le vin, la littérature. On ne se pose pas la question» 722 . Lors de cet entretien, la rédaction comportait la parité : 3 hommes permanents (le rédacteur en chef, le directeur artistique et son adjoint) et 3 femmes permanentes (la rédactrice en chef adjointe, la rédactrice en chef mode et la secrétaire de rédaction). Depuis, une femme est venue compléter l’équipe au poste d’iconographe. C’est donc une rédaction composée en permanence de plus de femmes que d’hommes. En revanche, quand le rédacteur en chef évoque la possibilité de l’écriture des articles du magazine autant par les femmes que par les hommes, dans la réalité du magazine, ce sont des hommes qui écrivent 723 . Ce sont principalement des rubriques avec des textes courts qui sont confiées aux femmes, peu d’articles de fond sur plusieurs pages leur reviennent. Elles sont cantonnées dans des sujets connotés comme féminins : la lecture, le shopping, la mode, la beauté… Le Magazine de l’Optimum possède un cercle de pigistes réguliers qui sont spécialisés dans des rubriques : ainsi la musique revient à un pigiste, de même que le cinéma, la rubrique gastronomique, les vins, les cigares, les voitures et motos… Ensuite interviennent d’autres pigistes en fonction des sujets du magazine, mais le magazine étant spécialisé dans le luxe, ce qui englobe les voitures de luxe, les voyages, les bateaux… , la rédaction fait intervenir des pigistes hommes qui sont spécialistes de ces domaines 724 . Le contenu textuel du magazine est donc en majeure partie confiée à des hommes.

Chez M Magazine, ce fut un choix dès l’origine du magazine de confier à une femme un poste de chef de rubrique. Pour le rédacteur en chef, cette présence est en relation avec le contenu du magazine qui s’intéresse autant aux femmes qu’aux hommes : «dans cette rédaction, il y a 3 chefs de rubrique : 2 hommes et 1 femme parce qu’on est parti de l’idée que seulement des journalistes masculins, ce n’était pas une bonne chose, comme la femme occupe une bonne place dans ce magazine : il y a beaucoup de papiers sur les relations homme/femme, donc les femmes apportent aussi leur point de vue et écrivent des papiers là-dessus, donc même parmi les pigistes, il y a beaucoup, beaucoup de femmes» 725 . La présence des femmes parmi le pôle de pigistes se vérifie en effet dans le numéro 39 de juin 2001. Sur 16 pigistes intervenants, 6 sont des femmes. Elles interviennent dans la rubrique Double mixte consacrée aux femmes, pour laquelle elles rédigent des portraits de célébrités féminines… , dans les rubriques des pages mode et rédigent des articles : 8 pages sur les microbes, 6 pages sur les légumes en association avec un des chefs de rubrique, et enfin composent la rubrique Simple Dames consacrée à une personnalité féminine qui dresse un portrait d’elle-même. Les femmes interviennent donc non pas seulement dans de courtes rubriques, mais rédigent une partie importante des dossiers des numéros, dossiers qui ne possèdent pas une connotation particulièrement féminine ; en effet, les microbes non rien de féminin ou de masculin. En revanche, elles tiennent certaines rubriques qui sont plus féminines : ce sont elles qui interviewent les femmes.

Au sein de la rédaction de FHM, ce sont les hommes qui sont en majorité, les 5 chefs d’enquêtes sont d’ailleurs des hommes et créent une partie du contenu du magazine. Le positionnement de FHM quant à la composition sexuelle de la rédaction est simple : il existe certaines rubriques dans le magazine qui demandent un regard d’homme. Pour le rédacteur en chef, le choix des membres de la rédaction et des pigistes passe d’abord par la qualité des articles proposés : «Quelles que soient les personnes recrutées, on a essayé de recruter des gens qui connaissent les sujets pour lesquels on les recrutait, ça c’est particulièrement vrai pour les pigistes. On préfère des gens qui maîtrisent le fond plutôt que le style et la forme, on préfère des gens qui apportent de la matière sur laquelle on retravaille et on met la patte, le style FHM. Pour des pigistes, ça se passe souvent comme ça. Si on trouve quelqu’un qui apporte les bonnes infos et qui est capable de les mettre en forme avec le style qui nous convient c’est parfait, mais à-priori, quelqu’un qui écrit le style FHM mais qui derrière n’a aucune matière, ça m’intéresse pas trop» 726 . Pour FHM, le fond des articles proposés est donc primordial, mais il n’en demeure pas moins que le sexe des pigistes et des chefs d’enquêtes ne relève pas du hasard. Pour le rédacteur en chef, écrire dans un magazine masculin demande une certaine sensibilité masculine que seuls les hommes possèdent : «Je pense qu’une fille n’a pas la même sensibilité et qu’elle ne ferait pas les mêmes choix. C’est particulièrement vrai pour Bertrand qui est sur la musique, le cinéma… Après sur les autres secteurs, c’est un peu différent» 727 . Enfin, le rédacteur en chef dit ne pas fermer la porte aux pigistes-femmes mais se trouver devant l’incompréhension de certains lecteurs face à la présence de femmes dans l’équipe rédactionnelle. Nous lui avons demandé si selon lui, une fille pouvait écrire dans un magazine masculin, ce qui, pour lui, est possible mais «c’est d’ailleurs un problème parce qu’on a des pigistes filles et si moi ça ne me choque pas, car elles écrivent comme on l’entend dans ce magazine, je pense en revanche, que les lecteurs au bout d’un moment ça peut créer une déroute. C’est comme si Elle était écrit que par des hommes. Et comme là, tout est signé…» 728 . Les lecteurs liraient-ils la presse en fonction des signataires des articles ? La plupart des textes de FHM sont donc réalisés par des hommes ; quand ils le sont par les membres permanents de la rédaction, les articles sont masculins, ils se féminisent un peu grâce aux pigistes filles qui interviennent, mais elles sont deux fois moins nombreuses que les hommes à intervenir sur le numéro 28 de novembre 2001. Dans ce numéro, elles pigent la mode, le shopping, un texte sur la psychologie des nymphomanes, Isabelle répond aux questions de sexe en collaboration avec le rédacteur en chef, certaines interviews sur les professions atypiques, un texte concernant un artiste allemand dont le support est les cadavres, le texte du dossier sur le skier-cross, toutes les pages beauté et le texte sur les français champions du monde mais qui restent inconnus. Si on retrouve les femmes sur des sujets dits «féminins» (la mode, la beauté… ), elles officient aussi dans FHM sur des sujets qui ne sont pas réputés pour être féminins : le sport notamment, mais dans une moindre mesure.

Si, dans les trois rédactions que nous venons de citer, ce sont les hommes qui rédigent, en majorité, les articles, une part des articles est tout de même confiée à des femmes. Ceci est, en revanche, rare chez Men’s Health. En effet, dans le numéro 24 de novembre 2001, sur 15 pigistes participant au magazine, seules 2 femmes y figurent. Elles interviennent pour un article sur les remèdes au stress pour l’une et dans le dossier mode pour l’autre. Men’s Health est donc le magazine masculin qui présente le moins de collaborations féminines et qui est, pour la majorité de ses pages, créé par des hommes.

En dehors des rédactions dans lesquelles nous avons effectué nos stages, nous avons aussi demandé à tous les acteurs de la presse masculine, lors de notre rencontre avec les rédacteurs en chef des magazines qui ne nous ont accordé qu’un entretien, quelle était la composition de leur rédaction et leur positionnement sur le sexe de leurs rédacteurs. Pour le premier rédacteur en chef du magazine Maximal, en décembre 2000, sa rédaction était alors mixte, après avoir été très masculine : «j’ai voulu la féminiser parce que j’en avais marre qu’il n’y ait que des hommes mais c’est pas évident parce qu’il est vrai que pour un journal masculin, il faut que tous les articles aient un regard masculin (…) Mais il y a des hommes qui écrivent dans Elle, c’est pareil pour les femmes. Il faut avoir un regard masculin, donc on demande aux filles qui travaillent chez nous d’essayer d’avoir un regard masculin… Il y a des journaux masculins qui sont assez marqués par une espèce de guerre des sexes, ce qui n’est pas notre cas, on n’est pas FHM qui sont très marqués machiste, nous, c’est pas une espèce de haine envers la femme…» 729 . Quant au rédacteur en chef de TMB, le magazine devait être produit par des femmes qui sont les seules, selon lui, à pouvoir appréhender les hommes : «un masculin se fait, pour moi, enfin moi j’ai choisi une majorité de femmes parce que ce sont les femmes qui ont l’approche la plus juste des hommes, je trouve, parce qu’au niveau d’une femme, elle peut se retrouver dans une autre femme alors qu’un homme ne se retrouve pas dans un autre homme, c’est pourquoi on a mis en couverture une femme» 730 . Maximal et feu TMB semblent donc avoir composé, selon leurs dires, leurs rédactions d’une manière différente mais nous n’avons pu le constater nous-mêmes dans leurs salles de rédaction, faute d’autorisation pour le premier et de disparition suite au premier numéro pour le second. En revanche, les ours de ces deux magazines ( n° 2 de décembre 2000 ( ce qui correspond au moment du discours cité ci-dessus du rédacteur en chef) de Maximal et le n°1 de juin/août 2000 de TMB ) montrent une forte présence masculine dans les rédactions. Ainsi, parmi les 10 membres permanents en décembre 2000 de la rédaction de Maximal, 8 sont des hommes pour 2 femmes qui occupent les postes de maquettiste et secrétaire de rédaction. Cette rédaction que le rédacteur en chef déclare être féminisée ne l’étant pas à cette date au regard de l’ours, nous avons donc regardé pour ce même numéro, la répartition sexuelle des signatures des articles : sur 21 pigistes signant les textes du magazine, ce sont 17 hommes pour 4 femmes. Ces dernières interviennent pour les petits textes du début de magazine, notamment sur la psychologie «comment résister à la femme de son meilleur ami», les pages destinées aux parents «comment expliquer le Père Noël», «comment présenter sa nouvelle petite amie à ses enfants», les pages concernant la vie pratique : «comment enlever des traces de rouge à lèvres», «comment devenir un véritable expert en massage» et le seul dossier confié à une femme a pour objet une biographie de Chris Paciello, américain qui pour approcher les plus grandes célébrités s’est inventé une nouvelle identité et a usé de moyens répréhensibles. Dans Maximal, les femmes interviennent là-aussi sur des sujets féminins, avec des textes courts, mais le magazine se distingue des magazines masculins visités en confiant ses pages mode à des hommes, alors que dans les autres rédactions soit le pôle mode est dirigé par une femme (Le Magazine de L’Optimum, M Magazine et Men’s Health), soit il est confié à un homme entouré de pigistes féminines (FHM). C’était le cas aussi chez TMB où la rubrique mode (baptisée Whaou) était tenue par un homme (le rédacteur en chef) avec la collaboration de femmes. L’ours du seul numéro paru fait apparaître une organisation très segmentée : avec un rédacteur en chef, un directeur artistique et un responsable du design, l’équipe de TMB s’organise autour de 11 chefs de rubriques dont seulement 4 femmes qui occupent des domaines particuliers : la culture, l’information pratique, le médical et la psychologie. Une fois encore, elles tiennent des rubriques connotées au féminin. En répertoriant les noms des rédacteurs des articles parus dans le premier numéro, il n’apparaît que quatre noms différents des chefs des rubriques (qui composent donc la plupart des articles) et qui se répartissent entre 4 hommes et 1 femme, laquelle a effectué une interview avec une des girls du Lido. En revanche, toutes les rubriques comme la bourse, la politique, l’évasion, le sport sont confiées à des hommes.

La presse masculine est donc dans la majorité de ses textes écrite par des hommes. En quoi les hommes seraient-ils plus à même d’écrire les textes et de diriger les rédactions des magazines consacrés et destinés aux hommes ?

Si ce sont les hommes qui rédigent la majorité des textes des magazines masculins et des hommes encore qui les dirigent, c’est par connaissance de ce que les hommes recherchent dans un magazine qui leur est adressé et par connaissance de la psychologie et du fonctionnement masculin. Les rédactions légitiment leurs organisations rédactionnelles en majorité masculine en revenant sur l’argument de la composition sexuelle des rédactions féminines. Dans les entretiens, le magazine Elle a été régulièrement cité comme étant rédigé en majeure partie par des femmes 731 et devient un argument pour légitimer la composition masculine des rédactions des magazines masculins : si les magazines féminins sont produits par des femmes, les magazines masculins le sont par des hommes. Il apparaît ainsi, au sein des rédactions masculines, un conservatisme dans la répartition thématique des articles : sont confiés aux femmes les sujets psychologiques, relatifs à la beauté, les pages de mode, alors que les sujets liés à l’automobile, au sport, aux finances, à l’actualité… qui sont connotés comme étant masculins sont confiés aux hommes. Si, la nouvelle presse masculine s’est différenciée, en partie, de la presse masculine traditionnelle en évoquant le corps et la beauté au masculin, elle n’a pas pour autant évacuée certains cantonnements sur la répartition sexuée des activités et des rôles attribués aux hommes et aux femmes ; elle en est, au contraire, un des espaces de reproduction en confiant, sous l’argument d’une meilleure compréhension des hommes et de leurs goûts par les hommes, à ces derniers les articles et dossiers de fond et aux femmes, les articles courts et présentations d’objets liés au caractère pratique du magazine. Il y a donc au sein de la presse masculine une répartition sexuée des articles en faveur des hommes qui, tout en abordant des sujets nouveaux dans les magazines spécialisés santé-forme, continuent à produire les articles sur des sujets à centres d’intérêt plutôt masculins.

Cette répartition sexuée de la partie rédactionnelle des rédactions se retrouve aussi dans la partie non-rédactionnelle, la partie technique des rédactions, mais en faveur des femmes. En effet, si elles n’écrivent pas dans les magazines, elles sont pourtant présentes, souvent à quasi-parité avec les hommes, mais à des fonctions qui sont dans chacune des rédactions que nous avons traversées, identiques.

Notes
722.

Propos tenus par le rédacteur en chef du Magazine de L’Optimum lors de l’entretien du 17 Août 2000.

723.

En effet, pour le numéro 42 d’avril/mai 2001, sur 26 pigistes intervenant pour les textes, seuls 7 sont des femmes et elles officient à des rubriques bien particulières : littérature, sélection d’objets, les jouets de l’homme (rubrique de présentation des nouveautés technologiques et des accessoires), un article de 7 pages sur le désert d’avions dans l’Arizona, le portrait de Virginie Ledoyen, un texte sur le rapport d’Andy Warhol avec la mode et deux pages sur les pieds et leur entretien

724.

La rubrique Auto maniaque qui présente et teste chaque mois une nouvelle voiture est tenue par un pigiste régulier en collaboration avec Jacques Laffite.

725.

Propos tenus par le rédacteur en chef du magazine M Magazine lors de l’entretien du 5 décembre 2000

726.

Propos tenus par le rédacteur en chef du magazine FHM lors de l’entretien du 18 janvier 2002.

727.

Ibid.

728.

Ibid.

729.

Propos tenus par le rédacteur en chef du magazine Maximal lors de l’entretien du 4 décembre 2000.

730.

Propos tenus par le rédacteur en chef du magazine TMB lors de l’entretien du 4 juillet 2000.

731.

Le magazine Elle présente, à travers son ours, un organigramme bien plus étoffé que celui des magazines masculins, mais il faut rappeler que contrairement à ces derniers qui sont mensuels, Elle est hebdomadaire. Elle compte, pour le numéro 2948 du 1e juillet 02 plus d’une cinquantaine de collaborateurs ( qui sont pour la plupart des femmes). Ainsi le magazine compte deux rédacteurs en chef, un homme et une femme, une conseillère à la rédaction, une rédactrice en chef du pôle mode, deux éditorialistes (homme et femme) et un directeur artistique masculin. A ce pôle décisionnel dans lequel les femmes sont deux fois plus nombreuses que les hommes, viennent s’ajouter des pôles thématiques qui sont chacun chapeautés par un rédacteur en chef adjoint : pôle magazine avec 17 femmes, 4 hommes et 2 rédactrices en chefs adjointes ; pôle mode avec une rédactrice en chef adjointe et 14 femmes ; le pôle bon vivre avec 1 rédactrice en chef adjointe et 12 femmes ; le pôle beauté avec une rédactrice en chef adjointe et 10 femmes et enfin le pôle vie privée avec une rédactrice en chef adjointe, 9 femmes et 2 hommes qui s’occupent du Multimédia et des pages people. C’est donc une rédaction féminine qui produit Elle, dans laquelle peu d’hommes tiennent des rôles d’écriture comme des rôles liés à la fabrication technique du magazine.

Nous avons étudié l’ours du magazine Marie-Claire, dont la périodicité est égale à celle des magazines masculins. Sa rédaction est elle aussi composée majoritairement de femmes et est particulièrement segmentée : elle compte une directrice de la rédaction, le pôle mode compte une rédactrice en chef, une rédactrice en chef adjointe, une rédactrice en chef de la création et 6 journalistes femmes ; le pôle beauté, forme, santé compte une rédactrice en chef, une rédactrice en chef adjointe et une rédactrice en chef de la création et 3 journalistes femmes ; elle compte une rédactrice en chef pour la partie magazine, un rédacteur en chef de la partie culture et la rédaction se compose de 14 femmes pour seulement un homme qui s’occupe du témoignage de la lectrice. Même les parties plus techniques du magazine (maquette, iconographie, secrétariat de rédaction…) sont tenues par des femmes. Seul le poste de directeur artistique revient à un homme. Ce sont donc des rédactions féminines qui produisent ces institutions de la presse féminine.