Nous avons montré dans la première partie de cette thèse que d’une part si la presse masculine a longtemps été présentée comme le pendant de la presse féminine, elle n’est en rien politisée et que d’autre part, ces deux genres de presse cherchent à établir une différenciation entre leurs deux champs respectifs en utilisant les éditoriaux pour la presse masculine et certains articles pour la presse féminine afin d’énoncer leurs divergences et leurs critiques envers leur «opposé». Or, si ces deux genres de presse se présentent comme étant autonomes et différents l’un de l’autre, les parcours professionnels des membres permanents de la presse masculine montrent l’existence régulière de passerelles entre les magazines féminins et les magazines masculins, entre les magazines masculins de la première génération et les nouveaux magazines masculins, et ce, à travers les mouvements de personnel en amont et en aval de leur présence dans les rédactions visitées.
En effet, bon nombre des membres permanents rencontrés dans les rédactions ont, à un moment ou à un autre de leur vie professionnelle, travaillé au sein d’une rédaction de presse féminine ou de presse masculine. Le rédacteur en chef de FHM a enchaîné les stages et postes dans la presse pour adolescentes : Jeune et Jolie, OK ! Podium, Bravo Girl, Gala l’ont accueilli comme pigiste, avant qu’il ne rejoigne le groupe Emap et participe au lancement du magazine FHM en tant que chef d’enquête people-société pour en devenir ensuite rédacteur en chef. De ses expériences dans la presse pour adolescentes, il tire des similitudes avec certains phénomènes propres à FHM 734 . Que ce rédacteur en chef de 28 ans qui possède une expérience de la presse adolescente ait pris la direction de FHM est donc une suite logique dans sa carrière où, en s’adressant à un lectorat en grande partie adolescent et post-adolescent, il élabore un magazine pour des lecteurs qui sont proches de lui. De plus, depuis notre départ de la rédaction, il a quitté le titre et pris en charge, éphémèrement, la rédaction en chef du magazine féminin 20 Ans, où là encore, il s’adressait à des jeunes femmes qui, il y a peu encore, lisaient les autres titres féminins auxquels il contribuait. Le conseiller de la rédaction a, quant à lui, quitté la rédaction pendant notre stage pour rejoindre la rédaction de Cosmopolitain dont il occupe désormais le poste de rédacteur en chef. Il y a donc, pour lui aussi, retour vers l’univers de la presse féminine pour jeune femme. La secrétaire générale de rédaction quant à elle est passée par Madame Figaro et Marie Claire, mais aussi par des magazines spécialisés dans le cinéma, dans la vidéo ainsi que dans le magazine spécialisé masculin AutoJournal. Son rédacteur en chef adjoint fut longtemps rédacteur puis rédacteur en chef adjoint du magazine people Voici, tout en possédant une longue expérience de la presse musicale et particulièrement de Rock&Folk où il passa plus de 12 ans. De ces deux expériences, il a mis au profit de FHM ses connaissances musicales et en matière de célébrités, deux matériaux qui constituent la matière de nombreuses pages du magazine. Quant aux chefs d’enquêtes, celui qui s’occupait de la rubrique pratique avait d’une part, collaboré à la création de nombreuses émissions sur le voyage, les sports extrêmes… ce qui correspond aux rubriques pour lesquelles il avait été recruté et d’autre part travaillé dans des magazines pour jeunes. Enfin, la presse masculine ne lui était pas étrangère puisqu’il fut rédacteur en chef du magazine Newlook en 1999 et du magazine Fit-Max, hors série du magazine masculin Max. C’est donc un habitué de la presse masculine qui pigea certains dossiers pour la rédaction de Men’s Health qui a intégré en même temps que nous et pour la même période, la rédaction de FHM. Quant au chef d’enquête de la rubrique Mégastore qui est certainement un des journalistes le plus diplômé de la rédaction de FHM, après avoir rejoint diverses rédactions de presse générale comme La Croix, Infomatin, il a multiplié les postes de pigistes dans les magazines spécialisés comme Capital, VSD et les magazines people du groupe Prisma : Voici, Allo, Gala. C’est tout d’abord comme pigiste qu’il a commencé à écrire pour FHM avant d’intégrer la rédaction dans un domaine spécialisé dans la musique, la vidéo, le cinéma et les livres… qui sont ses domaines de prédilection.
De nombreux membres permanents recrutés par FHM ont donc un passé professionnel à travers les rédactions de presse féminine et notamment à travers les rédactions de magazines destinés aux jeunes femmes. C’est dans la cible que les membres semblent trouver des similitudes : avant de s’adresser à des adolescents et post-adolescents, ils s’adressaient à des adolescentes et post-adolescentes. Ils mettent donc au profit de la presse masculine leurs expériences de la presse féminine ( ils savent notamment ce que les filles attendent des garçons et se servent de cette connaissance pour donner des conseils à la jeune gent masculine). Dans FHM, les célébrités sont récurrentes et les journalistes ayant pigé ou travaillé plus longuement dans les rédactions de magazines people mettent leurs connaissances antérieures au service des textes sur ces personnalités. Mais la presse féminine n’est pas la seule pourvoyeuse de journalistes pour la presse masculine, cette dernière recrute aussi au sein même de son champ, entre nouveaux magazines masculins mais surtout entre les magazines masculins traditionnels et nouveaux magazines masculins.
Nous avons montré que chez FHM, un des chefs d’enquête est passé par la presse spécialisée dans les sports extrêmes… , par le hors-série du magazine Max qui, nous l’avons vu dans la première partie de cette thèse est un des magazines masculins traditionnels qui allie la culture et le charme ; le rédacteur en chef de FHM a lui-même pigé pour Newlook et Penthouse qui sont les représentants avec Playboy de la presse masculine traditionnelle fondée sur le charme. Nous avons montré dans la première partie que FHM est un magazine qui utilise la formule de ces magazines traditionnels en y ajoutant une dose d’humour. Les différentes expériences antérieures des membres de FHM dans ces magazines traditionnels sont autant de richesses mises à disposition du nouveau magazine masculin FHM. En plus d’avoir repris une formule ancienne de presse masculine, la rédaction de FHM s’est constituée avec certains des producteurs du savoir-faire de cette presse traditionnelle. Depuis notre départ de la rédaction d’FHM un des chefs d’enquête est parti pour la rédaction de Newlook. S’occupant du domaine Action/Société de FHM, il consacrait certaines de ses pages à l’érotisme, en confiant notamment une rubrique à une ancienne star du X français. Son départ pour le magazine de charme n’est donc pas une surprise. Il existe donc au sein du magazine du groupe Emap de nombreuses passerelles entre la presse féminine et particulièrement la presse adolescente et pour jeune femme et la presse people, la presse masculine traditionnelle et la nouvelle presse masculine.
Quant aux membres permanents de la rédaction du Magazine de l’Optimum, ils présentent des parcours universitaires (pour le rédacteur en chef et son adjointe) étoffés, parcours littéraires qui passent par les grandes écoles puis par les écoles de journalisme. Ces parcours les ont amenés vers la presse quotidienne pour le premier et vers la presse économique pour la seconde. En effet, le rédacteur en chef fut pigiste au Figaro (il l’est encore au Figaroscope pour la chronique gastronomique), mais aussi pour L’Officiel de la Mode aux Editions Jalou. Il s’était associé avec Christian Moguérou (ancien rédacteur en chef de L’Optimum puis premier rédacteur en chef de Men’s Health France) pour fournir des piges à différents journaux. C’est en pigeant pour L’Officiel au moment où le groupe Jalou projetait de relancer son masculin (en 1996) que Emmanuel Rubin et Christian Moguérou ont pris la rédaction en chef conjointe du magazine masculin. Moguérou a donc quitté le magazine pour lancer en 1999 le nouveau masculin Men’s Health en emportant avec lui l’expérience de ces 3 années passées dans un masculin traditionnel. Il avait instauré dans L’Optimum la rubrique Sociotics, seule rubrique psychologique du magazine qui traitait de l’adultère, de la drague… Cette rubrique a été arrêtée avec son départ car elle ne correspondait pas à l’image qu’Emmanuel Rubin se faisait de son magazine masculin. Christian Moguérou portait donc en lui, dès le début de son aventure dans L’Optimum, une rubrique plus adaptée à la formule des nouveaux masculins dans lesquels le corps et la psychologie tiennent une part importante. Quant à la rédactrice en chef adjointe, elle a un parcours professionnel lié à la presse économique qu’elle qualifie d’ « école de la rigueur, ce qui est parfait pour faire ensuite du «divertissement». En ce qui concerne les membres permanents de la partie technique du magazine, on retrouve là encore leur trace dans les rédactions féminines ( Vital, Femme pour le directeur artistique, L’Officiel de la mode et d’autres féminins pour l’iconographe), dans les rédactions de presse «people ( Glory et Juice (magazine masculin people) pour le directeur artistique et Paris-Match pour l’iconographe) et enfin la presse masculine de charme pour le directeur artistique qui fut directeur artistique de Lui et de Newlook entre 1992 et 1994. Les membres permanents de la rédaction attachés à la partie rédactionnelle du magazine présentent donc des parcours dans la presse quotidienne et dans la presse spécialisée ; ils insufflent au magazine l’expérience des articles de fond sur des sujets liés à la politique et à la société qu’ils ont acquise lors de leurs passages dans ces différentes rédactions.
Si nous avons peu de renseignements sur les parcours scolaires et professionnels des membres de M Magazine, le dernier rédacteur en chef nous a dressé la liste de ses passages dans les rédactions : entre presse d’actualité quotidienne comme hebdomadaire (Libération, Le Figaro, L’événement, Marianne… ) et presse spécialisée scientifique (Sciences et Vie, Sciences et Vie Junior …). De ses collaborations à des magazines de vulgarisation scientifique, il a appliqué certaines des méthodes à la forme et à la santé ( nous avons vu que M Magazine a recours aux scientifiques, aux enquêtes et aux chiffres pour argumenter et donner un poids à ses articles).
Les rédactions de nouveaux masculins possèdent des membres permanents dont l’expérience professionnelle passe, en grande partie, par la presse pour adolescentes, la presse people et la presse masculine traditionnelle fondée sur le charme ; ils mettent ainsi au service des rédactions dans lesquelles ils officient actuellement leur savoir-faire et leur connaissance de domaines précis qui tiennent une place importante dans les nouvelles publications masculines. Si pour certains membres, leurs parcours universitaires sont en adéquation avec leur présence et rôle au sein des rédactions, d’autres sont en revanche surdiplômés dans des domaines qu’ils n’appliquent plus dans les rédactions : être diplômé de sciences politiques et dresser des portraits de starlettes dénudées, chroniquer des ouvrages pour adolescents quand l’on vient de la presse quotidienne nationale… , le décalage peut donc se révéler être important. Mais pour la plupart des magazines, le choix des membres permanents se fait en fonction de leurs expériences antérieures : Le Magazine de L’Optimum spécialisé dans le luxe, la politique, le cinéma, la société… recrute ses collaborateurs avec des expériences dans la presse quotidienne, dans la presse d’actualité, dans la presse spécialisée automobile, cinématographique… alors que le magazine FHM fondé sur le charme, sur les starlettes et sur les blagues recrute à travers la presse féminine pour adolescente ( qui est une des cibles récurrentes dans le magazine), la presse people, la presse musicale et la presse masculine traditionnelle spécialisée dans le charme. Outre le fait d’avoir adopté certaines formules de la presse masculine traditionnelle (le charme et la mode), les magazines masculins en ont recruté certains auteurs afin qu’ils mettent leur savoir-faire de la formule empruntée au service de la nouvelle génération de presse masculine. En empruntant une formule de charme pour FHM, en instaurant une formule novatrice en France pour M Magazine et importée pour Men’s Health et une formule traditionnelle luxueuse pour Le Magazine de l’Optimum et en les confiant à des hommes et à leur écriture, quelles images ces magazines véhiculent-ils de l’homme et de la femme à travers leurs articles, éditoriaux et illustrations ? En quoi les deux manières opposées de faire du masculin que l’on retrouve parmi les quatre magazines étudiés (faire un masculin androcentré pour Le Magazine de l’Optimum, M Magazine et Men’s Health et un magazine gynécentré pour FHM) influent sur la nature des représentations féminines et masculines données à voir aux lecteurs de la presse masculine ?
Pour lui, le courrier des lecteurs important engendré par la rubrique de La Luneest similaire à ce qu’il a connu pendant qu’il travaillait à la rédaction de OK ! Podium : des lettres de fans par centaines qui, dans le cas de FHM, souhaitent des cadeaux et dans le cas du magazine féminin voulaient montrer leur désapprobation quant à la séparation d’un groupe vedette ( il avait pris la séparation du groupe de Boys Band Take That pour exemple).