M Magazine et Men’s Health présentent le caractère commun de s’intéresser aux hommes en leur parlant d’eux-mêmes. Tout en présentant tous les deux une image de l’homme non accompli et en quête d’accomplissement personnel ( à la différence du Magazine de l’Optimum), chacun de ses titres possède un positionnement qui lui est proche en matière de représentation sexuée dans ses textes et illustrations. En effet, si les magazines spécialisés dans la santé-forme au masculin sont parmi les magazines qui possèdent un taux élevé de photographies représentant des hommes ou des femmes, M Magazine a choisi d’illustrer ses articles par des photographies d’hommes, mais aussi, par celles de femmes, dans des articles qui sont, pour la plupart de ceux du dernier numéro paru sur le marché, non sexuellement connotés : aucune référence au sexe du lecteur n’y est présente. En revanche, Men’s health adresse ses articles aux hommes uniquement, en les illustrant de photographies de personnages masculins en majorité, et de couples en moindre mesure ; la figure féminine photographiée est donc beaucoup plus rare dans les pages de Men’s Health. Nous verrons que la femme, omniprésente dans les textes, y est présentée certes comme la compagne de l’homme mais aussi et surtout comme la femme qui s’occupe du foyer, qui veille au bien-être matériel de l’homme au quotidien et qui est une maîtresse subordonnée à l’homme. C’est donc une image rétrograde de la femme qui est véhiculée dans les pages de Men’s Health, vision sur laquelle nous nous arrêterons plus longuement à la fin de cette partie.
Les hommes à travers ces magazines spécialisés dans le pôle santé-forme sont sportifs, musclés (mais pas encore assez, ils doivent se perfectionner pour atteindre l’image des hommes de la couverture et des mannequins qui officient dans les pages d’exercices) 740 , peu vêtus : en dehors des pages mode, les hommes portent un short et restent torse nu au fil des pages ; ils sont imberbes 741 , le sourire éclatant… Les qualités de l’homme idéal sont répertoriées dans le numéro 11 de juillet-août 2000 de Men’s Health dans un article sur «comment devenir le roi de la plage» : l’homme doit être «bronzé, sportif, dragueur, danseur, classe et bien gaulé» 742 . Voilà ce qu’est un homme Men’s Health.
Cette image de l’homme dont Men’s Health et M Magazine ont fait leur emblème et vers laquelle ils essaient, à travers leurs conseils, à faire tendre leurs lecteurs se constitue autour de la musculature, du corps de l’éphèbe, des cheveux courts… Pour le dernier rédacteur en chef de M Magazine, cette image peut être rapprochée de celle de la figure de l’Aryen que G. Mosse a décrit dans son ouvrage L’image de l’homme. L’invention de la virilité moderne 743 comme l’héritier de la figure grecque de l’éphèbe.
Mais sous ces extérieurs attirants, ce sont des hommes à la recherche d’une amélioration physique, d’un style de vie bénéfique à la santé et de conseils pour abandonner une multitude de mauvaises habitudes qui freinent leur épanouissement. C’est ainsi l’image d’un homme qui multiplie les comportements à risque : alcool, cigarettes, mauvaise alimentation (cholestérol, abus de pizza, de sucreries… ), qui n’a pas conscience des risques encourus et à qui les magazines viennent en aide en leur informant et en leur distillant des conseils pour remédier ou du moins diminuer leur consommation. Men’s Health évoque cette disparité entre la plastique des hommes et leur santé intérieure en comparant le corps masculin à une machine nécessitant un entretien : «il serait presque temps de passer au contrôle technique. Certes, vous avez une carrosserie impeccable mais cela présente bien peu d’intérêt si le moteur est souffreteux» 744 . C’est l’image du corps masculin comme d’une machine qui est véhiculée au travers de la nouvelle presse masculine spécialisée.
C’est aussi l’image d’un homme qui, pris en charge dans le quotidien par la femme, devient fragile et décontenancé quand celle-ci n’est plus là. Ainsi, dans un article sur ce que doit contenir un réfrigérateur, Men’s Health commence l’article par : «au risque de paraître un peu macho, une compagne est fort utile, pour de multiples bonnes raisons… et surtout (pourquoi le cacher) dans l’organisation du quotidien. Souvent, c’est elle qui fait les courses, remplit le garde-manger et prépare les repas. On s’en plaint guère, sauf quand elle doit s’absenter durant plusieurs jours et qu’elle nous laisse seul face à nous-mêmes et … aux surprises cachées derrière la porte du réfrigérateur. A chacun sa chacune et à chacune son type de frigo» 745 . En donnant l’image de l’homme comme tributaire de la femme dans la gestion du foyer, ces magazines spécialisés évacuent de leurs pages tout un pan de la vie quotidienne au profit de la gestion du corps, des loisirs, des rapports avec les femmes (sexuels notamment où les hommes sont toujours les meneurs). Dans les rares articles sur l’intervention des hommes dans les activités domestiques, les magazines se livrent à de véritables caricatures des rôles réservés aux hommes dans la maison : Men’s Health a dressé dans son numéro 24 de novembre 2001, une liste de 40 activités sous le titre «Homme sweet homme. La prochaine fois qu’une femme se plaint, montrez-lui cette liste de corvées typiquement masculines» et dans laquelle liste, l’homme se doit «de cuisiner en extérieur, entretenir la voiture, gérer le danger, acheter le matériel informatique…» 746 . Pour Men’s Health, l’homme reste à l’intérieur du foyer cantonné aux activités traditionnellement dévolues aux hommes et utilise au passage des stéréotypes pour illustrer son article. Ainsi pour le magazine, l’homme est encore un protecteur des femmes : «Jouer les gardes du corps. Un homme volant au secours d’une femme, c’est courant. Mais de quand date la dernière fois où vous avez eu vent du sauvetage d’un homme par une femme ?», il est le seul à savoir s’occuper de la voiture «Gérer les urgences. Changer un pneu sur une route dangereuse, marcher 10 Km pour remplir un jerrican d’essence après qu’elle a emprunté la voiture», à maintenir la discipline «rentrer à la maison et pousser une soufflante parce qu’elle a été débordée par les enfants»… C’est donc une image traditionnelle et particulièrement machiste des hommes que le magazine Men’s Health véhicule à travers ses articles.
C’est cette même image qu’à longtemps proposée M Magazine aux hommes : si au commencement du magazine, la rédaction a fait le choix d’un homme omniprésent, musculeux et machiste comme nous le rappela le dernier rédacteur en chef : «on montre effectivement des mecs très taillés, avec des abdos nickels, des éphèbes, espèces d’extraterrestre icônifiés(…) Mais les filles, on ne les a pas enlevées ! On en remet de temps en temps, mais on n’a pas vu une corrélation entre leur présence et les chiffres de vente. En fait, on est un peu revenu de cela, du tout en muscle. Pour l’instant, on revient progressivement à des types moins «viande» ; avant c’était que de la «viande», on essaie de l’incarner plus, d’axer plus sur la personnalité que sur la plastique pure. Ce qui est d’ailleurs une demande très forte, à mon avis, du lectorat. Ils ont un peu soupé du tout abdos, du muscle à 100 %, ils ont aussi besoin… il ne faut pas oublier que les lecteurs ont un cerveau» 747 , les illustrations du magazine se font réparties équitablement, au fil des numéros, entre les femmes et les hommes. Outre la volonté de se démarquer du contenu de Men’s Health, c’est avec le changement de rédacteur en chef que le positionnement du magazine sur l’image véhiculée de la gent masculine et féminine a évolué. Dans les derniers numéros, les hommes représentés sont devenus plus proches du lectorat 748 . C’est ainsi que le magazine a, mais trop tardivement, consacré des pages aux femmes, en dressant des portraits ; a multiplié les articles sur les rapports entre les hommes et les femmes, sur la psychologie féminine (le courrier des lecteurs fut un indice précieux sur le lectorat du magazine). Les pages sont devenus moins androcentriques qu’elles ne l’étaient au départ, en s’adressant à un lecteur lambda, et en évoquant moins l’homme comme un dominateur, même s’il reste des images vivaces de l’homme comme prédateur «» les hommes restent des chasseurs à l’extérieur de leur couple, rappelle le docteur Delfieu. Mais à l’intérieur, la femme assure le repos du guerrier. Le point d’ancrage du prédateur que vous êtes» 749 .
Les magazines masculins spécialisés dans le pôle santé-forme et sur l’ego masculin prônent une image de l’homme en proie à des difficultés avec son corps, avec les femmes et leur offrent une représentation de l’homme mannequin, performant vers laquelle les lecteurs sont invités à tendre. Or, il existe une distorsion importante entre la réalité de ce que sont les hommes, les lecteurs au quotidien et la perfection de l’image masculine qui leur est présentée. Dans les réponses toute prêtes données par le groupe Rodale à ses diverses versions lors d’un colloque, à l’affirmation «aucun homme que je connais ne ressemble à l’homme de la couverture», le groupe Rodale conseille de répondre : «Oui, mais combien d’hommes parmi ceux que vous connaissez, aimeraient lui ressembler ? Combien de femmes ressemblent aux femmes en couverture de Vogue/Elle/Bazaar… ? Seulement les quelques-unes unes qui apparaissent actuellement sur ces couvertures ! L’idée est de motiver les hommes à atteindre leur mieux-pour les forcer à réussir le challenge, à atteindre maintenant leur but» 750 . Nous verrons que l’analyse du courrier des lecteurs de ces deux magazines montre que les lecteurs ne se retrouvent pas dans ces figures de l’éphèbe musculeux (mais qu’elles sont les figures idéalisées par les épistoliers), ni dans certains des produits qui leur sont destinés par le magazine mais qu’ils ne peuvent, faute de moyens financiers suffisants, acquérir. En effet, il semble que les magazines spécialisés n’aient pas appréhendé leur lectorat tel qu’il est en réalité. En voulant s’adresser à des cadres, à des lecteurs au niveau de vie élevé, les rédactions leur ont proposé des contenus et des représentations masculines avec lesquels les lecteurs ne sont pas en accord. Quand Men’s Health véhicule une image de «presse pour cadres», il se révèle, à travers les enquêtes de AEPM que les lecteurs du magazine sont plutôt employés, étudiants ou appartiennent aux professions intermédiaires 751 et que leur pouvoir d’achat ne soit pas aussi élevé que celui que le magazine pensait. Outre une représentation masculine associée à la notion de performance, de perfection physique, les magazines véhiculent l’image d’un homme machiste, pour qui les femmes sont des trophées. C’est donc une image traditionnelle de l’homme qui est véhiculée dans la presse spécialisée qui, tout en prônant un rapport au corps, à la beauté masculine qui sert alors de caution à une supposée évolution de la manière de traiter du masculin, et s’appuie sur une représentation de l’homme conquérant et hétérosexuel. Toutes ces parutions semblent nier une partie de leur lectorat, évinçant ainsi une figure masculine pourtant représentée parmi les lecteurs des magazines : celle des homosexuels. Comment la figure de l’homosexuel est-elle abordée ? Son absence n’est-elle symbolique du caractère particulièrement machiste de certaines de ces publications et ceci autant pour les magazines qui ont choisi une formule gynécentrée qu’androcentrée ?
Nous verrons dans la troisième partie de cette thèse que c’est cette image de couverture que les hommes veulent atteindre.
Dans son dernier numéro, M Magazine a publié un dossier sur le rapport des hommes avec leurs poils. Ecrit par André Giordan, épistémologue qui après avoir évoqué les raisons pour lesquelles les humains sont pourvus de poils, énonce quelques hypothèses sur l’épilation des hommes. Selon lui, «le poil 2001, placé sous le signe du ras, semble marquer un signe de rusticité dans une société encline au clean» ; ce serait donc par souci d’hygiène que les hommes s’épilent. Il émet aussi l’hypothèse d’une recherche d’androgynie qui passerait par l’épilation masculine.
Men’s Health n° 11 de juillet-août 2000.
MOSSE G., L’image de l’homme. L’invention de la virilité moderne», op. cit.
Men’s Health n° 23 d’octobre 2001.
Ibid.
Men’s Health n° 24 de novembre 2001.
Propos tenus par le rédacteur en chef du magazine M Magazine lors de l’entretien du 5 décembre 2000.
La rédaction de M Magazine déclarait ne pas avoir d’études concrètes sur leur lectorat, elle en avait une idée assez large (25-40 ans), et surfait sur l’idée d’un lectorat assez cultivé, appartenant aux classes sociales supérieures en associant l’intérêt pour le corps, pour la beauté à une population masculine socialement favorisée. C’est notamment en lançant lui-même un enquête auprès de ses lecteurs que le magazine espérait recentrer son contenu. Cette enquête qui n’a pas eu le temps de paraître, faisait état d’un homme trentenaire, en complète opposition avec l’image de l’homme musculeux, aisé et égocentrique que le magazine distillait jusqu’alors dans ses pages.
M Magazine n° 39 de juin 2001.
Propos écrit dans un rapport en anglais remis aux membres des diverses rédactions par le groupe Rodale afin de répondre aux questions les plus récurrentes.
L’enquête que nous a fournie AEPM s’intéresse au lectorat de Men’s Health entre juillet 2000 et juin 2001. Elle donne des indications quant au profil-type du lecteur : il a entre 15 et 34 ans, avec une majorité entre 15 et 24 ans, il est employé, ouvrier, profession intermédiaire ou étudiant (mais pas cadre, lesquels sont peu présents), a suivi des études supérieures, urbain et provincial, vit en couple sans enfant ( ce qui expliquerait que les enfants sont peu présents dans les articles du magazine).