-L’exclusion de la communauté homosexuelle dans les textes de la presse masculine spécialisée.

Chaque rédacteur en chef que nous avons interrogé sur la composition du lectorat de son titre a évoqué la présence de lecteurs homosexuels. Chez Le Magazine de l’Optimum, c’est au nombre d’hommes célibataires parisiens lisant le magazine que l’on identifie le lectorat homosexuel : «C’est un lectorat très urbain, célibataire, à savoir que l’on sait à Paris que les hommes seuls sont les homosexuels. Comme tous les masculins, nous avons une partie du lectorat qui est composée des homosexuels» 752 . Mais si, dans les contenus de ce magazine, rien n’évoque les préférences sexuelles des hommes, notamment parce la personne n’est pas véritablement le sujet principal du magazine, qui est plutôt les centres d’intérêt des hommes, les autres magazines masculins offrent quant à eux, des articles sexuellement orientés.

Chez Men’s Health, la rédaction communique très peu sur ce sujet ; seul le groupe Rodale communique de manière internationale : à la question «Men’s Health est-il un magazine gay ?», le groupe répond «ce magazine est pour tous les hommes qui veulent prendre le contrôle de leur vie. Nous nous adressons à des hommes qui veulent se sentir mieux et paraître mieux. Nous ne faisons pas de distinction dans notre éditorial –nous parlons à tous les hommes qui veulent améliorer leur vie. Quant à nos mannequins en couverture, ce sont des hommes qui sont aux commandes de leur vie. Ils sont heureux avec leur corps, ils sont en accord avec eux-mêmes» 753 . Si le groupe ne communique guère officiellement sur son lectorat homosexuel, il ne le fait pas non plus à travers ses numéros. En effet, dans les 25 numéros parus entre la naissance de Men’s Health et décembre 2001 et qui constituent notre corpus, nous n’avons repéré que deux sujets sur l’homosexualité : un texte écrit par le politicien Jean-Luc Roméro dont lequel il explique sa vie d’homosexuel confronté au départ de son ami atteint par le Sida. Ce texte intitulé «je suis homosexuel, un point c’est tout !» est précédé d’une introduction de la rédaction qui rappelle ici, ce que le groupe Rodale met en avant dans ses communications : la non-distinction entre ses lecteurs. Ainsi, Men’s Health France écrit : «ce n’est pas un texte sur l’homosexualité ni une contre-expertise du coming-out. C’est un texte sur l’amour, la vie, la mort aussi. L’important pour nous n’étant jamais de savoir avec qui chacun choisit de faire l’amour, mais bien plus d’écouter ce que tous les hommes ont à nous dire. A vous dire. Un point, c’est tout» 754 . Quant à la seconde allusion, elle a lieu au cours d’un dossier sur «les mystères du sexe enfin révélés» dans lequel le magazine s’interroge sur «pourquoi fantasme-t-on sur les lesbiennes alors que les gays laissent les femmes de glace ?» 755 . Chez son concurrent M Magazine, c’est la même gestion de cette partie du lectorat : nous avons repéré une brève dans le numéro 20 de novembre 1999 sur «comment reconnaître un queer ?» 756 et dans laquelle le magazine qualifie les homosexuels par «nos frères gays». Afin de justifier cette absence de texte sur la communauté gay, le dernier rédacteur en chef qualifie son magazine de presse hétérosexuelle et ce, au regard d’un contenu qui est, comme celui de Men’s Health, hétérocentré. Les dossiers sur les sexes n’évoquent que des couples hommes-femmes et dont l’homme est le meneur et doit prendre les initiatives ; dans son numéro 14 de novembre 2000, le magazine évoque aux hommes comment devenir l’objet sexuel de leur femme et rappelle que ceci doit être exceptionnel : «virtuellement le héros, c’est vous. Si bien que votre partenaire de jeux en oublie parfois sa réplique. Pour une fois, changez le scénario. La star, c’est elle» 757 . Si les contenus sont hétérocentrés (les couples sont composés d’hommes et de femmes, jamais il n’est fait allusion à des couples pouvant être homosexuels ou lesbiens), en revanche, les illustrations présentant des mannequins masculins nus, musculeux et lascifs sont autant d’invitation au regard masculin. Pour le dernier rédacteur en chef de M Magazine, cette attirance est légitime : «Notre journal est explicitement hétérosexuel, mais on n’exclut pas que des lecteurs homos nous lisent, on en est même plutôt ravi, plus on nous lira, mieux on se portera, mais on ne fait rien pour les attirer particulièrement, même si la couverture est parfois… manifeste une certaine ambiguïté et qu’elle peut attirer des homos. Je sais pourquoi ils nous lisent. Et puis on voit dans le courrier que les homos ont cette espèce de culte du corps, c’est une certitude, dont s’ils nous lisent, c’est quelque fois pour la couverture qui montre effectivement des mecs très taillés, des abdos nickels» 758 Les magazines spécialisés dans le culte du corps présentent donc une distorsion entre des illustrations et des thèmes accrocheurs et attrayants pour la communauté homosexuelle, tout en la niant dans la manière d’aborder ces thèmes : la cible des articles de la presse spécialisée est un homme hétérosexuel qui veut prouver à sa compagne féminine qu’il est à la hauteur. Cet «appel du pied» conscient fait aux lecteurs homosexuels a été évoqué par le magazine Tétu qui, passant en revue le positionnement de la presse masculine face à l’homosexualité évoque Men’s Health comme «une sorte de réservoir à branlettes (…) Entièrement dédié à la gloire du corps, ce journal est peuplé de gym queens : elles sont là à chaque page, tous pecs dehors, elles vous snobent avec ce petit sourire qui dit : «T’aimerais bien baiser avec moi ? Eh bien, tu peux te gratter !» On peut, en bon angoissé, finir par se demander si Men’s Health, comme les magazines Physique Pictorial en leur temps, ne promeut pas en douce une nouvelle forme d’esthétique masculine et une confrérie du «gym-queenat» 759 .

Une partie des lecteurs de la presse spécialisée, partie qui n’est pas quantifiable mais qui nous semble importante au regard du nombre élevé de lettres à ce sujet envoyées aux deux rédactions, est donc niée dans les contenus textuels hétérocentrés mais attirée, à travers les photographies, par une image masculine semblable à celle que véhicule dans ses pages la presse homosexuelle. En revanche, la presse masculine mêlant le charme à la dérision (FHM) évoque à multiples reprises la communauté gay, en en dressant une caricature pour laquelle elle fut violemment attaquée dans Tétu.

Notes
752.

Propos tenus par le rédacteur en chef du Magazine de l’Optimum lors de l’entretien du 17 août 2000.

753.

Texte traduit de l’anglais et issu d’une communication fournie par le groupe Rodale à toutes ses rédactions à travers le monde.

754.

Men’s Health n°18 d’avril 2001.

755.

Men’s Health n° 5 de décembre 1999.

756.

Le magazine présente alors ce qu’est un queer : «simple à repérer : il affiche un look homo stéréotypé (Village People), il fréquente les mêmes circuits, mais c’est de l’hétéro pur jus, souvent beauf, qui cherche à se donner des airs de branché. Nos frères gays ne savent pas s’ils doivent en rire ou crier à la récup', car, à l’origine, queer (bizarre, étrange, pédé, an argot américain) désigne tout un mouvement gay, politique, de remise en cause radicale des normes sexuelles, sociales, culturelles établies»

757.

Men’s Health n°14 de novembre 2000.

758.

Propos tenus par le rédacteur en chef du magazine M Magazine lors de l’entretien du 5 décembre 2000.

759.

Tétu n° 59 de septembre 2001.