a) La femme érotisée.

C’est une femme morcelée que la nouvelle presse masculine met en avant. Si les hommes, notamment dans la presse spécialisée apparaissent en entier, les femmes sont au second plan ou seulement représentées par quelques parties, les plus érotiques de leur corps.

-Les seins, les hanches, les mains : une femme morcelée…

Qu’ils aient fait ou non de la femme leur emblème, les nouveaux masculins en font tous une représentation érotisée, et mettant en avant des parties de son corps. Si FHM a choisi un positionnement gynécentré dans lequel les femmes parlent, il n’empêche que les entretiens sont mis en scène, et passent par une érotisation de la jeune femme. En effet, le magazine ne présente que des femmes en maillot de bain, en robe courte, short… en couverture comme dans ses pages et qui laissent apercevoir les parties les plus connotées du corps féminin ( seins, hanches, chute de reins…). C’est le même traitement que subissent les femmes des magazines spécialisés, représentées soit entièrement mais de manière dévêtue, soit uniquement sous la forme d’une partie du corps. Ainsi dans Men’s Health, pour aborder une brève sur «comment monter un chameau», c’est une femme aux seins nus qui est présente avec pour légende «le chameau a deux bosses, sa femme aussi» 768 . Le magazine donne d’ailleurs des conseils aux hommes pour repérer les faux seins : «repérer les cicatrices (c’est plus marrant que de chercher les œufs dans le jardin le jour de Pacques. Si la poupée n’est pas (encore) nue, regardez les contours du haut de sa poitrine» 769 . Mises en valeur par de petites tenues choisies par les stylistes de la rédaction ( qui font beaucoup usage du cuir, de peaux, de résille… autant de matériaux à consonance érotique), les jeunes femmes posent alanguies sur la plage, couchées sur un sofa… Une figure féminine est récurrente, notamment dans les magazines spécialisés : l’infirmière mais une infirmière particulièrement sexy et érotisée (blonde, blouse ouverte sur une poitrine opulente) et qui correspond au mythe tenace de l’infirmière et du pouvoir de l’uniforme. Cette image de l’infirmière a été analysée par E. Goffman 770 dans la publicité et montre l’importance de cet élément enchanteur, tout en laissant à la personne vêtue en infirmière son statut de femme. On retrouve ainsi, à travers l’image véhiculée de la femme au travers de la presse masculine spécialisée, l’image de la femme dans la publicité au moment de l’étude de E. Goffman. En effet, il concluait que la publicité reproduisait la hiérarchie traditionnelle entre les sexes en accordant une position inférieure à la femme, en la présentant comme un objet, comme joueuse, soumise et en lui faisant tenir une place secondaire derrière l’homme. Nous avons vu que les couvertures de M Magazine qui, contrairement à son concurrent direct, mettent des femmes en une mais uniquement en couple et cachées derrière l’homme. Même si la figure de la femme a évolué dans la publicité 771 , il n’en demeure pas moins que certaines images sont tenaces et que celles-ci se retrouvent aussi à travers les illustrations des articles de presse masculine. Ainsi nous verrons en fin de cette partie que la presse masculine use de stéréotypes traditionnellement véhiculés sur la femme et donne de cette dernière une image d’infériorité face aux hommes, qui eux conservent une image supérieure et machiste.

C’est donc une image de la femme objet, soumise, infériorisée, lascive, sexy, réifiée… que la presse masculine spécialisée comme la presse à tendance charme véhicule. Cette image de la femme s’apparente à celle que Richard Poulain décrit dans son article la pornographie comme faire-valoir sexuel masculin. Dans la pornographie, la femme n’a de valeur que jeune, jolie et corps et devient de fait une femme aliénée qui a perdu son identité : «ce mode d’enfermement dans la beauté plastique, dans le corps, dans le sexe -on prendra les mensurations, jamais le quotient intellectuel- est une technique d’infériorisation des femmes» 772 . Si FHM déroge en deux points de cette femme réifiée et aphone, c’est justement d’une part en lui donnant la parole et d’autre part en consacrant une rubrique de ses numéros à la femme laide. En effet et comme le note Jean-Claude Kaufmann dans son étude sur le corps des femmes, regards d’hommes 773 , seule la nudité de la femme belle a le droit de citer. C’est dans ces décalages en présentant des corps féminins gras, mutilés, vieillis, laids… qu’FHM 774 , à travers le Journal du Pire, se différencie des autres magazines masculins dans les images des femmes qu’il offre à voir au regard masculin. Men’s Health offre aux hommes une femme fantasmée : en nuisette certains soirs, nue, en uniforme et sans sous-vêtements sous une jupe (pour le magazine, les objets de fantasme des hommes ne portent pas de culotte : «vous fantasmez sur ses longues jambes en imaginant comment vous pourriez lui retirer sa jupette ( sous laquelle elle ne porte rien)» 775 . Les femmes sont donc avant tout des objets du désir masculin : «si elle est là, allongée sur le lit, lascive comme ce n’est pas permis, suçotant son doigt comme au cinéma, c’est qu’elle attend la caresse. Alors touchez» 776 .

Ce sont donc des femmes sexy, aguichantes (dont le regard est fixé sur l’objectif du photographe et donne l’impression au lecteur de le regarder dans les yeux), mais qui donnent aussi une impression de force, de détermination avec une expression du visage rageur, qui sont montrées dans la presse masculine. Les photographies sont rarement souriantes : ainsi celles du numéro 29 de décembre 2001 de FHM montrent Sarah Michelle Gellar tenant un fouet 777 . Quant aux pages intérieures, les femmes y sont présentées de la même manière, dans les mêmes poses, plus comme des femmes-objets devant attirer le regard masculin que comme des faire-valoir des hommes. En effet, les femmes qui posent dans FHM posent seules, rarement elles sont accompagnées par des hommes.  C’est notamment dans les pages de mode et à travers les séries de photographies présentant de nouveaux modèles que les femmes accompagnent de temps à autre les hommes. En revanche, dans les magazines spécialisés, les femmes sont rarement seules, elles accompagnent les hommes. En évoquant la femme sous ses aspects intimes ( autant sur le dévoilement de sa vie privée que sur le dévoilement de son corps dans les photographies), le magazine FHM offre aux lecteurs une image parfois déroutante de personnalités jusqu’alors reconnues pour leur côté sage. Dans son numéro 30 de janvier 2002, le magazine a ouvert ses pages à Eve Angéli, jeune chanteuse française et la fait poser nue en couverture, mais ceci à sa demande. En effet, intrigués par sa présence et sous cette forme dans les pages du magazine, nous avons demandé au rédacteur en chef comment cette séance avait été envisagée par la chanteuse. Selon lui, «c’est elle qui voulait casser complètement son image. Elle a une image de chanteuse pour ados et elle voulait casser ça. C’est vrai que moi ça m’intéressait de voir si on pouvait justement faire quelque chose dans ce sens-là» 778 . Quant à elle, elle explique ces photos de charme comme des photographies «sexy, sensuelles mais pas vulgaires. Avec ce genre de photos, le risque pour une fille, c’est de ne pas rester digne. Les tenues sont assez bimbo, notamment la brassière en cuir, c’est très cliché, mais comme j’ai encore un visage un peu enfant, ça passe… J’aurais pu aller encore plus loin, mais ce n’était pas mon but. J’aurais pu faire encore plus garce, croyez-moi, mais pour une première fois, c’est déjà pas mal» 779 . Mais si les femmes de la couverture et celles auxquelles la parole est donnée afin d’illustrer des séances de photographies sont présentées comme sexy et possédant une personnalité forte leur permettant un pouvoir sur les hommes ( et donc sur les lecteurs), une autre femme est aussi présente dans les pages du magazine, et ceci dans les dossiers et textes : elles ont dans FHM, contrairement aux magazines spécialisés, le droit à la parole.

Notes
768.

Men’s Healthn° 11 de juillet-août 2000.

769.

Men’s Health n°21 de juillet-août 2001.

770.

GOFFMAN E., «La ritualisation de la féminité», Actes de la recherche en sciences sociales, n° 14, avril 1977, pp. 34-50.

771.

Si nous avons pris le parti de ne pas nous intéresser à l’image de la femme et de l’homme dans les publicités de la presse masculine, c’est parce que ces publicités ne sont pas du ressort des rédactions mais des publicitaires et que d’autre part, diverses recherches ont été menées sur ce sujet

772.

POULAIN R., «La pornographie comme faire-valoir sexuel masculin»,in WELZER-LAND D. (sous la dir.), Nouvelles approches des hommes et du masculin, op. cit, p. 58.

773.

KAUFMANN J-C., Corps de femmes, regards d’hommes. Sociologie des seins nus. Paris, Nathan, Pocket, 1998, 295 p.

774.

L’édition anglaise de FHM a fait paraître dans le courant de l’année 2001 un supplément intitulé «The Carnaval of the foolness» dans lequel étaient compilées des photographies d’excroissances, des personnes mangées par des animaux (boas)… Or, ce supplément est soupçonné d’être la cause de la mort d’une jeune fille dans un lycée. Horrifiée par ces clichés, elle aurait dévalé l’escalier se trouvant derrière elle.

775.

Men’s Health n° 23 d’octobre 2001

776.

Men’s Health n° 6 de janvier-février 2000.

777.

Les magazines spécialisés utilisent aussi les gros plans sur les accessoires érotiques : talons aiguilles, bas résille, gants en latex…

778.

Propos tenus par le rédacteur en chef de FHM lors de l’entretien du 18 janvier 2002.

779.

FHM n° 30 de janvier 2002.