b) Quand la femme doit être blonde, lectrice d’Harlequin et fan d’André Rieu…

C’est une femme attirante sexuellement et érotisée qui est présentée dans les magazines masculins, lesquels utilisent les stéréotypes traditionnels sur la femme manipulatrice et manipulable dont il faut se méfier…

-La proie sexuelle… , pour les hommes, culturellement inférieure.

Nous avons montré que la femme dans la nouvelle presse masculine est le faire-valoir et l’objet des hommes. En effet, elle est présentée comme soumise à l’homme, notamment en ce qui concerne la vie sexuelle dans laquelle elle est une proie ( l’homme est le chasseur), mais aussi un réceptacle. Ainsi, le magazine Men’s Health a recours à des images non flatteuses pour les femmes dans l’activité sexuelle : «ce n’est pas le tout de déposer son bulletin dans l’ «urne», encore faut-il se renouveler pour rester toujours au «sommier» de son art» 785 ou encore «il est rare qu’une femme décolle lorsque son partenaire la pistonne comme s’il était sponsorisé par une marque de perceuse à percussion» 786 . La femme est donc le corps vers lequel sont lancés les assauts de la performance masculine. Pour Men’s Health, les femmes peuvent ainsi servir au maintien en forme de l’homme, par l’acte sexuel mais aussi à travers les exercices sportifs : dans un article sur les moyens à utiliser pour se forcer à faire du sport, le magazine conseille : «demandez-lui d’emménager chez vous. Portez tout son barda jusqu’à la maison. Puis, dès le week-end, rompez et rapportez tout chez elle. Il paraît que pour certains hommes, cette activité représente un programme d’exercice régulier…» 787 .

La femme est donc l’outil de l’homme, elle est manipulable et les magazines la décrivent comme bête, aliénée par certaines pratiques féminines dont le pouvoir sur elles est important : c’est en grandes lectrices de la presse féminine, en consommatrices de chocolat, en dépensières, en amatrices de littérature et de crooners… que les femmes sont présentées. FHM s’est ainsi mis dans la peau d’une femme pendant un mois 788  ; pour lui, la vie des femmes se résume à «vivre en jupe», « marcher avec des talons», «la tchatche entre copines», «pleurer», «se demander quelle presse féminine lire»… et se caractérise par un amour immodéré pour les appareils ménagers et la littérature et musique romantique. C’est ainsi que le magazine FHM se représente la femme ; en février 2001, le magazine lance le concours «gagnez une vraie femme en kit» et propose en lot au vainqueur une poupée à taille humaine et une multitude d’accessoires et instruments symbolisant la femme 789 s’élevant à 8501 euros (plus de 55000 francs), utilisant ainsi les stéréotypes fortement ancrés d’une femme fragile, sentimentale et attachée à la tenue de la maison. Cette image qui a valu à FHM de nombreuses critiques de la part des médias, et surtout des lectrices, est totalement assumée par la rédaction qui referait ce concours, en accentuant encore certains traits, selon le rédacteur en chef. Cette image est aussi partagée par Men’s Health : dans son numéro 6 de janvier-février 2000, dans le cadre du manuel de l’homme pressé, le magazine utilise les mêmes stéréotypes et accessoires pour qualifier la gent féminine : «finalement, elles ont besoin de si peu de choses pour ronronner de plaisir : un épisode d’Ally Mac Beal, un robot ménager 228 fonctions, une Mercédes 500 SEL.» 790 et récidive dans le numéro 11 de juillet-août suivant, en proposant aux hommes des «sacrifices à accorder aux femmes» pour pouvoir visionner la finale de la coupe du monde de football : «promettez-lui de repasser en boucle tous les épisodes de Cordier, juge et flic, de faire la vaisselle pendant les 2 mois à venir, de partir en vacances chez sa mère. D’accord l’été sera pourri mais vous l’aurez vu cette satanée finale ! La fin justifie les moyens» 791 . En septembre suivant, il illustre un article sur «décrypter l’appart d’une fille» 792 avec des objets sensés être récurrents dans les foyers féminins : là encore, ce sont les livres d’amour, de psychologie, les cassettes vidéos telles que celle de Titanic, les Cd de Frédéric François, la multitude de produits de beauté et de produits allégés, les peluches, la presse féminine et la presse people sur le lit, le téléphone à portée de la main, le journal intime… En proposant une fois l’an une déclinaison de FHM pour les femmes sous le titre FHM Madame 793 , le magazine propose aux femmes des conseils pour devenir une véritable bimbo, leur offre des portraits d’hommes attirants ( pourquoi les hommes photographiés ne seraient pas, au regard des femmes photographiées dans FHM, eux aussi presque nus alors qu’ils sont ici entièrement vêtus ?), leur donne des conseils pour bien élever son mari : «bien le nourrir»,  «le promener», «lui apprendre la propreté»… En comparant l’homme à un bébé, le magazine insiste sur le rôle maternel de la femme.

Dans FHM, certaines rubriques ont pour cible les femmes : la revue de presse 794 , l’horror...scope où le caractère et les actions des femmes devaient être décodés en fonction des prédictions des différents horoscopes des magazines féminins. De cette manière, le magazine montrait une femme crédule, influençable, fragile, non maîtresse de son destin 795 , qui peut se révéler dangereuse car manipulatrice et dont les soucis quotidiens sont de l’ordre du «problèmes de surtaxe pour excédent de bagage en première classe, rotation de ses trente sacs à main, risques de gingivites afférent à l’usage de certaine pilule contraceptive» 796 . A ces deux rubriques, vient s’ajouter L’observatoire des chieuses qui, chaque mois, répertorie ce que les femmes (connues et inconnues) ont fait subir aux hommes 797 en présentant «la chieuse», «la victime», «ce qu’elle a fait» et «la punition» que le magazine se verrait bien affliger à ces femmes. Elles sont taxées de menteuses, de preneuses de tête, d’espionnes, de meurtrières, d’entremetteuses, d’envoûteuses… Ce sont donc des portraits de femmes dont il faut se méfier qui sont offerts, via ses rubriques, aux lecteurs du magazine. Mais pour le directeur de la rédaction de FHM, cette image distillée de la femme est à prendre au second degré, elle ne correspond en rien à la véritable image que les journalistes de FHM auraient des femmes.

Les magazines masculins contribuent donc à la conservation des stéréotypes participant à la construction de l’image négative et inférieure à l’homme de la femme. En véhiculant une image ancienne de la femme fragile, attirée par les produits culturels emprunts de romanesque, soumise à l’homme sexuellement et attachée à la bonne marche de son foyer, les magazines jouent de cette image proposée au regard des lecteurs pour conforter ces derniers dans leur place de machos. Car, pour Jean Cornut dans son ouvrage Pourquoi les hommes ont peur des femmes, le macho est celui qui se sent supérieur, par nature, à la femme mais aussi à l’homosexuel passif : «dans la conviction du macho, la domination masculine procède de l’évidence ; elle est ainsi comprise, acceptée, assumée, universelle ; les hommes sont plus forts, plus intelligents, plus ingénieux, plus courageux. Tout simplement ils sont «plus», et c’est une évidence incontestable. Ou plutôt : c’est impensable que l’on envisage de la contester» 798 . C’est donc une image machiste que la nouvelle presse masculine renvoie à ses lecteurs, en s’attaquant aux femmes, et en niant les homosexuels ou en les présentant sous des caricatures parfois à consonances homophobes ; ils contribuent ainsi à la conservation des modèles anciens sur la suprématie de l’homme sur la femme, notamment sur la domination sexuelle mais aussi intellectuelle, et sur le mythe de la femme objet soumise aux regards masculins.

Notes
785.

Men’s Health n° 11 de juillet-août 2000.

786.

Men’s Health n°23 d’octobre 2001.

787.

Men’s Health n° 6 de janvier-février 2000.

788.

FHM n° 13 d’août 2000.

789.

Ce sont le livre «Pourquoi je suis une chienne de garde» d’Isabelle Alonso, un kilo de cœur d’artichaut, un flacon de larmes artificielles, une boite de Kleenex, un parfum de femme, deux disques de filles (Patrick Fiori et Ricky Martin), un film qui fait pleurer les filles ( une vie à deux avec Bruce Willis), un tire-comédons, anti-points noirs, deux livres de Barbara Cartland, un an d’abonnement à Nous-Deux, un an de massage relaxant, une heure d’engueulade au téléphone avec une comédienne, et le magazine s’engage à verser pendant un an une somme de 500 Frs ( 90 euros) à une association caritative en guise de pension alimentaire. En outre, il offre des appareils ménagers, à savoir : une cafetière, un fer à repasser, un aspirateur, un robot et un parfum d’intérieur.

790.

Men’s Health n° 6 de janvier-février 2000.

791.

Men’s Health n° 11 de juillet-août 2000.

792.

Men’s Health n° 12 de septembre 2000.

793.

FHM Madame d’août 2001.

794.

Elle a pour but de montrer l’influence jugée néfaste par le magazine de la presse féminine sur les lectrices. Le magazine y repère les conseils donnés et informe les lecteurs de ce qui les attend : le numéro 26 de septembre 2001 y propose: «votre mère laisse traîner des magazines licencieux dans le salon ? Non, c’est Elle qui fait des couvertures qu’aucun magazine pour hommes n’oserait publier… Et ces seins-là, ils sont 100% bio ?» et d’autres sont beaucoup plus sexuellement connotées.

795.

Le numéro 10 de mai 2000 prédisait aux natifs de la vierge : «le genre Bisounours, gros, tendre et poilu, c’est un peu le vôtre. Ca tombe bien, une lectrice de 20 Ans, native du Capricorne, se délectera de votre présence à ses côtés. Attention : elle est fragile car, à en croire les anciens horoscopes du même magazine, elle a beaucoup souffert avec ses ex».

796.

FHM n° 10 de mai 2000.

797.

La rubrique est ainsi présentée : «Toutes les femmes ne nous veulent pas du bien. Certaines, vicieuses, bêtes ou méchantes, font même leur possible pour nous nuire. Relevé des pires exactions féminines».

798.

COURNUT J., Pourquoi les hommes ont peur des femmes, op. cit, p. 270.