a) Le contrat de lecture ou l’acte de lecture expliqué aux lecteurs.

Dès leur premier numéro, les magazines de la nouvelle presse masculine ont multiplié les appels à collaboration des lecteurs, voire même pour certains magazines comme nous l’avons montré pour FHM, avant la sortie du premier numéro et ce, via d’autres supports de presse. Ils ont aussi multiplié les questionnaires à remplir par les lecteurs sur leurs goûts et préférences quant aux rubriques du magazine afin d’adapter et de proposer un contenu en étroite relation avec les attentes des lecteurs. C’est ainsi que si les magazines ont tout d’abord proposé des contenus fondés sur d’une part une image virtuelle ou idéalisée du lectorat 822 , ils ont rapidement, via les réponses aux questionnaires renvoyés par les véritables lecteurs et le courrier spontanément envoyé, repositionné leurs contenus (tous les magazines ont éliminé certaines rubriques, en ont crée de nouvelles : le corps des magazines évoluant sans cesse en fonction des demandes des lecteurs).

Eliséo Véron, dans ses études consacrées à la presse écrite, s’est intéressé aux liens unissant les sphères productrices et réceptrices et aux «conditions et déterminants de la lecture d’un support de presse» 823 . La relation entre les deux instances repose sur ce qu’il dénomme le «contrat de lecture». Celui-ci se présente comme «un dispositif d’énonciation, qui diffère selon les organes de presse, où est mise en forme la relation de lecture que propose le producteur du discours, en l’occurrence l’éditeur et l’équipe rédactionnelle, à ses lecteurs. Le contenu compte, mais la façon de dire prime pour ce qui est une relation particulière, si possible durable, un lien affectif ou privilégié avec le lecteur» 824 . E. Véron analyse l’étude du «contrat de lecture» ainsi : «l’étude du contrat de lecture porte, par conséquent, sur tous les aspects de la construction d’un support de presse, dans la mesure où ils construisent le lien avec le lecteur : couverture textes/images, mode de classement du matériel rédactionnel, dispositifs d’appel(...), modalités de construction des images, types des «parcours» proposés au lecteur et les variations qui s’y produisent, modalités de mise en page et bien d’autres dimensions qui peuvent contribuer à définir la façon spécifique par laquelle le support construit le lien avec son lecteur» 825 . Chaque magazine possède donc sa spécificité, son propre contrat de lecture, en relation avec son lectorat et qui lui permet de le fidéliser. Ainsi les magazines de la nouvelle presse masculine ont choisi d’avoir recours à un positionnement androcentré ou gynécentré, spécialisé ou généraliste, sérieux ou ludique, pratique ou divertissant et en fonction de ces positionnements, ont établi des contenus adaptés à l’âge des lecteurs et de la culture de ceux-ci. C’est pourquoi les magazines spécialisés dans le pôle santé-forme ont recours à des illustrations de figures masculines et féminines ayant une trentaine d’années alors que les magazines tel que FHM utilisent des jeunes femmes d’une vingtaine d’années, comme leurs lecteurs.

En proposant aux lecteurs une structure générale commune à tous les magazines étudiés, à savoir les pages d’informations et de brèves, les dossiers, la mode ( avec quelques rubriques dont l’emplacement diverge d’un magazine à un autre), la nouvelle presse masculine offre au lecteur une profusion d’information et des réponses à ses questions dès les premières pages, lui consacrant ainsi une place de choix : l’ouverture du magazine. Quant au dossiers et page de mode, ils viennent plus tard notamment à cause de l’impossibilité de les couper par des pages de publicité, lesquelles sont légion en début et en fin de magazine. Les pages de mode constituent à elles seules une partie du magazine, la première étant consacrée à l’information, la seconde lui revient immuablement dans les magazines étudiés.

C’est pour créer une osmose entre le lecteur et le contenu du magazine et ainsi le fidéliser que les magazines adoptent l’interactivité et l’implication du lecteur dans la construction du magazine. Le magazine FHM dans son premier numéro des mois de juillet-août 1999 a lancé un avis à ses lecteurs : «comment faire son FHM ?» en expliquant que le magazine aimerait connaître ce qu’on attend de lui, rubrique par rubrique, une rubrique étant crée uniquement pour publier les lettres critiques envers le magazine 826 . Ainsi, chaque rubrique est détaillée, le magazine expliquant ce qu’il attend des lecteurs, en quoi les lecteurs peuvent leur être utiles. Pour la rubrique Courrier des lecteurs, le magazine demande «apportez des commentaires sensibles, généreux, et si possible émouvants», «des critiques, très critiques, sur FHM ( elles seront regroupées dans une rubrique spéciale, au cas où elles dégageraient de mauvaises odeurs)…», pour la rubrique Journal du Pire «dénoncez les chieuses de tout poil. Si l’une d’entre elles vous a fait vraiment souffrir, racontez-nous votre histoire»… Si tous les magazines reçoivent des lettres de mécontentements et critiques, ils ne publient pas tous des demandes d’envoi de critiques : M Magazine et Men’s Health ont instauré des rubriques dans lesquelles ils publiaient les lettres relatives à des erreurs de contenu, des divergences de point de vue… mais longtemps après les premiers numéros 827 et pour donner une existence publique à des lettres envoyées spontanément par les lecteurs. Mais tous, dès les premiers numéros, ont joint au contenu de leur magazine des questionnaires sur le rapport des lecteurs avec les dossiers et rubriques ; ainsi FHM dans son premier numéro pose 6 questions à ses lecteurs ( un abonnement gratuit est offert aux premiers répondants afin de stimuler les lecteurs) concernant les sujets préférés, ceux qui ont déçu, ceux qui «vous hérissent définitivement le poil», les légendes qui ont le plus fait rire, les photos préférées et demande d’établir un classement des rubriques en fonction des préférences, de leur degré humoristique… Men’s Health n’a interrogé son lectorat sur le magazine que tardivement, en comparaison à FHM qui l’a fait dès le premier numéro, mais Men’s Health, en appartenant à un groupe américain dont il est la déclinaison doit respecter une charte à laquelle il ne peut déroger ; c’est pourquoi tous les Men’s Health à travers le monde se ressemblent, sont peu adaptés à la culture du pays dans lequel ils se trouvent, ces questionnaires n’engendreraient finalement que peu de changements.

Excepté FHM, les lecteurs de la nouvelle presse masculine sont peu interrogés directement sur leur rapport, leurs attentes auprès des magazines, tandis que ces derniers multiplient (Men’s Health notamment) les références, à travers leurs éditoriaux, à l’implication des lecteurs dans le contenu du magazine ; en revanche, les rédactions ont instauré des rubriques pour lesquels les lecteurs sont indispensables en tant que témoins, et tiennent ainsi le rôle de matériaux aux différents magazines, et ce à des degrés divers : entre Le Magazine de l’Optimum dans lequel le lecteur ne joue aucun rôle supplémentaire à celui de lecteur, M Magazine et Men’s Health dans lesquels les lecteurs sont invités à écrire des lettres concernant leurs problèmes auxquels les magazines s’engagent à répondre et FHM qui consacre un dixième de ses pages aux lecteurs et ce sous diverses rubriques, diverses formes ( questions, témoignages, jeux, fournisseurs de blagues…), faisant des lecteurs des «fournisseurs de contenu», la place offerte au lecteur oscille entre une simple lecture et une participation importance à l’élaboration des contenus.

Notes
822.

Certaines rédactions ont effectué des enquêtes, au commencement de la gestation de leur titre, visant ainsi à connaître les attentes en matière de presse masculine d’une catégorie ciblée d’hommes qui correspond à la cible que la rédaction voulait toucher et à proposer à cette catégorie un magazine qui, dès sa sortie devait correspondre à ses goûts. Or, il apparaît que ces magazines ont souvent, une fois lancés sur le marché, rencontré non pas le public ciblé mais un autre public, qui possède, notamment, un pouvoir d’achat inférieur à celui de la population ciblée.

823.

VERON E., «L’analyse du «contrat de lecture» : une nouvelle méthode de positionnement des supports de presse», in Les médias. Expériences, recherches actuelles, applications. Paris, IREP, 1985, p. 75.

824.

GONZALES P.,  «Production journalistique et contrat de lecture. Autour d’un entretien avec Eliseo Veron», Quaderni, n° 29, printemps 1996, p. 51.

825.

VERON E.,» L’analyse du «contrat de lecture» : une nouvelle méthode pour les études de positionnement des supports de presse», in Les médias. Expériences, recherches actuelles, applications, op. cit, p. 79.

826.

Le magazine promet de récompenser les meilleures lettres critiques qui seront réparties en 5 catégories : «la lettre la plus humiliante», «la critique la plus constructive», «la plus facile venant d’une femme», «la mise au point grammaticale la plus savante» et « la lettre la plus bête et méchante».

827.

La première publication du courrier des lecteurs concernant le magazine dans Men’s Health a eu lieu dans le numéro 5 de novembre 1999.