-Quand le lecteur de FHM est le héros de 10 % du magazine.

FHM a fondé son concept sur l’interactivité entre le magazine et les lecteurs. Ainsi, le magazine a multiplié depuis ses premiers numéros les appels à collaboration aux diverses rubriques. Dans le premier numéro, la rédaction invite les lecteurs à prendre la parole à 5 reprises : pour la rubrique Sex Questions ( ils peuvent poser sur 2 pages leurs questions relatives au sexe et à l’amour), sur le magazine lui-même, et qui deviendra la rubrique FHM et ses lecteurs (3 pages) pour laquelle ils peuvent envoyer des photographies, des critiques, des remerciements, des points de vue… , un appel à contribution pour la constitution d’une nouvelle version de la déclaration des droits de l’homme ( 2 pages), pour la rubrique Hospital ( 4 pages), ils peuvent envoyer des questions relatives à la santé, ils envoient leurs meilleures blagues pour FHM Blagues (Une page)… Ainsi, dès le premier numéro, FHM mise sur une forte interactivité en consacrant 12 pages sur un total de 162, soit 7.4 %. FHM a accentué la part consacrée aux lecteurs au fil de ses numéros ; ainsi dans le numéro 28 de novembre 2001, en plus des rubriques précédemment citées, le magazine leur consacre 3 pages à la rubrique Hotline dont le but est d’exaucer les vœux des lecteurs, dans la rubrique Action, les lecteurs sont invités à voter pour l’Etudiante du mois (1 page), Confession se révèle être un témoignage de lecteur sur une page. Outre ces pages qui sont des rubriques traditionnelles et qui reviennent tous les mois, le magazine multiplie les opérations exceptionnelles pour lesquelles les lecteurs sont mis à contribution, soit sous la forme de vote ( pour élire la fille la plus sexy…), soit sous la forme de jeu ( répondre à une question pour gagner un voyage…). Ainsi le taux d’interactivité de FHM avoisine les 10 % du total du numéro et est un choix de la rédaction afin d’une part de donner une visibilité à ce courrier important et d’autre part de rendre le magazine humain. Ce sont les raisons qu’a invoqué le rédacteur en chef du magazine à propos de la rubrique Hotline, plus communément surnommée «la lune» : «c’est venu il y a un peu plus d’un an et demi. On se disait que c’était dommage de ne pas mieux utiliser le courrier qu’on recevait et on s’est rendu compte que les gens nous contactaient en mettant un espoir assez hallucinant en nous, soit pour répondre à leurs questions, soit pour obtenir des trucs et c’est vrai qu’on est capable d’obtenir des choses pour eux, alors allons-y. On est aussi, par rapport à d’autres éditions, particulièrement interactif, on a 10 % des pages qui sont ouvertes ou liées à quelque chose qui se passe avec les lecteurs et là, c’est l’occasion de pousser ça à son maximum et de dire «regardez tout ce que FHM peut faire pour vous». On ne veut pas que les gens pensent que FHM est une lecture honteuse, un truc où tu sois obligé de te cacher pour lire, donc c’est aussi une façon de montrer au lecteur qu’il n’est pas tout seul à le lire, que c’est toute une communauté de lecteurs, qui ont le même esprit, qui aiment les mêmes choses, l’idée c’est vraiment ça, c’est une communauté… Le titre FHM, c’est 3 lettres un peu sèches, c’est anglais, ça dit pas grand-chose aux gens, c’est aussi donner un truc humain et qu’il y ait un attachement affectif» 829

Le lecteur de FHM est donc fortement impliqué dans le magazine pour lequel il est pourvoyeur de matériau (le contenu des lettres), en influant aussi sur les couvertures et sur le contenu : quand les lecteurs décident d’élire Jennifer Lopez comme la femme la plus sexy en 2001, ils obligent le magazine à produire des photographies et textes en conséquence.

Les lecteurs de la presse spécialisée et de la presse généraliste influent donc sur les contenus en fonction des degrés d’ouverture et d’interactivité décidés par chacune des rédactions qui se servent de la matière offerte par les lecteurs dans leurs courriers afin de construire des contenus qui correspondent aux demandes des lecteurs, mais en utilisant deux manières de traiter ces demandes : sans faire des lecteurs les personnages centraux des articles ( les articles de la presse spécialisée créés à partir d’une forte fréquence de demande sur un sujet particulier passent sous silence les lecteurs à l’origine des demandes), ou au contraire en leur donnant le statut de héros des pages qui leur sont consacrées. La nouvelle presse masculine en ouvrant ses pages à l’interaction avec son lectorat, fonctionne en cercle auto-enrichi dans lequel les deux parties émettrices et réceptrices possèdent à la fois ces deux statuts d’émetteur et de récepteur.

C’est donc sous la forme de ce cercle auto-enrichi que la nouvelle presse masculine établit la relation avec ses lecteurs occupant diverses fonctions : simples lecteurs, joueurs pour ceux qui répondent aux concours, épistoliers pour ceux qui communiquent avec les rédactions et qui, pour les premiers attendent de la nouvelle presse masculine un apport culturel et divertissant, pour les seconds un gain sous la forme d’un lot et pour les troisièmes des attentes beaucoup plus importantes car les lecteurs faisant la démarche d’écrire aux rédactions en attendent en retour des conseils, des solutions à des problèmes souvent importants. Que disent ces lettres ? Que laissent-elles appréhender des lecteurs des différents magazines  et de leur rapport à la masculinité ? Quel rapport les lecteurs instaurent-ils avec les magazines et quels sentiments investissent-ils au travers de leur courrier ? Les 1742 lettres que nous avons recueillies, dépouillées et analysées sont autant d’indications sur le sens investi par les lecteurs dans les magazines auxquels ils s’adressent ; elles sont aussi porteuses d’indications sur la condition masculine en ce début de siècle qui, au travers de l’écriture de ces hommes, apparaît comme en difficulté et dont l’espoir est de pouvoir, via les informations données par les rédactions de la nouvelle presse masculine, renouer avec la sérénité et correspondre à une certaine image de l’homme idéal.

Notes
829.

Propos tenus par le rédacteur en chef du magazine FHM lors de l’entretien du 18 janvier 2002.