- Un mélange de registres de langage non maîtrisés.

Ainsi, dans le corpus de Men’s Health, les lettres sont entièrement compréhensibles, seules des fautes d’orthographes et certaines expressions viennent s’immiscer dans le contenu : on retrouve l’utilisation de «monsieurs», la reprise d’une formule récurrente dans les textes «tablettes de chocolat» transformée en «crottes de chocolat», ceci est un des exemples de la volonté du lecteur de s’approprier des termes utilisés régulièrement par le magazine, voulant ainsi assurer dans sa lettre de sa connaissance du langage du magazine, mais qui, s’effectuant dans l’erreur, assure au lecteur l’effet inverse à celui souhaité ; au lieu de se révéler comme un spécialiste et connaisseur du magazine, il se révèle comme un amateur et un mauvais réutilisateur d’un langage auquel il n’est pas habitué. L’utilisation dans les lettres de locutions appartenant à un langage plus élaboré que celui utilisé au quotidien est ainsi fréquent dans les lettres : un lecteur de FHM a ainsi écrit «toujours utile» au lieu de «toujours est-il». En ayant recours à un registre de langage qui n’est pas le leur, certains lecteurs se discréditent ainsi même si ni les fautes, ni les erreurs de vocabulaire n’interviennent pas dans la décision des magazines de traiter ou non ces demandes.

Ce qui, en revanche, est rédhibitoire dans le traitement des lettres par les rédactions, c’est la vulgarité dont certaines lettres sont porteuses : ainsi, une des questions posées à Men’s Health fut «les femmes ont-elles vraiment du plaisir à se faire baiser par derrière ? Ou bien c comme au cinéma ?». Outre la vulgarité, ce mail contient ce que de nombreux lecteurs utilisent en matière de langage : l’abréviation, l’intégration dans leur écriture des formules propres à l’envoi des textos (SMS). Ceci est particulièrement répandu dans les lettres envoyées à la rubrique «la lune» de FHM. Les lecteurs remplacent «à plus» par «à +» ou «@+», «c’est» remplacé par «C», «bonjour» par «Bjr», «au revoir» par «orvoir»… Les mails adressés par de jeunes lecteurs sont porteurs de ces nouveaux codes d’écriture qui fonctionnent comme des codes de ralliement : en effet, leur compréhension nécessite, dans certains cas, une connaissance de ces codes, partagée par les jeunes générations utilisatrices de ce langage codé.

Les lecteurs, soucieux de leur bonne image auprès des magazines et de la réussite de leur demande, n’hésitent pas, pour nombre d’entre eux, à annoncer la présence de fautes soit dès le début de la lettre soit dans un post-scriptum : «je vous présente mes excuses pour les fautes d’orthographe mais nobody’s perfect», «au cas où cet article devrait paraître dans votre magazine, excusez-moi pour la ponctuation et les fautes d’orthographes» et à s’excuser de celle-ci par des arguments qui vont de «excusez pour le style dépouillé mais en ce moment je ne peux pas faire mieux»dans une lettre écrite par un lecteur souffrant d’un chagrin d’amour à «pardonnez moi le style et l’écriture, c’est en douce au travail». Un lecteur donne cet avertissement au magazine sous la forme d’un jeu gagnant : «si vous retrouvez mes fautes d’orthographe et si vous arrivez à lire, vous gagnerez peut-être un séjour à la Courneuve pour 2 personnes!!!». Les lecteurs ne s’excusent pas que des fautes de français, ils s’excusent de tout : de la qualité du papier «je m’excuse d’écrire sur une feuille scolaire», d’un répondeur «pourri», «du carnage occasionné quand je découpe les numéros», d’être nul en dessin, «je m’excuse de la répétition du verbe avoir»… Seul le corpus de Men’s Health semble épargné par ces marques d’abaissement et demandes d’excuses, les épistoliers s’excusant plutôt des thèmes abordés, du côté embarrassant de certaines questions et du temps pris à la rédaction.

L’annonce de la présence de fautes d’orthographe montre le rapport de force qui s’établit entre le lecteur et le magazine ou du moins la représentation de ce rapport de force possédée par le lecteur. Il s’excuse d’une infériorité qui se présente sous la forme de fautes, mais aussi d’un sentiment de dérangement du magazine, sentiment d’infériorité auquel certains lecteurs tentent de remédier en utilisant un registre langagier qui n’est pas le leur et qui les induit en erreur. Ainsi plusieurs lettres contiennent des excuses quant au dérangement occasionné par la lecture de la lettre ou l’ennui provoqué par celle-ci : c’est pourquoi un lecteur de FHM conclut sa lettre par «c’est fini !».

Si les épistoliers mélangent des tournures et expressions appartenant au langage soutenu, mais dont l’absence de maîtrise engendre des erreurs (tournures grammaticalement incorrectes, mots utilisés à la place d’autres…) avec des expressions populaires appartenant au langage courant, mais aussi à l’argot et au langage péjoratif, ils mélangent aussi les langues. Tout en restant écrites dans leur ensemble en français, les lettres regorgent d’anglicismes, et de toutes autres locutions étrangères. Ainsi, outre les emplois réguliers de «bye»,«Hello»,«Help», «Kiss», «Thank You» Keep on», les lecteurs utilisent des expressions italiennes (qu’ils écrivent de toutes les manières) : «Tchao», «Atchao» (on verra ici l’utilisation du langage des Guignols de l’Info), «Ciao» ; des expressions latines «ave»et même dans le corpus FHM-sexo, du breton : «kenavo».

Les lettres envoyées aux magazines masculins présentent donc une mixité de langages divers, de niveaux de langages différents : c’est pour la constitution du corpus de M Magazine que nous avons été confrontés aux plus grand nombre de lettres difficiles à déchiffrer car, écrites dans un langage populaire, elles multiplient les fautes d’orthographes et de tournures dont les lecteurs s’excusent ( le corpus de M Magazine est celui qui contient le plus de marque d’excuses). Les deux corpus de FHM sont quant à eux ceux présentant le plus de référence aux langages étrangers et qui utilisent le plus d’abréviations, ceci s’explique par la jeunesse des épistoliers. En revanche, le corpus de Men’s Health présente peu de problèmes grammaticaux ni d’orthographes, les épistoliers utilisent d’ailleurs, nous y reviendrons, des expressions scientifiques extraites des articles du magazine ou diagnostics de médecins. L’analyse de l’écriture des lettres laisse ainsi apparaître une différence importante entre les épistoliers de FHM, M Magazine et Men’s Health.