Le passage de l’écriture manuscrite à l’écriture électronique.

Nous avons rencontré dans les rédactions une diversité de supports utilisés par les lecteurs pour s’adresser aux magazines : que ce soit les supports traditionnels ( lettres manuscrites, lettres dactylographiées) sur du papier parfois original ( carton, papier de soie, papier kraft, papier de couleur), les outils des nouvelles techniques de l’information ( mails, fax) ou les supports photographiques ( cartes postales, photographies), chaque lecteur utilise le support avec lequel il pense avoir le plus de chance de toucher la rédaction : certains lecteurs téléphonent pour connaître l’avancée de leur demande. Ainsi, chaque courrier des quatre corpus a fait l’objet d’un classement en fonction du support utilisé :

	M Mag	Men's Health	FHM -sexo	FHM -lune	Total
lettre manuscrite	316 (70.85%)	181 (43.6%)	125 (30%)	247 (53.3%)	869 (49.88%)
lettre dactylographiée	45 (10.08%)	25 (6.1%)	6 (1.4%)	34 (7.4%)	110 (6.3%)
mail	82 (18.38%)	192 (46.2%)	284 (68.2%)	176 (37.9%)	734 (42.13%)
fax	3 (0.69%)	17 (4.1%)	1 (0.2%)	2 (0.4%)	23 (1.3%)
carte postale			1 (0.2%)	4 (0.8%)	5 (0.2%)
mail écrit en anglais				1(0.2%)	1 (0.05%)

Le courrier se répartit ainsi en deux supports d’écriture majeurs : la lettre manuscrite et le mail. Sur les 1742 lettres dépouillées, presque la moitié sont des lettres manuscrites et 42.13 % sont des mails. Mais la répartition ne s’effectue pas de cette manière dans les quatre corpus et varie même chez FHM, en fonction que les épistoliers écrivent pour la rubrique sexuelle ou pour la rubrique «la lune». Pourquoi utilisent-ils ainsi certains supports pour une rubrique et non pour l’autre ? Selon l’enquête de lectorat effectuée par AEPM, les lecteurs de FHM sont pour 36 % d’entre eux équipés d’Internet à domicile, comme 38 % des lecteurs de Men’s Health. Ce qui explique pourquoi les lettres envoyées par ces derniers sont en plus grand nombre des mails que du courrier postal. Etant équipés, les épistoliers de la rubrique sexuelle de FHM utilisent Internet, alors qu’ils préfèrent rédiger les demandes de «la lune». Il nous semble, au regard de toutes les lettres de cette rubrique que nous avons ouvertes puis lues, que les lecteurs utilisent la lettre manuscrite afin de pouvoir la personnaliser, y joindre notamment des images, collages, dessins… des objets désirés, espérant rendre ainsi leur lettre plus originale que les autres et la faire remarquer de la rédaction. Ils utilisent aussi les enveloppes pour y écrire certains mots, y dessiner des logos (celui de FHM en particulier et dans toutes les formes (tags…). On peut émettre aussi l’hypothèse de l’utilisation d’Internet pour les questions à consonances sexuelles afin que la réponse, si elle devait être acheminée par retour d’adresse, passe ainsi inaperçue de l’entourage et reste dans le cadre privé de l’épistolier. C’est du moins, ce que nous laissent entendre les multiples lettres du corpus-sexo portant pour indication sur la réponse : «répondez à cette même adresse Internet».

Si les mails deviennent les moyens de communiquer les plus utilisés, au fil du temps ⁸⁴⁰ , ils sont chez M Magazine loin de constituer la masse de courrier. En effet, 70 % des lettres mises à notre disposition par la rédaction sont des lettres manuscrites, les mails ne représentant que 18 % du total. M Magazine étant le premier magazine masculin de la nouvelle génération, il a sollicité une collaboration de son lectorat avant qu’Internet ne se démocratise et s’installe dans les foyers français, même si dès le premier numéro, il propose une adresse Internet ⁸⁴¹ à laquelle les lecteurs peuvent écrire. Outre son ancienneté sur le marché, l’appartenance de son lectorat au milieu populaire explique peut-être que les lecteurs ne puissent utiliser ce nouveau moyen de communication et continuent à écrire au magazine, via la Poste.

La lettre manuscrite et le mail représentant la majorité du courrier envoyé, rares sont donc les fax (les fax sont utilisés pour s’adresser à Men’s Health car ils sont cités comme moyens possibles à utiliser, dès le premier numéro du magazine), les lettres dactylographiées ( les machines à écrire tendent à disparaître, même si nous avons rencontré quelques lettres tapées sur de vieux modèles ; de plus en plus, les personnes équipées en ordinateurs le sont d’Internet et peuvent envoyer des mails, plutôt que de rédiger les lettres puis avoir à les envoyer par la Poste), mais quelques supports fantaisistes répondent à la sollicitation de FHM ⁸⁴² .

Les quatre corpus reflètent donc l’évolution de la forme du courrier, de la diminution de l’écriture épistolaire au profit de l’écriture électronique qui, tout en étant un gain de temps, offre aux lecteurs une discrétion recherchée : les internautes ne laissant à la rédaction que leur adresse Internet, imposant ainsi une réponse via la toile. En revanche, certains lecteurs, et notamment les jeunes puisque ce sont eux les principaux pourvoyeurs de lettres pour la rubrique «la lune», ont recours à l’écriture manuscrite pour demander des cadeaux et illustrer ces demandes de leur touche personnelle. Il y a donc, chez Men’s Health comme chez FHM, recours au mail pour les demandes sexuellement connotées et à la Poste pour les lettres les plus ludiques. Nous verrons qu’en effet, la recherche de discrétion est omniprésente dans les lettres reçues par les rédactions.

Cette évolution des supports du courrier n’est pas sans conséquence pour l’écriture. Sans influencer sur les demandes qui restent les mêmes au fil du temps, c’est la manière de s’adresser au magazine qui a elle aussi évoluée, pour parfois même disparaître ; les épistoliers utilisant Internet aussi pour sa rapidité, ils envoient des mails de plus en plus courts et dénués de toute formulation classique de politesse, et de marques de respect au profit d’une familiarité exacerbée.