-Des mails courts qui ne s’embarrassent d’aucune formule de politesse…

Les longues lettres manuscrites ont ainsi laissé la place aux mails de plus en plus courts, présentant seulement une question. Chaque support utilisé présente-t-il une particularité dans le mode d’adresse au magazine : comment les épistoliers commencent-ils et finissent-ils leur courrier s’il est une lettre manuscrite, un mail, une lettre dactylographiée… ? Nous avons ainsi comptabilisé pour chacun des supports, le nombre d’en-tête 843 , le nombre de signature 844 et ce que nous avons baptisé «le rapport au magazine», c’est-à-dire les phrases ou mots adressés au magazine directement pour le complimenter et énoncer le rapport entretenu avec lui 845 afin de déterminer si à chaque support d’écriture correspond un mode et langage d’écriture.

  M Mag Men's Health FHM -sexo FHM -lune
Total lettres manuscrites 316 181 125 247
en-tête 252 ( 79.7%) 144 ( 79.55%) 105 ( 84%) 210 (85%)
signature 244 (77.2%) 139 ( 76.7%) 106 (84.8%) 218 (88.2%)
rapport au mag 167 ( 52.8%) 94 (51.9%) 47 ( 37.6%) 125 (50.6%)

Les lettres manuscrites envoyées aux diverses rédactions sont dans l’ensemble plus longues que toutes les autres formes de courrier. Les épistoliers y multiplient les formules, telles que celles pour s’adresser au magazine, mais aussi et nous y reviendrons dans l’analyse de la structure du courrier, les incidences du mal sur leur vie quotidienne, leurs espérances en un remède qui bouleverserait leur vie, des indications multiples sur le mode souhaité de réponse, des post-scriptum… là où les mails sont beaucoup plus courts et allant rapidement à l’essentiel.

Les lecteurs rédigeant à la main leurs missives respectent les codes épistolaires classiques, commençant leurs lettres en s’adressant directement au magazine ( presque 80%

des lettres des quatre corpus contiennent un en-tête) et les finissant par une signature. Ces deux codes de base de la communication épistolaire, sur lesquels nous reviendrons en détail car ils multiplient les formes diverses (les lecteurs font preuve, notamment chez FHM d’une imagination originale, créant des en-têtes personnels au magazine) et sont porteurs d’un rapport particulier entretenu par le lecteur avec le magazine, s’accompagnent peu, en revanche des codes de politesse en vigueur, notamment dans les lettres adressées à un inconnu ; les lettres manuscrites, comme tous les autres supports sont peu porteuses des formules classiques telles que «recevez mes salutations distinguées»… Les lecteurs ont évacué ces formules qui sont porteuses d’une distance avec le destinataire, mais ils n’ont pas pour autant fait disparaître les formules de politesse, même si dans de nombreuses lettres ( sauf pour celles du corpus de «la lune» qui portent une écriture particulière), elles sont limitées à «merci», «je vous remercie»…

Si le corpus des lettres manuscrites envoyées à la rubrique «la lune» de FHM est celui qui porte le plus de marques d’adresse au magazine, ces dernières s’apparentent à des marques de flatterie 846  ; en effet, les épistoliers multiplient les superlatifs, les locutions laudatives… pour qualifier le magazine, espérant ainsi être récompensés de leur fidélité et des multiples compliments adressés, compliments qui, par leur nombre rendent la lecture de ces lettres parfois lourde et laissent un sentiment, pour celui qui décide de sélectionner ou non la demande, d’être amadoué par le lecteur.

Nous pensions que les lettres manuscrites porteraient davantage de rapports au magazine, d’indications sur la lecture, sur la découverte des titres et sur l’apport du magazine dans la vie des lecteurs, et ce afin de justifier et légitimer la demande suivant ; or, ces marques de rapports au magazine existent dans les lettres, mais en nombre moins important que ce à quoi nous pensions être confrontés. En effet, environ une lettre sur deux des corpus de M Magazine, Men’s Health et FHM-lune portent des indications sur ce rapport et le corpus FHM-sexo n’en porte que dans une sur trois. D’une part, les lettres manuscrites envoyées à cette rubrique sont peu nombreuses (ce sont des mails qui sont envoyés) et d’autre part, les lettres manuscrites sont courtes, les lecteurs y exposant seulement le problème.

Les lecteurs rédigeant les lettres à la main respectent les codes de l’écriture épistolaire, on retrouve ceci dans l’écriture des lettres dactylographiées qui comportent des chiffres proches de ceux des lettres manuscrites : respect des en-têtes, des signatures, présence d’un «rapport au magazine» dans la moitié des lettres. Seul le corpus de FHM-sexo qui comporte 42 lettres dactylographiées (second gros contingent de lettres dactylographiées après M Magazine), est dénué de ces formules de politesse : en effet, ce corpus compte de nombreuses lettres de critiques au magazine (ce corpus que nous avons appelé FHM-sexo compte les lettres relatives à la sexualité mais aussi les lettres de critiques ou de louanges envoyées au magazine) dans lesquelles les lecteurs ne se répandent pas en compliments, nombreuses sont les lettres de ce corpus à être anonymes.

En dehors de ces trois codes épistolaires classiques, les lettres manuscrites sont rédigées en dehors des règles classiques de rédaction et de présentation : ainsi, les épistoliers écrivent dans tous les sens, rares sont les lettres présentées avec l’adresse de l’épistolier à gauche et celle du magazine à droite, certaines contiennent trois, quatre post-scriptum 847 .Les lettres manuscrites tendent donc à conserver les codes les plus élémentaires de la communication épistolaire (les lettres s’adressent d’emblée au magazine et sont signées) ; tout ce qui est de l’ordre de la présentation, du décorum et des marques de respect a disparu dans de nombreuses lettres, remplacé par des dessins personnels, des marques de personnalisation de la lettre, ceci étant un indice supplémentaire du rapport étroit que les lecteurs tentent d’entretenir avec les magazines. Ces lettres manuscrites, dont le nombre diminue au fil des mois dans les rédactions au profit de l’utilisation des mails, apparaissent dans les corpus comme les derniers lieux de conservation de la tradition épistolaire française. En effet, les internautes ont éliminé de leurs mails toutes les marques de l’écriture épistolaire ; utilisant ce moyen pour sa rapidité d’écriture et d’envoi, ils se sont débarrassés de toutes les locutions de politesse, d’adresse à autrui.

  M Mag Men's Health FHM -sexo FHM -lune
Total mails 82 192 284 176
en-tête 59 (71.9%) 86 (44.7%) 170 (59.8%) 148 (84%)
signature 44 ( 53.6%) 68 (35.4%) 129 (45.4%) 152 (86.3%)
rapport au mag 48 ( 58.5%) 65 (33.8%) 55 (19.3%) 88 (50%)

Dans les corpus de M Magazine, Men’s Health et FHM-sexo, les mails portent moins de marques d’adresse au magazine et de signature que les lettres manuscrites. Seuls les mails envoyés à «la lune» de FHM sont rédigés comme les lettres manuscrites, toujours dans le but de multiplier les compliments et flatteries envers le magazine dans le but d’accroître les chances d’être choisi pour un cadeau. D’ailleurs, les mails de «la lune» sont les plus longs que nous ayons rencontrés dans nos quatre corpus, les internautes devant donner le plus d’indications possibles sur leur rêve et donner envie à la rédaction de le réaliser.

En revanche, ce sont les mails de Men’s Health et FHM-sexo qui sont les plus dépouillés, ceci étant lié à la connotation sexuelle des questions, les lecteurs posant seulement la question, ils abordent le vif du sujet, sans adresse au magazine, sans signature dans beaucoup de cas (l’adresse du mail suffisant, selon eux, de moyen pour les retrouver et leur répondre) : ainsi seul un tiers des mails envoyés à Men’s Health sont signés contre 76.7 % des lettres. Les lecteurs utilisent Internet pour les questions sexuelles pour conserver un anonymat, c’est pourquoi les mails sont peu porteurs de prénom, d’adresse postale (les surnoms ou initiales sont plus présents). S’ils ne s’embarrassent pas de marques de politesse, ils ne le font pas non plus des «petites phrases» concernant le magazine. Le mail est utilisé pour adresser un problème précis aux magazines et pour que celui-ci réponde via ce moyen de communication, la question et la réponse restant ainsi dans le domaine privé.

Les quelques mails reçus par la rédaction de M Magazine respectent plus les codes d’écriture et de respect que dans les autres magazines. Ces mails ayant été reçus, en majorité, dans les derniers mois du magazine, les lecteurs se seraient-ils équipés en matériel informatique et ainsi auraient continué à rédiger leurs mails comme ils rédigeaient leurs lettres manuscrites ? Ceci restera de l’ordre de l’hypothèse 848 .

Le support d’écriture influe donc sur l’écriture elle-même. A chaque support, correspond donc un style d’écriture : délayé, long, avec nombre détails, des tournures de phrases parfois lourdes, un respect des règles de l’écriture épistolaire dans les lettres manuscrites, dactylographiées (certaines lettres font quatre pages, les plus courtes quelques lignes et se présentent sur des bouts de papier…). Quant aux mails, ils sont courts, précis, allant directement à la question, sans grande explication, utilisant régulièrement des abréviations (c’est notamment dans les mails que l’on trouve l’écriture texto) et font pour beaucoup d’entre eux une seule ligne, sans en-tête, ni signature.

Si chaque support d’écriture engendre un style d’écriture oscillant entre le concis et le délayé, les lettres partagent certaines manière d’écrire : en effet, le recours aux langues étrangères s’effectue autant dans les lettres manuscrites que dans les mails, l’utilisation du tutoiement également (indice supplémentaire du rapport entretenu par les lecteurs avec le magazine). Si les codes d’écriture classique tendent à disparaître au fil des mois et de l’utilisation des nouvelles technologies de communication, les épistoliers continuent à utiliser dans le langage écrit le langage oral ; ils usent de nombreuses expressions de l’oralité telles que «t’as pas entendu ce que je t’ai dit ?», «ben ouai», «franchement», «à l’heure où je vous parle» Dans certaines lettres et mails, les épistoliers s’adressent aux magazines comme s’ils leur parlaient, recourant à un langage amical (ils ont fait des magazines leur confident et ami). Mais ce rapport que les épistoliers pensent avoir tissé avec les magazines peut aussi devenir pressant : pour quelles raisons les épistoliers écrivent-ils plusieurs fois au même magazine ? Suite à quoi écrivent-ils ? La fréquence d’écriture laisse-t-elle voir un rapport que l’épistolier imagine avoir tissé plus étroitement encore avec ses interlocuteurs ? Il semblerait que les lecteurs dont la fréquence d’envoi des lettres est rapprochée et importante, ont transformé une relation amicale en une relation proche du harcèlement.

Notes
843.

Nous entendons par en-tête les premiers mots utilisés pour s’adresser au magazine : «Bonjour», «monsieur», «Isabelle», «coucou»

844.

Nous avons comptabilisé dans les signatures toutes les marques laissées par les lecteurs : prénoms, initiales, signatures graphiques, mais aussi les locutions : «votre plus grand fan»…

845.

Ce sont par exemple : «tu es le meilleur magazine que je connaisse», « je vous lis depuis le début», « sincères félicitations»…

846.

Certains lecteurs jouent avec cette impression de flatterie : ainsi un lecteur, après avoir adressé un compliment au magazine, dans le cadre de «la lune» écrit : «je tiens à préciser que ce que j’ai écrit n’est en aucun cas de la lèch pour ma requête suivante, mais assurément de vrais compliments que je tenais à vous adresser».

847.

Les post-scriptum feront l’objet d’une analyse car ils sont le lieu choisi par les épistoliers pour donner des indications sur le mode de réponse souhaité et sur les raisons de l’anonymat…

848.

Pour confirmer ou infirmer cette hypothèse, il faudrait comparer toutes les signatures et adresses personnelles des lecteurs avec les signatures et adresses postales données dans les lettres. Or, ceci est un travail colossal. Nous nous sommes juste attachés à repérer, dans tous les corpus, les lettres ou mails qui, soit nous semblaient redondants ( on reconnaît facilement après un tel travail de dépouillage, certaines écritures, signatures, expressions…), soit étaient porteurs d’indications sur une écriture précédente.