- Une réponse à tout prix…

Certaines lettres ou mails sont renvoyés sans aucun changement, sans que l’épistolier n’évoque ni la première ni la seconde lettre, il renvoie les mêmes lettres jusqu’à ce que le magazine lui réponde. C’est cette recherche de la réponse absolument qui pousse les «récidivistes» à envoyer à nouveau un courrier qu’ils justifient pour la plupart. Ainsi certaines lettres commencent par «je vous ai déjà écrit plusieurs fois», d’autres le font avec humour : «c’est encore moi» et énoncent ensuite les raisons pour lesquels ils ont choisi de réécrire : afin d’éviter une panne ou un dysfonctionnement technique : «j’ai déjà envoyé un mail mais je suis pas sûr que ça ait marché», les épistoliers qui pensent avoir oublié de signer, de donner leur adresse, ceux qui en profitent pour ajouter des cartes de visite… Ces lettres viennent en complément des premières envoyées et reflètent aucun changement dans les liens que le lecteur entretient avec le magazine : il a juste peur que le magazine, par sa propre faute, ne puisse lui répondre.

Certains lecteurs multiplient les lettres en y ajoutant des détails et informations nouvelles qui pourraient aiguiller les rédactions dans leurs diagnostics ou dans leurs recherches : ainsi un lecteur de M Magazine a écrit une première lettre du Portugal le 28 janvier 99 afin d’obtenir des exercices de musculation et de gymnastique à effectuer après avoir subi l’opération d’une hernie. Il réécrit le 4 février suivant pour donner un complément d’information sur son opération pour faciliter au magazine l’établissement du programme demandé.

Les lettres envoyées pour faire face à la non-réponse du magazine peuvent être, quant à elles, beaucoup plus acerbes, tout en restant dans le cadre de la politesse et du respect du magazine. Si certains lecteurs écrivent pour s’inquiéter de l’avancée de leur demande et requièrent une réponse même en cas négatif, d’autres en revanche, multiplient les lettres en y ajoutant, à chaque fois, la marque de leur désapprobation de la non-réponse et de leur insistance. Ces lettres d’impatience arrivent dans les rédactions rapidement après la réception des non-réponse ou dès la parution du numéro dans lequel l’épistolier remarque l’absence de traitement de sa lettre : les lecteurs cherchent ainsi des réponses immédiates ; une fois le problème énoncé, il doit être résolu, même si et nous le verrons plus loin, le problème est souvent énoncé des années après son surgissement. Ce sont donc des lettres de relance, les lecteurs suivant de très près, notamment pour la rubrique «la lune», les recherches pour lesquelles, quand celles-ci ont abouti, ils n’hésitent pas à réécrire pour une nouvelle demande (ces demandes «récidivistes», quand la rédaction, dans le flot de lettres reçues, les repère, sont automatiquement rejetées). Certains lecteurs envoient en effet deux lettres écrites le même jour, à la même rédaction mais sur des sujets différents : deux lettres furent adressées à M Magazine, postées le 25 avril 2000 par un jeune de Lisieux mais l’une au cosmétologue pour des informations sur la conservation des produits de beauté et la seconde au dermatologue au sujet d’eczéma. Nous avons aussi repéré une lettre dans le corpus Men’s Health présentant des similitudes, notamment la signature (lettre anonyme mais signée du dessin d’un sexe masculin) avec des lettres récurrentes envoyées à la rédaction de M Magazine, mais portant sur des sujets différents. Ce sont les seules lettres qui nous semblent intervenir dans les deux corpus et écrites par le même épistolier, les lettres faisant plutôt référence à la concurrence en des termes critiques.

Il existe des épistoliers récidivistes dont la fréquence d’écriture laisse les rédactions pantoises mais habituées à leurs arrivées régulières. La palme de l’épistolier prolixe revient à un jeune homme qui entre juillet 99 et avril 2000, a envoyé 5 lettres pour 5 motifs différents à la rédaction de M Magazine. La première datée du 7 juillet 99 est une lettre de félicitations contenant une question sur le sport, la seconde du 22 novembre 99 demande conseil pour le rasage, la troisième arrive le 18 décembre pour un problème lié au changement de format du magazine qui ne rentre plus dans les reliures vendues pour la collection, deux jours plus tard il envoie une critique de la place trop importante laissée aux femmes dans le magazine et enfin la dernière lettre envoyée date du 22 avril 2000 dans laquelle il énonce sa volonté d’effectuer du cardio box. Toutes les rédactions 850 rencontrent ce genre de lecteur, attaché au magazine et qui utilise les lettres pour tisser un lien, ayant recours aux thèmes les plus divers pour ses lettres. FHM reçoit ainsi tous les mois, depuis longtemps, la lettre dactylographiée d’un lecteur qui écrit ses commentaires sur le dernier numéro  et qu’il fait commencer par «Comme d’habitude, voici ma lettre de commentaires version octobre»et qu’il conclut par un post-scriptum inchangé : «on se retrouve le mois prochain" Ces lettres portent un attachement particulier au magazine, elles sont empruntes d’un intérêt pour ce dernier, pour son contenu et pour les réponses qu’il peut apporter aux questions que les lecteurs posent. Mais ces rapports amicaux peuvent se détériorer face à un investissement affectif trop fort de la part du lecteur qui, en accordant au magazine des pouvoirs plus importants que ceux réellement possédés, doivent faire face à certaines déconvenues.

Notes
850.

Nous avons écarté lors de la constitution du corpus de Men’s Health, un ensemble de lettres envoyé sur une période courte par une femme, et dont la compréhension et la lisibilité n’étaient pas suffisantes pour être conservées. Elles y multiplient les discours politiques et critiques sur le rapport du magazine à l’homosexualité, sans que son propos soit toujours cohérent…