-Des lettres anonymes justifiées par le regard inquisiteur d’autrui.

Ces 27 lettres anonymes comportent peu d’explication sur les raisons de cet anonymat, quelques rares épistoliers évoquent les raisons de l’absence de signature : c’est le regard qu’autrui peut poser sur le problème énoncé et sur l’auteur de la lettre que les épistoliers ne peuvent soutenir. La peur d’être reconnu, la réaction de la famille et des amis, la publication d’un problème d’ordre privé et inconnu de l’entourage, une fonction publique (universitaire)… sont les raisons les plus couramment données de l’anonymat des lettres : «j’ai trop honte pour en parler autour de moi», «ce n’est pas très facile pour moi, d’une part d’en parler (c’est pour cela que je reste anonyme) et de décrire ce problème, je vais donc faire au mieux (en faisant même un dessin, pourquoi pas ?)», «je ne vous donne pas mon nom car j’ai honte et que quelques-uns uns de mes potes lisent votre magazine et je ne voudrais pas qu’ils me reconnaissent», «j’habite dans un petit village et je préfère rester anonyme»

Les épistoliers ne veulent être reconnus et que leur vie privée soit partagée et commentée par autrui, mais ils trouvent à travers le magazine un confident, tout en se méfiant, d’une possible médiatisation de leur question à l’insu de leur demande. C’est ainsi que M Magazine a reçu une lettre dont l’anonymat fut justifié par «je ne vous indique pas mes coordonnées car j’ai peur que vous me fassiez entrer dans un fichier de pédophiles comme c’est la mode»et que certains lecteurs changent leur identité au profit de surnom, d’initiales, de pseudo, mais aussi en donnant des identités ou statut qui, à la lecture de la lettre, apparaissent comme usurpés, et la fait fonctionner comme si elle était anonyme, ne comportant qu’une signature fausse.

Il est difficile de remettre en cause l’identité d’une lettre, même si de multiples détails semblent confirmer la manipulation. Sur les 446 lettres reçues par M Magazine, 3 lettres semblent suspectes : on trouve deux sortes de «fraude à l’identité» : la fraude avérée et la fraude supposée. Une première lettre normale écrite par une femme qui veut aider un ami atteint de gonflements au visage. Cette lettre écrite en très gros caractères contient une adresse qui la rend semblable aux autres. Ce n’est que quelques lettres plus tard qu’une lettre débutant par «je vous ai déjà écrit mais n’ayant pas de réponse...» attira notre attention et provoqua une recherche approfondie aboutissant à la première lettre citée. Les deux adresses données sont identiques et les écritures superposables. C’est une volonté de dissimilation de son identité par l’épistolier mais qui s’est lui-même «vendu» dans la seconde lettre. La véritable identité du lecteur semble être celle donnée dans la seconde lettre qui ne contient aucune indication quant au mode de réponse souhaité alors que la première lettre demandait une réponse par le magazine.

Le second cas se fonde sur une supposition de fraude : une lettre est écrite par un père de 43 ans au sujet de son fils de 19 ans qui a des problèmes de développement des organes sexuels. La lettre contient de nombreuses indications sur les habitudes et les mesures du fils ( longueur, diamètre, degré d’inclinaison... de son sexe). Cette lettre détaille des événements dont la connaissance nous semble étrange pour un père. Enfin l’écriture et les expressions employées ressemblent à celles d’un adolescent. Cette lettre se conclut par «veuillez adresser ce courrier en précisant mon prénom sur l’enveloppe réponse», ce qui laisse penser que ce n’est pas le père qui écrit mais le fils sous l’identité du père. Il ajoute un post-scriptum demandant la non-publication dans le magazine. Le 3ème cas regroupe en fait 5 lettres qui sont écrites sous diverses identités : Jeff, Jess, Christopher dont une sous le nom complet de Jess Graussexal (?), elles ont toutes la même signature : le dessin d’un sexe et toutes commencent par «A l’ensemble de M» ou « A M Magazine», le M étant dessiné de la même façon que le logo du magazine. Ces lettres ont toutes le même but : demander la présence dans le magazine d’hommes nus et présentent quelques félicitations au magazine toujours à propos de 3 rubriques uniquement. Enfin 2 de ces lettres donnent une note au magazine, note qui baisse de 20 à 19.75 et citent les prénoms de la même petite amie.

De grandes similitudes entre toutes ces lettres font penser à un seul et même épistolier pour toutes, même si cela ne reste que des suppositions, fortement étayées par de nombreux détails récurrents.

La difficulté rencontrée par certains épistoliers pour assumer leurs lettres n’est pas générale dans le sens où peu de lettres font l’objet d’une dissimulation d’identité qui, au moment de la lecture par le membre de la rédaction chargé du courrier, est vite découverte puisque des indices de vérité apparaissent à la lecture d’autant plus quand celui qui a la charge de les lire s’est habitué à ces manœuvres. C’est notamment pour cette raison que les épistoliers de la «lune» 852 ont intérêt à fournir leurs véritables identités, même si nous avons été confrontés, comme nous l’avons vu dans la partie consacrée au fonctionnement de cette rubrique, a l’utilisation de l’identité et de l’adresse de son cousin par un jeune homme, leur rendant la tâche difficile à gérer entre eux, le cadeau ayant été envoyé à l’identité fournie.

Les lecteurs usant d’anonymat s’opposent à ce qu’une partie de leur intimité soit rendue publique car les problèmes énoncés par les épistoliers remettent en cause la virilité, le pouvoir et la performance des hommes qui, soucieux de préserver une image valorisée, d’échapper aux railleries et aux commentaires, optent pour l’anonymat complet et surtout pour le respect de cet anonymat lors de la publication contre laquelle certains s’insurgent vivement.

Notes
852.

Cette rubrique ne pose pas de problème en matière d’anonymat des lettres, en revanche, ce sont les adresses mail qui nous en ont le plus causé : en effet, de nombreux internautes ne fournissent d’adresses que leur adresse électronique sans pour autant la consulter régulièrement, peut-être utilisent-ils un ordinateur qui ne leur appartient pas ? Certains cadeaux sont donc restés plusieurs semaines à la rédaction, en attendant que le lecteur se manifeste et donne une adresse postale.